De Gaulle et Pierre Mendès France à la Libération : rien qu’un jeu de rôles ?

Nous avions vu Pierre Mendès France manifester, le 30 mars 1944, son désarroi auprès de son ami resté à Londres, Georges Boris, quinze jours après que De Gaulle ait refusé sa première offre de démission (15 mars 1944) du poste de commissaire aux Finances du Comité Français de la Libération Nationale qui lui avait été attribué en novembre 1943.

Un peu moins de six mois plus tard, le 23 septembre 1944, Pierre Mendès France se tourne, cette fois, vers ses parents pour leur dire que le même processus est toujours en cours, alors que la capitale, Paris, a été libérée un mois plus tôt :
« J’ai tout fait pour ne pas rester dans le gouvernement mais de Gaulle m’a à peu près contraint. » (Œuvres complètes, II, page 54)

Pour comprendre sa situation, et le rôle qu’il croit pouvoir y tenir malgré tout, il faut revenir sur un élément qui figure dans la lettre adressée à Georges Boris  :
« Au milieu de cette atmosphère, je continue à être chargé de comptabiliser, sans avoir rien à dire, les conséquences des initiatives prises par mes collègues. » (page 35)

Parmi les collègues de Pierre Mendès France, il en est un ‒ René Pleven ‒ qui importe plus que tout autre. En effet, de même qu’en Indochine, De Gaulle placera, au‒dessus du général Leclerc (qui ne se laissait pas conduire comme un petit garçon), l’amiral Thierry d’Argenlieu (prêt, lui, à réaliser tout ce qu’il y avait de plus sanglant), en France et à la tête des affaires économiques et financières, il a confié la domination sur Pierre Mendès France, et le pouvoir réel d’exécution, à l’homme des États‒Unis : René Pleven, ancien directeur pour l’Europe de l’Automatic Telephone Company.

Une note placée au bas de la page 56 de l’ouvrage que je viens de citer précise ceci :
« Le traditionnel ministère de l’Économie et des Finances a, en effet, été coupé en deux par le général de Gaulle, A. Lepercq puis, après la mort de celui‒ci, en novembre 1944, R. Pleven occupant le ministère des Finances et Pierre Mendès France celui de l’Économie nationale. »

D’où le ton qui est celui des propos de Mendès France. Ce ne sont plus guère que des jérémiades. Il y a déjà huit mois qu’il a présenté sa démission ‒ et qu’elle lui a été refusée par De Gaulle ‒ quand il présente, devant le Conseil des ministres du 17 novembre 1944, un exposé sur le programme du ministère de l’Économie nationale.

Il est essentiel de remarquer que cela va se produire devant le Général qui préside, et qui obtient ainsi la satisfaction de voir mettre en scène, devant l’ensemble des ministres, l’ampleur de la diversion dans laquelle il a réussi à embarquer un Pierre Mendès France qui est, lui‒même, fort éloigné d’être naïf…

En effet, la suite nous montrera à quel point le ministre de l’Économie nationale et le président du Gouvernement provisoire s’entendent comme larrons en foire. Mais écoutons les plaintes du premier (Conseil des ministres du 17 novembre 1944) :
« L’un des meilleurs observatoires d’où l’on peut connaître et les besoins et les ressources, l’Office central de répartition des produits industriels, échappe encore à mon autorité ; il ne me sera rattaché ‒ tout au moins en ce qui concerne sa section centrale ‒ qu’en vertu d’une ordonnance dont vous avez adopté le principe, mais qui n’est encore ni entrée en vigueur ni même signée. » (page 56)

C’est donc ici la seule signature de Charles de Gaulle qui fait défaut… Voyons la suite de l’apparent réquisitoire de Pierre Mendès France  :
« Encore ai‒je tout lieu de croire, d’après les informations que j’ai eues récemment, que cette section centrale, lorsque je l’aurai récupérée, aura été vidée de tous ses éléments, notamment de ses meilleurs spécialistes, et que je serai obligé de la reconstituer en partant de zéro. » (page 56)

Il s’agit évidemment de l’effet de décisions prises par l’entourage rapproché du Général. Et puis…
« Laissez‒moi enfin signaler qu’il m’a fallu trois mois d’efforts, et de débats stériles, pour obtenir du gouvernement l’ordonnance qui a précisé mes attributions et mes droits. Ces trois mois auraient pu et dû être mieux employés. » (page 56)

À faire valoir, comme il l’avait souligné dans toutes ses prises de parole précédentes, le rôle des organisations de résistance et des syndicats ouvriers ? C’est‒à‒dire du Conseil National de la Résistance ? Ce qu’à Dieu (De Gaulle) ne plaise !…

Mais, au moins, on en aura parlé… Ici ou là… Notamment, au Conseil des ministres, et en présence de Charles de Gaulle… Et puis les mois auront passé… Et puis la fièvre sera retombée… Et puis Mendès France pourra en finir avec les faux‒semblants… Encore n’avons‒nous rien vu… Les théâtreux De Gaulle et Mendès France sont autrement forts !…

Michel J. Cuny

(Ce texte est tiré de l’ouvrage électronique « Pour en finir avec la Cinquième République – Histoire de l’étouffement du suffrage universel » que j’ai publié il y a quelques mois et que l’on pourra trouver ici.)


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