Retournons à la liste des preuves « foudroyantes » que nous fournit Hannah Arendt de la synonymie Hitler-Staline, et de ce que nous n’avons pas hésité à indiquer comme étant la « scène primitive » d’un totalitarisme qui se désigne, avec une roideur adéquate, du tiret qui unit les deux noms…
Après avoir visité le contenu du premier tiroir d’une phrase qui en compte plusieurs, avisons ce qui se trouve dans les suivants, non sans rappeler la formule très caractéristique qui les introduit (page 207) :
« Nous avons toujours soupçonné, mais nous savons aujourd’hui…
…que le bras séculier de ce gouvernement particulier n’était pas le parti mais la police, dont ‘les activités opérationnelles n’étaient pas réglées par le canal du parti’ ;
[ici, aucune preuve n’est avancée; nous sommes tout juste renvoyés à la page XIII (une page de préface!…) d’un livre de R.C. Tucker…]
…que les gens entièrement innocents que le régime liquida par millions [car, bien sûr, nous savons ce que nous savons…], les ‘ennemis objectifs’ en langage bolchevique [qui ne peut être que le langage du crime : l’ennemi ‘objectif’ se devant d’être ‘subjectivement’ un ami qu’on maltraite donc injustement], savaient qu’ils étaient des ‘criminels sans crime’ [c’est bien ce que nous disions] ;
[note servant de preuve : « Les mots sont tirés de l’appel d’un ‘élément étranger au prolétariat’ en 1936 : ‘Je ne veux pas être un criminel sans crime’, ce qui nous paraît effectivement très raisonnable, et alors?]
…que c’était précisément cette catégorie nouvelle (par opposition aux précédents et authentiques ennemis du régime – assassins de fonctionnaires du gouvernement, incendiaires, ou bandits) qui réagissait avec la même ‘passivité complète’ que nous connaissons si bien par les types de conduite des victimes de la terreur nazie. » (pages 207-208)
[faut-il nécessairement limiter cette « apathie » à l’improbable variété « totalitarisme »?]
Et voici, pour conclure ce passage destiné à réunir Hitler et Staline, un dernier argument (page 208) :
« On n’a jamais douté que le ‘flot de dénonciations mutuelles’ pendant la grande purge fût aussi désastreux pour le bien-être économique et social du pays, qu’efficace pour renforcer la position du dirigeant totalitaire, mais c’est aujourd’hui seulement que nous savons que Staline mit délibérément ‘en marche cette chaîne tragique de dénonciations’, lorsqu’il proclama officiellement le 29 juillet 1936 : ‘La qualité inaliénable de tout Bolchevik dans les conditions présentes devrait être la faculté de reconnaître un ennemi du parti, si bien masqué soit-il’ »
Faut-il vraiment voir dans la formule utilisée par Staline une invitation à la délation ? Est-ce que le fait de savoir reconnaître en quelqu’un une personne malhonnête doit conduire à le dénoncer au poste de police le plus proche ?…
Mais, dans le cas de Staline, c’est bien pire, nous dit Hannah Arendt qui enchaîne comme ceci :
« En effet, de même que la ‘solution finale’ [« de même », rien que ça : « la solution finale »!… Hitler-Staline, à fond les manettes!…] de Hitler équivalait en fait à rendre le commandement : ‘Tu tueras’ contraignant pour l’élite du parti nazi, de même la déclaration [relisons-la pour bien mesurer à quel point elle est criminelle!… jusqu’à évoquer en nous la… solution finale!…] de Staline prescrivait : ‘Tu porteras de faux témoignages‘ [Ce qui est, en réalité – et nous finissons par en avoir des preuves un peu par-dessus la tête – la marque de fabrique de madame Hannah Arendt] comme règle de conduite pour tous les membres du parti bolchevique. »
Serait-il vraiment exagéré, au sortir de toutes ces manoeuvres incroyablement douteuses, de reconnaître à madame Hannah Arendt cette qualité très spéciale qui est de disposer d’une véritable langue de vipère ?…
Certes… Mais c’est bien plus grave et bien plus important que cela. Il s’agissait, pour elle et ses semblables, de laver l’idéologie dominante de l’appui immesuré qu’elle a longtemps offert au nazisme pour lui permettre de porter un coup fatal à la Russie de Lénine et de Staline, ce en quoi aura consisté l’essentiel de la Seconde guerre mondiale : un coup effectivement fatal pour l’URSS, parce que l’Europe occidentale n’a pas su, en 1944-1945, prendre son rang dans la lutte contre le capitalisme impérialiste et tout particulièrement dans cette France d’un Conseil National de la Résistance que de Gaulle a si vite réussi à enterrer en passant sans façon sur les engagements qu’il avait pris en présence de Jean Moulin le 22 février 1943 à Londres.
Sur cette question, on pourra se référer à cet ouvrage que j’ai publié en 2018…