Après avoir vu de quelle façon et jusqu’à quel point Charles de Gaulle s’est trouvé associé aux manœuvres qui ont abouti à la défaite française si stupéfiante de mai-juin 1940, nous allons découvrir ce qu’a été la réalité de son comportement à Londres.
Une première chose est à remarquer : il n’y est venu que parce que Winston Churchill lui a demandé d’y venir. Pour le Premier ministre britannique, il était très important de pouvoir tenir tête aux responsables britanniques qui, à l’intérieur même de son ministère, voulaient poursuivre la politique d’apaisement avec Hitler, malgré la guerre maintenant engagée. Pouvoir arguer du fait que la France n’avait pas entièrement renoncé au combat était un argument de poids.
Mais pourquoi De Gaulle ?… Il vient d’être sous-secrétaire d’Etat à la Guerre… Il est général (à titre temporaire)… Il est relativement jeune (cinquante ans)… Il bénéficie de l’appui de Paul Reynaud, le président du Conseil sortant…
Et si nous allions demander son avis à Churchill lui-même…
Le voici, le 11 juin 1940, en France, au château de Briare où le gouvernement français s’est réfugié :
« Vers dix heures du soir, chacun prit place pour le dîner. J’étais assis à la droite de M. Reynaud, avec le général de Gaulle pour autre voisin. » (page 321)
Ici, Churchill ne fait aucun commentaire… alors qu’il est évidemment impossible de croire un seul instant qu’aucun propos n’aura été échangé dans un moment aussi important pour une éventuelle suite…
Plus tard, nous découvrirons qu’auprès de De Gaulle, Churchill disposait d’un informateur qui le côtoyait depuis décembre 1934 : Gaston Palewski, directeur de cabinet de Paul Reynaud, mais surtout personnage essentiel dans les milieux patronaux, et tout spécialement des grands sidérurgistes Wendel.
Avançons encore un tout petit peu… Au moment où nous sommes, il y a un an que le général Francisco Franco a mis un terme définitif à l’existence de cette République espagnole tenue par un Frente Popular que Winston Churchill détestait tout particulièrement…
Disposer d’un général en face de cette éventuelle République française d’après guerre ne pouvait pas être une mauvaise chose…
Mais pour quoi en faire ?
Voici que Churchill nous donne l’avis qui est le sien, après le repas :
« Il était jeune, énergique, et m’avait fait une impression très favorable. Il m’apparaissait probable que, si la ligne actuelle s’effondrait, Reynaud lui demanderait de prendre le commandement. » (page 323)
Le 13 juin 1940, voici Churchill à nouveau en France, à Tours, cette fois :
« Puis, alors que nous traversions le couloir plein de monde qui menait à la cour, je vis le général de Gaulle qui se tenait près de l’entrée, immobile et flegmatique. En le saluant, je lui dis à mi-voix, en français : « L’homme du destin. » Il resta impassible. » (page 337)
Trois jours plus tard, le 16 juin, c’est à De Gaulle de venir à Londres. Visite qui nous vaut ce commentaire assez étrange de Churchill :
« C’est une impression que j’ai conservée depuis, au contact de cet homme très grand et flegmatique : « Voici le connétable de France. » Il repartit ce même après-midi pour Bordeaux, dans un avion britannique que j’avais mis à sa disposition. Mais il ne devait pas y rester longtemps. » (page 343)
Qu’est-ce donc qu’un « connétable ». C’est le chef des armées du roi.
Pour Churchill, voilà donc le rôle que pourrait jouer le général Charles de Gaulle. Mais connétable de quel roi ? de quelle monarchie ? D’une monarchie conçue, bien sûr, selon le modèle britannique : constitutionnelle.
Exactement celle que le général Franco établirait en Espagne tout juste avant de mourir (20 novembre 1975), lui qui avait reçu Charles de Gaulle, retraité, le 8 juin 1970…
Mais il y a encore cette autre monarchie constitutionnelle que Winston Churchill aurait bien voulu voir établir en Allemagne après la défaite de 1918, lui qui a écrit à ce propos :
« Une sage politique aurait consisté à couronner et à fortifier la république de Weimar d’un monarque constitutionnel, en la personne d’un petit-fils en bas âge du Kaiser, sous la tutelle d’un conseil de régence. » (page 29)
En ce qui concerne la monarchie en France, celles et ceux qui connaissent un peu l’histoire de ce temps-là auront ici une petite pensée pour le comte de Paris, Henri d’Orléans (1908-1999), qu’on retrouvera plus ou moins impliqué dans l’assassinat de l’amiral Darlan, etc…
De Gaulle aurait-il pu en être le Connétable ?…
Question sans intérêt. Mais autre chose mérite ici notre attention. Puisque cela ouvre l’autre terrible question de cet impérialisme ravageur qui allait marquer la politique française dès les lendemains de la Libération et sous la responsabilité de Charles de Gaulle : Algérie (mai 1945), Indochine (septembre 1945), mais aussi, et dès les débuts de la France libre : Congo, Cameroun, Madagascar, Syrie, Liban, etc.
C’est encore Churchill qui nous le dit :
« Quoi que Vichy pût faire en bien ou en mal, nous étions résolus à ne pas abandonner de Gaulle et à ne pas décourager les ralliements à son domaine colonial qui ne cessait de s’étendre. » (page 414)
Le décor est maintenant installé. Que va donc faire De Gaulle au beau milieu de tout cela ?
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Michel J. Cuny