Nous en étions resté(e)s au moment où, pour calmer les inquiétudes des députés, l’éventualité de la création d’un Comité consultatif constitutionnel avait été annoncée.
Lorsqu’il entame, tard dans la soirée, la séance du 2 juin 1958 à l’Assemblée nationale plénière en présence d’un De Gaulle alerté par la façon bien à elle qu’a celle-ci de se cabrer, le rapporteur de la commission du suffrage universel, Albert de Bailliencourt, annonce l’arrivée d’une lettre qui laisse les députés dans un embarras certain :
« Le Gouvernement, qui n’avait pas établi, dans le premier projet, une approche entre lui-même et l’Assemblée, prévoit dans cette lettre l’existence d’un comité consultatif où siègent, dans la proportion de deux tiers, des membres du Parlement désignés par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République. Ainsi donc, l’Assemblée nationale serait représentée dans ce comité consultatif approximativement par un tiers seulement des membres. »
Ce qui revient à tomber de haut, pour l’Assemblée élue au suffrage universel direct… Mais le Gouvernement consentira une rallonge… Pour finir, au lieu de treize députés, le comité consultatif en comptera seize, tandis que les conseillers de la République ne seront plus que dix. Quant au troisième tiers, il rassemblera les treize experts désignés par le président du Conseil pour leurs compétences…
Arrivons aussitôt à cette séance du Comité consultatif constitutionnel qui va nous mettre en présence, le 8 août 1958, de la sainte colère de ses membres découvrant les conditions réelles de l’exercice de leur fonction de consultation. Voici tout d’abord Robert Bruyneel, qui s’affligeait, huit jours plus tôt, des façons cavalières de De Gaulle à l’égard de ses camarades et de lui-même :
« Il ne nous est pas possible de faire un travail sérieux si nous ne pouvons pas consulter le compte rendu des séances précédentes. »
Il avait même cru devoir s’exclamer devant le président Paul Reynaud :
« Nous ne sommes pas des écoliers, monsieur le président. »
Mais si, mais si.
C’était le 1er août 1958. Et ce sont bien les mêmes joyeux drilles que nous retrouvons une semaine plus tard rendus incapables, par De Gaulle, de remettre, cette fois-ci, la main sur le libellé de leurs propres décisions :
« Pierre-Henri Teitgen : « Je demande au Comité de décider que nous trouverons mardi matin, sur notre bureau et à nos places, les textes qui ont été votés. »
M. le président [Paul Reynaud] : « J’ai déjà posé la question dans le même sens que vous au garde des Sceaux [Michel Debré], il m’a répondu : ̒Vous savez très bien que si l’on distribue trente-neuf exemplaires…’ »
Paul Coste-Floret : « Mais, monsieur le président, nous ne demandons pas le texte de la discussion. Pour le texte de la discussion, l’argumentation de M. le garde des Sceaux est parfaitement justifiée, nous demandons les textes qui ont été adoptés, dont le décret dit qu’ils seront publiés au Journal officiel. »
Pierre-Henri Teitgen : « Je regrette de ne pas être d’accord avec le garde des Sceaux, mais, puisqu’il est statutairement décidé que nous sommes maîtres de l’organisation administrative du Comité, je demande que le Comité décide qu’il aura les textes, même si M. le garde des Sceaux ne veut pas. Nous ne sommes pas encore totalement dans un régime de dictature ! » »
Et pourtant, rien qu’à voir ce qui se passe dans ce Comité… auprès de personnages pourtant si serviles… qui ne redoutent qu’une chose : la part de suffrage universel qui va régulièrement au parti communiste depuis 1945… Consultés sur la future Constitution, les voici qui implorent la remise des fruits de leur gentil travail d’analyse… comme un quelconque salarié qui voudrait récupérer un vrai contrôle sur les produits de son activité… Un nouvel interlocuteur se manifeste à son tour :
« René Dejean : « On ne peut pas invoquer une impossibilité matérielle. Même si elle existe ce soir, d’ici à mardi, il y a trois jours. Pendant trois jours, on peut imprimer trente-neuf exemplaires. Dans ces conditions, ou il y a une volonté de ne pas nous faire connaître nos propres décisions et, à ce moment-là, je réponds que certains d’entre nous ne pourront pas continuer à siéger… »
Pierre-Henri Teitgen : « Nous ne siégerons plus. »
René Dejean : « Nous n’admettrons pas que le garde des Sceaux ou d’autres viennent nous dire de quelle manière nous devons travailler. Ce n’est pas possible. Il faut à tout prix que nous ayons ces textes mardi : le résumé des amendements votés. » »
On en était donc là !… Et rien que pour un organe « consultatif »…
Michel J. Cuny
(Ce texte est tiré de l’ouvrage électronique « Pour en finir avec la Cinquième République – Histoire de l’étouffement du suffrage universel » que j’ai publié il y a quelques mois et que l’on pourra trouver ici.)
J’apprécie votre démarche. Je suis sensible à vos remarques et à la pertinence de vos propos. Et en prime… je retrouve mes personnages favoris chez vous. Que dire de plus ? sinon Vive le France !
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