De Gaulle, maître du ballet des aveugles et des fourbes

Le 1er juin 1958, De Gaulle, ayant achevé devant les députés son discours de demande d’investiture à la présidence du Conseil, s’est aussitôt échappé avant qu’aucune question ait pu lui être posée. Un peu plus tard dans la journée, la commission du suffrage universel de l’Assemblée nationale débat jusqu’au moment où l’un des ministres d’État, Pierre Pflimlin, s’entend demander ce que vont être les lignes principales du projet de Constitution qui va finir par être soumis à référendum. Tout d’abord, il indique que sa responsabilité et celle de l’ensemble des ministres s’y trouveront engagées :
« Quel projet ? Je souligne d’abord que le projet, lorsqu’il sera établi sera l’œuvre commune du Gouvernement. C’est le Gouvernement tel qu’il est, collectivement, qui se mettra à la tâche et établira un projet sur lequel tous les membres du Gouvernement se prononceront. C’est le point important et personne ne sous-estime son importance. »

palais-bourbon

Autrement dit, les ministres concernés assument entièrement la dépossession, par l’exécutif, du pouvoir constituant… Ils se soustraient au regard souverain du suffrage universel en présence de la future loi fondamentale et de ses tenants et aboutissants.

Mais que sait donc Pierre Pflimlin (démocrate chrétien) lui-même de la suite ? Ses collègues et lui connaissent-ils quelque chose à la planche savonneuse sur laquelle ils se sont engagés ? Réponse de cet homme dont l’armée française ne donnait pas cher de la peau quelques jours plus tôt :
« Lorsque vous nous demandez « Mais que sera ce projet ? », je suis obligé de vous répondre franchement : « Je n’en sais rien. » »

Mais le socialiste Guy Mollet est bien plus disert… Parmi les ministres d’État, c’est lui le plus intéressé à savoir comment clouer le bec à ce parti communiste qui ne cesse de faire de l’ombre à son parti depuis la Libération :
« Sur ma demande expresse, le président du Conseil [Charles de Gaulle] m’a autorisé à rapporter à la commission et éventuellement à l’Assemblée ce qu’au cours d’une conversation entre mes amis politiques et lui il y a deux jours, puis hier au cours de la réunion des représentants de tous les groupes politiques de l’Assemblée sauf un [le parti communiste, bien sûr!], il avait indiqué des [sic !] grandes lignes de ses préoccupations. » 

Nous tenons donc l’interface… Un tube à essai… Une sorte de tuyau, de machin qui se glisse là où il faut, et qui tâte le terrain et sonde des cœurs… La voix de son maître qui vient renifler dans les coins de l’anticommunisme…

En tout cas, Guy Mollet nous livre ici un bobard qui ne tiendra que pendant quatre ans (1958-1962) :
« Il ne peut s’agir en aucun cas, a-t-il précisé [De Gaulle] d’une élection du président de la République au suffrage universel direct par l’ensemble des Français, car, dit-il, cela peut se faire dans d’autres pays qui restent pour autant démocratiques, mais nous avons malheureusement des précédents historiques en France avec lesquels il n’accepte absolument pas d’être confondu. » 

Nous voyons aussitôt l’intérêt de la manœuvre. Un peu plus tôt dans la journée, s’il s’était exposé aux questions des députés, De Gaulle aurait sans doute été conduit à répondre sur ce point. Intervenant en séance plénière, publique et, peut-on dire, historique, sa réponse serait devenue un engagement solennel. Les bruits de couloir rapportés par un Guy Mollet ne sont rien, pour person-ne… Le tour est joué : chacun des députés y verra ce qu’il voudra y voir…

Prenons le cas de Pierre-Henri Teitgen qui veut absolument croire que l’élection du président de la République au suffrage universel est désormais totalement exclue. Lui-même confond manifestement la proie et l’ombre :
« Le général de Gaulle a pris nettement position contre ce mode d’élection. Vous n’avez donc aucune inquiétude à avoir. » 

Au même moment, le rapporteur sur le projet de loi constitutionnelle, Albert de Bailliencourt, croit avoir enfin fait une bonne prise… Avec cela, sans doute, le législatif se sentira un tout petit peu moins humilié, et avec lui le suffrage universel direct :
« Le Gouvernement a reconnu la légitimité de nos inquiétudes. » 

Allons bon ! De quoi s’agit-il ?
« […] un comité consultatif est créé, qui permettra à l’Assemblée de participer, dans une certaine mesure, à l’élaboration de la nouvelle Constitution […]. » 

« Consultatif »… pour un rôle très « mesuré »…

Michel J. Cuny

(Ce texte est tiré de l’ouvrage électronique « Pour en finir avec la Cinquième République – Histoire de l’étouffement du suffrage universel » que j’ai publié il y a quelques mois et que l’on pourra trouver ici.)


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