Par Issa Diakaridia Koné
Dans ce dernier des trois articles que je consacre à la vidéo qui permet de revoir Houari Boumediène, tel qu’il s’exprimait devant le journaliste français Paul Balta en 1974, nous allons découvrir à quel point le grand leader algérien est troublé par ce qui s’est passé dans son pays au lendemain de la signature des accords d’Évian qui, aux yeux des non-initiés, paraissent avoir mis un point final à la colonisation française de l’Algérie depuis 1830…
Houari Boumediène (1932-1978)
Évoquant les positions de ses amis et de lui-même en mars 1962, il souligne la préoccupation principale qui était la leur :
« Pour nous, c’était : comment sauver la révolution ? comment permettre à la révolution de continuer sa marche ? Pour d’autres, c’était Alger… S’installer au pouvoir à Alger, en entrant par la grande porte, et même, et même en utilisant une certaine complicité, une certaine complicité de l’administration française. »
Ainsi tient-il à se distinguer, douze en plus tard – puisque nous sommes en 1974 – de ce qui était, selon lui, une dérive inadmissible, en présence de ce que, au-delà d’une simple conquête de l’indépendance, il estimait devoir être une révolution. Or, il tient à le rappeler : c’était bien déjà sa position à l’époque, une position connue des membres du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), si empressés, selon lui, de rester dans les bonnes grâces de l’administration française en Algérie et à Paris :
« Aux yeux du GPRA , on était des hors-la-loi. Nous, on n’a pas, on n’a pas fêté l’indépendance. Je parle de moi, je parle de tous mes compagnons, je parle de toutes les régions qu’on contrôlait à l’époque, et c’était la majorité, c’était nous. Ce qu’il y avait de plus solide, le noyau le plus dur de la révolution. »
Le principal reproche qui était alors fait au GPRA, c’était d’avoir été formé à l’étranger et de ne rien connaître de l’élan révolutionnaire qui, en Algérie même, s’était emparé de la jeunesse. Ainsi Houari Boumediène proteste-t-il rétrospectivement :
« L’Algérie, à cette époque-là, à ce moment précis avait besoin d’une équipe d’hommes qui connaissent la réalité, qui n’a pas été déphasée, donc n’a pas été éloignée, éloignée du terrain du combat, qui ait connu une certaine continuité dans l’action, une équipe qui était en mesure de dire « non », de dire « non », et d’imposer certaines mesures de redressement. »
Ensuite, il en arrive à cette prise du pouvoir par la force qu’il a dirigée en 1965, c’est-à-dire un peu plus de trois ans après la proclamation de l’indépendance algérienne :
« Le 19 juin, pour moi, c’était une sorte de réajustement révolutionnaire. On a qualifié le 19 juin de coup d’État. Je n’arrive pas à suivre une certaine logique, parce que les mêmes forces qui ont installé le pouvoir qui a été qualifié avant le 19 juin de pouvoir socialiste, ce sont ces mêmes forces qui ont pris leur responsabilité le 19 juin… »
Ainsi, pour Houari Boumediène, il n’y a eu qu’un changement de personnel… un peu comme si les précédents responsables n’avaient fait que décevoir certaines attentes, leurs successeurs provenant de la même source révolutionnaire que celle qui était là au tout début…
Enfin, il précise ce qu’il faut penser de l’influence de l’islam sur la société algérienne… Selon lui, il est impossible de s’en éloigner de quelque façon que ce soit…
« Pour moi, l’islam a toujours fait partie de nous-mêmes. L’islam, c’est notre religion. Parce que, précisément, nous sommes un pays, nous sommes un peuple, nous sommes une nation qui a un passé, qui a une civilisation, même si on a mis cette civilisation entre parenthèses, la civilisation arabo-musulmane, même si cette civilisation a été mise entre parenthèses par l’Occident, moi j’estime que nous appartenons à cette civilisation qui a existé, et qui peut, pourquoi pas, renaître dans un ensemble universel aujourd’hui. »
Ici également, selon Houari Boumediène, il ne peut pas y avoir de rupture avec le passé. Il faut reprendre le fil de l’histoire tel qu’il s’est déroulé jusqu’à présent. Aucune secousse n’est nécessaire. La révolution elle-même n’y pourra rien changer… Elle n’y aurait, de toute façon, aucun intérêt.
Pour l’Algérie, l’islam est une réalité absolument incontournable…
« […] la révolution et l’islam, moi je dis qu’il n’y a pas de contradiction. Certains disent : pour que la révolution soit pure, il faut qu’elle soit laïque… Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette définition. Il ne faut pas remplacer d’anciens prophètes par de nouveaux prophètes. À choisir, je le dis et l’ai toujours dit, entre notre prophète, entre Mohamed et de nouveaux prophètes, pour moi [le choix n’existe pas]. »
Aucune rupture, nulle part. La révolution algérienne, telle qu’elle lui paraît être portée par tout un peuple, ne paraît pas devoir s’établir, selon l’un de ses meilleurs prophètes, sur une quelconque secousse… La justice… Rien que la justice… À l’intérieur, comme à l’extérieur…
Manifestement, Houari Boumediène avait sa façon bien à lui de rêver les questions politiques… tout comme il rêvait les réponses qu’il convenait d’y faire…
Nous verrons bientôt qu’il n’y avait plus chez lui que le souvenir très amorti de ce qu’avait été la vraie grande colère dont ses camarades étaient porteurs en 1962 (et lui aussi sans doute), après avoir pris connaissance du contenu des accords d’Évian…
Pour finir, et pour se convaincre – si nécessaire – de la très (trop) grande douceur de la révolution selon Houari Boumediène, on pourra se reporter à cette petite vidéo qui dit encore quelques autres choses dont je choisis de ne pas traiter ici : https://www.youtube.com/watch?v=s18dzfonEAQ
À suivre (12)…
Issa Diakaridia Koné
NB. La collection complète des articles d’Issa Diakaridia Koné est accessible ici :
https://unefrancearefaire.com/category/lafrique-par-elle-meme/