Vladimir Poutine à l’école d’Anatoli Sobtchak : la grande initiation

Alors que le putsch d’août 1991 qui tendait à freiner la dérive de l’Union soviétique vers le camp occidental se déroulait à Moscou, Anatoli Sobtchak, le patron de Vladimir Poutine, rendait visite au chef du district militaire de Leningrad, le général Samsonov, qui y présidait justement une réunion de la branche locale des putschistes…

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Anatoli Sobtchak – Vladimir Poutine

Masha Gessen nous décrit la suite…
« […] ayant conclu ses négociations avec le général Samsonov, Sobtchak finit par rejoindre son bureau au palais Mariinski, où Poutine avait mis en place une puissante garde qu’il surveillait personnellement. » (Gessen, page 126)

Elle poursuit son récit de la façon suivante :
« […] Sobtchak, accompagné de Poutine, alla se cacher. Il passerait les deux jours suivants dans un bunker enfoui sous la plus grosse usine de Leningrad, n’en sortant qu’une seule fois pour donner une conférence de presse. » (Gessen, page 127)

C’est encore Masha Gessen qui nous rapporte ce commentaire fait ultérieurement par Vladimir Poutine, commentaire que j’ai déjà cité dans un précédent article :
« Il était dangereux de quitter le bâtiment du conseil municipal au cours des ces journées. Mais nous avons fait beaucoup de choses, nous avons été actifs : nous nous sommes rendus aux usines Kirov, nous avons parlé aux ouvriers, et nous sommes allés dans d’autres entreprises, bien que nous ne nous soyons pas vraiment sentis en sécurité. » (Gessen, page 131)

Or, le putsch doit être rangé, ainsi que nous en avons eu toute une série de preuves, dans la défense de l’État ouvrier et paysan… Qu’Anatoli Sobtchak et Vladimir Poutine soient restés dans la proximité immédiate des ouvriers à l’intérieur des usines Kirov est un indice qui ne trompe pas quant à la nature de leur position politique à ce moment précis.

Ce qui ne veut pas dire qu’ils pensaient possible d’aller à l’affrontement, d’une manière ou d’une autre : tout au contraire. Par ses contacts directs avec Boris Eltsine, Anatoli Sobtchak ne pouvait rien ignorer de la provocation qui était sous-jacente aux manœuvres esquissées par ceux dont le KGB se défiait depuis de nombreuses années déjà, n’ignorant rien de leurs accointances plus ou moins affichées avec l’étranger.

Leningrad appartenait à la RSFSR (République soviétique fédérative socialiste de Russie) dont, depuis le 12 juin précédent, Boris Eltsine était devenu le président. Agissant alors par substitution au pouvoir central désormais entre les mains des putschistes, le vice-président de cette même RSFSR dont la capitale était Moscou, le général Roustkoï, informé de la position réelle du chef du district militaire de Leningrad, avait pris, nous rapporte Masha Gessen
« […] un arrêté retirant au général Samsonov son poste de chef du district militaire de Leningrad et nommant à sa place le vice-amiral Chtcherbakov, adjoint de Sobtchak. Remplacer un loyaliste pur et dur du GKTchP [c’est-à-dire : des putschistes] par un des fidèles du maire démocrate était une mesure parfaitement raisonnable, et Sobtchak aurait dû l’approuver sans réserve. » (Gessen, page 127)

Cependant, comme nous le savons désormais avec certitude, Anatoli Sobtchak n’adhérait pas plus que Vladimir Poutine à la politique aventureuse menée par Mikhaïl Gorbatchev, et moins encore à celle dont Boris Eltsine apparaissait de plus en plus comme le porte-parole.

Cela se traduit immédiatement de la façon que nous indique Masha Gessen :
« […] en juriste avisé, Sobtchak remanie le texte de l’arrêté de Routskoï avant d’en donner lecture lors de sa conférence de presse, privant le document de toute validité. » (Gessen, page 127)

Ainsi que cela nous a été indiqué dans l’avant-dernière citation, selon les responsables de la RSFSR, qui n’est qu’une des Républiques de l’Union soviétique – même si elle est de loin la plus importante -, le général Samsonov aurait dû céder sa place au vice-amiral Chtcherbakov, et ceci simplement sur la foi d’un arrêté pris au seul niveau de l’une des Républiques. Comme Masha Gessen s’en fait à elle-même la réflexion :
« Le gouvernement démocrate de Moscou avait donc espéré que Sobtchak, en donnant lecture de cet arrêté avec toute son éloquence et toute son autorité, lui conférerait suffisamment de poids pour persuader les troupes stationnées à Leningrad que le vice-amiral Chtcherbakov était leur nouveau commandant. Or, en lisant l’arrêté, Sobtchak remplaça la dénomination de la nouvelle fonction de Chtcherbakov par « premier chef militaire », un titre inconnu, un poste imaginaire issu d’un monde parallèle et qui ne laissait planer aucun doute sur l’autorité supérieure du général Samsonov. » (Gessen, page 128)

Ce qui revient à dire qu’Anatoli Sobtchak a refusé de s’en laisser compter par le seul Boris Eltsine et son entourage, bien pressés de se saisir de l’ensemble des pouvoirs jusqu’alors en la seule possession des autorités centrales de l’URSS

Mais déjà le putsch s’achevait… Immédiatement, Mikhaïl Gorbatchev était balayé et avec lui l’Union soviétique, le tout au profit du président, Boris Eltsine, de ce qui serait bientôt désigné comme étant la Fédération de Russie, avec cette capitale de tous les scandales : Moscou.

Immédiatement, d’ailleurs, nous dit Masha Gessen :
« […] les gouvernements russe et soviétique s’attelèrent au démantèlement de la plus puissante institution soviétique, le KGB. Mais cette entreprise se révélerait infiniment plus compliquée, et beaucoup moins efficace. » (Gessen, page 128)

Ce qui est certain, c’est qu’Anatoli Sobtchak et Vladimir Poutine auront résisté jusqu’au dernier instant au processus contre-révolutionnaire en cours. Ils l’ont fait avec les moyens du bord.

Et c’est encore avec les moyens du bord qu’ils vont ensuite essayer de faire front à ce que le plus jeune des deux appellera plus tard la « belle époque de la mafia ».

Cédons la parole à Vladimir Fédorovski :
« Dans ce contexte, Poutine, en tant que premier adjoint au maire de Saint-Pétersbourg, travailla quotidiennement avec les trois profils types des acteurs économiques russes entre 1993 et 1996 : la nomenklatura reconvertie dans les affaires, les acteurs de la mafia et les nouveaux hommes d’affaires indépendants, ces derniers étant nettement minoritaires – de 15 à 20 % selon les sondages menés par le sociologue Iouri Levada, qui tôt ou tard allaient être obligés de passer sous le contrôle des deux premiers (respectivement 40-45 % et 35-40 %). » (Fédorovski, pages 67-68)

La « nomenklatura reconvertie dans les affaires », c’est-à-dire la partie idéologiquement corrompue de la direction communiste. Quant aux « nouveaux hommes d’affaires indépendants », il s’agit de la pépinière d’où sortiront les fameux oligarques.

Ayant vu ces gens à l’œuvre dès leurs tout débuts, Vladimir Poutine a eu le temps de méditer sur les outils nécessaires à une reprise en mains aussi rapide que déterminée. Ainsi Vladimir Fédorovski peut-il écrire que :
« La « méthode Poutine » remonte à cette époque. » (Fédorovski, page 69)

Mais les points d’appui dont il dispose sont le résultat de toute sa vie de travail au sein du KGB et dans la proximité de certains grands responsables militaires parmi lesquels ce général Samsonov dont nous avons vu qu’Anatoli Sobtchak avait sauvegardé les prérogatives aussi longtemps de possible, ce que Vladimir Fédorovski ne semble pas avoir vraiment compris… En effet, évoquant tout d’abord Vladimir Poutine, il appuie exagérément sur une différence dont nous savons maintenant qu’elle ne peut pas être faite aussi brutalement :
« […] il entretenait des contacts privilégiés avec les services secrets et les généraux de l’armée dirigeant la région militaire de Saint-Pétersbourg (dans ce milieu d’ailleurs le lieutenant-colonel du KGB Poutine était de loin mieux considéré que le « libéral occidentalisé » Sobtchak). » (Fédorovski, page 69)

Et c’est encore sous le signe de l’intense collaboration de ces deux hommes qu’il aurait fallu placer cette formule que le même Vladimir Fédorovski trouve bon de réserver au futur président de la Fédération de Russie :
« Cette question adressée à ses consultants allait désormais devenir une rengaine : « Est-ce légal ? ». » (Fédorovski, page 69)

C’est donc avec ce viatique que le meilleur élève d’Anatoli Sobtchak allait devoir affronter, en solitaire, sa destinée très personnelle, puisque…
« En 1996, Anatoli Sobtchak perdit la mairie de Saint-Pétersbourg, et Poutine, son travail. » (Fédorovski, page 71)

Mais l’homme était maintenant armé.

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Michel J. Cuny


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