De Gaulle : « Je les mettrai tous à la gamelle ! »

Un document de caractère public permet de situer la trajectoire politique suivie par Jean Moulin tout au long de ses années de résistance, y compris la période durant laquelle il a agi en liaison avec les républicains espagnols en sa qualité de chef de cabinet du ministre de l’Air du Front populaire : Pierre Cot, son ami. Il s’agit du serment prononcé à Paris, à l’occasion des manifestations du 14 juillet 1935 :
« Nous faisons le serment solennel de rester unis pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses, pour défendre et développer les libertés démocratiques. »

Quant au contenu de cette union, il nous est donné par Pierre Cot écrivant, en 1943, dans son livre Le procès de la République :
« Non seulement je m’honore d’avoir été un des partisans et des militants du Front Populaire, mais je demeure obstinément fidèle à la pensée dont il fut l’expression. Je vois dans le Front Populaire la tradition de la révolution française ; je pense que seule l’union des forces populaires et révolutionnaires françaises, communistes compris, libérera la France de la domination fasciste et permettra un renouveau de la démocratie. » (I, pages 16‒17)

« Communistes compris »… Ils étaient effectivement présents, avec la CGT (Confédération générale du travail), dans le Conseil de la Résistance souverain.

Quant à l’élimination physique de Jean Moulin, tout particulièrement à travers ces deux proches de Charles de Gaulle qui s’y sont très directement impliqués : le colonel Groussard et Pierre Bénouville, c’est encore Pierre Cot qui nous en donnera le sens, dans ce même contexte de lutte contre le fascisme :
« La liste des « hommes politiques à faire disparaître en premier », en cas de succès du fascisme, avait été dressée par les auteurs de ce fameux complot des « Cagoulards » sur lequel nous aurons l’occasion de revenir. La liste comprenait les noms de ceux qu’on tenait pour spécialement dangereux, c’est‒à‒dire pour capables d’organiser la résistance populaire contre le fascisme. » (I, page 40)

On voit immédiatement en quoi Jean Moulin s’inscrivait bien parmi les plus « dangereux »… En effet…

Le 27 mai 1943 au soir, l’organe souverain exprimant le serment d’union en date du 14 juillet 1935 était enfin mis en place sous la présidence de Jean Moulin  : le Conseil de la Résistance. De Gaulle n’avait plus qu’à s’y soumettre…

Vingt‒cinq jours plus tard, le 21 juin 1943, Groussard et Bénouville, en parfaite synergie, offraient Jean Moulin à Klaus Barbie qui le battait à mort : silence définitif (8 juillet 1943).

Conséquemment, bientôt, depuis Alger, De Gaulle, à lui tout seul, s’affirmait à la fois comme Gouvernement et comme État, ne tolérant plus auprès de lui qu’une Assemblée consultative, où il exigerait que, dès la libération de tout le territoire français, le Conseil National de la Résistance souverain vienne se noyer.

Voici donc l’Exécutif souverain… En face de quoi, plus rien ne doit peser vraiment, ainsi que De Gaulle l’affirme, le 2 mars 1944, devant cette même Assemblée consultative  :
« Ce que la nation et le Gouvernement attendaient, jusqu’à présent, de l’Assemblée Consultative, c’était avant tout l’expression de ses sentiments. La Nation a besoin que des hommes, tout récemment sortis du cachot dans lequel elle est enfermée, crient ses désirs et ses espérances, en même temps que ses colères et ses dégoûts. Cela, Messieurs, vous l’avez fait pendant vos deux premières sessions. Je ne crois pas que vous pensiez que tout ce qui a été dit au sein de cette Assemblée, réunie dans le tumulte de la guerre, ait été toujours équitable et rigoureusement pesé. » (Discours et messages, page 378)

Comment mieux dire que toutes ces palabres n’auront servi de rien… en face de son « action » à lui, qui fait tout ce qu’il y a à faire :
« Plus que jamais sont nécessaires l’union de tous, le combat, le travail discipliné, l’autorité entière des responsables et, d’abord, celle du Gouvernement. » (page 380)

Et trois jours après la parution de ce fameux « programme du CNR » (15 mars 1944) qui sert aujourd’hui encore à masquer l’assassinat de la souveraineté de celui‒ci par De Gaulle dès le 21 juin 1943, le même De Gaulle déclarait devant l’Assemblée Consultative (Alger, le 18 mars 1944) :
« Il est, certes, possible de dire à la nation, qui aura si durement souffert, que l’arrivée des forces françaises et alliées ne marquera pas du tout le commencement de l’euphorie. Mais le Gouvernement a le devoir de le proclamer dès à présent, comme il aura celui de prendre les mesures rigoureuses qui s’imposeront quant au rationnement, aux prix, à la monnaie, au crédit, afin que chacun, je dis chacun, puisse recevoir sa part de ce qui est vital de consommer. » (pages 384‒385)

la-gamelle-des-chiens

S’agissait‒il de préparer la mise en œuvre de ce que nous révèle cette petite discussion survenue à Colombey‒les‒Deux‒Églises, mi-décembre 1946, en présence de Claude Guy, l’officier d’ordonnance du Général, qui nous la rapporte en ces termes :
« La voix de Mme de Gaulle sort de l’ombre, timidement :
‒ À Londres, je me rappelle que vous m’avez dit un jour : « En rentrant en France, je les mettrai tous à la gamelle ! » Pourquoi ne l’avez‒vous pas fait ?
‒ Le Général : Parce qu’ils ne l’auraient pas accepté.

‒ Mme de Gaulle  : Demain, ils ne l’accepteront pas plus !
‒ Le Général : Pardon ! Nous allons traverser une période terrible ; après, seulement après, cela deviendra possible !
Et il ajoute, après un instant de silence, tristement :
‒ Eh oui, bien sûr ! La prochaine fois, il faudra employer pendant longtemps, je le crains, des méthodes d’un caractère beaucoup plus autoritaire… » (En écoutant de Gaulle, page 173) ?

Michel J. Cuny

(Ce texte est tiré de l’ouvrage électronique « Pour en finir avec la Cinquième République – Histoire de l’étouffement du suffrage universel » que j’ai publié il y a quelques mois et que l’on pourra trouver ici.


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