Pierre Cot et Jean Moulin contre Franco (et Winston Churchill ?)

J’ai déjà eu l’occasion de rapporter ces deux phrases qu’on aura pu lire dans le journal d’extrême droite, L’Action Française, du 26 août 1936 :
« Nous savons qu’on s’affaire beaucoup en ce moment dans les hangars Bloch de Villacoublay pour mettre au point les deux Bloch 200 destinés au Frente Popular. L’affaire, préparée par M. Moulin, l’un des hommes de Pierre Cot, se poursuit en dépit des belles déclarations de neutralité. »

Nous voyons donc que, dès 1936, le nom de Jean Moulin – futur grand martyr de la Résistance française, fondateur et premier président du désormais fameux Conseil National de la Résistance – était, en quelque sorte, sur la place publique…

Ce qui veut dire, tout d’abord, que Jean Moulin lui-même n’aura pas attendu le De Gaulle du 18 juin 1940 pour exister dans une dimension politique majeure…

De fait, en 1936, chef de cabinet du ministre de l’Air du Front Populaire (Pierre Cot), Jean Moulin est chargé, sous l’autorité de celui-ci, de participer au transfert d’avions, d’armes, etc., à destination de la République espagnole assaillie par le général Franco. Mais, comme la République française n’est pas très fière d’être ce qu’elle est, elle n’aide la République espagnole qu’en cachette, tandis que Mussolini et Hitler aident Franco au grand jour…

general-francisco-franco

général Francisco Franco (1892-1975)

Pourquoi donc ne le fait-elle que de cette façon ? Pourquoi admet-elle de n’être que très peu « républicaine »…

Parce que les Britanniques le lui ont demandé… Car, chez eux, la monarchie constitutionnelle marche très bien… Ils ne comprennent donc rien à cette histoire de république. Ils n’y comprennent rien depuis 1789… Encore que… Mais, ce qui est sûr, c’est qu’après le Comité de salut public emmené par Robespierre (1793), ils n’ont plus jamais voulu en entendre parler. D’autant moins qu’il paraît que, par contrecoup, cela peut parfois virer à l’Empire d’un Buonaparte

Or, la République espagnole du Frente Popular (songeons à son contemporain le Front Populaire français) a le malheur d’être appuyée par les communistes. Oh, certes, ils ne sont d’abord pas très nombreux, mais, en Grande-Bretagne, Winston Churchill, qui n’est alors pas même ministre, veille de l’oeil jaloux de celui qui aurait bien voulu aider à mettre en oeuvre, plutôt que ladite république de Weimar, une monarchie constitutionnelle dans l’Allemagne des lendemains de la Première Guerre mondiale. Pour lui, c’est bien simple, écrit-il dans ses Mémoires de guerre (1919-1941) :
« Bien entendu, je n’étais pas favorable aux communistes. Comment l’aurais-je pu, alors que si j’avais été espagnol, ils m’auraient massacré, moi, ma famille et mes amis ? » (page 117)

Or, ce cher Winston sait déjà où se trouve la cible qu’il faut très vite tenter d’atteindre, et il sait aussi par quelle voie passer pour aller lui faire un mauvais sort :
« Le gouvernement de M. Léon Blum, qui avait succédé au cabinet Sarraut le 4 juin, faisait l’objet de pressions des députés communistes de sa majorité pour qu’il fournît du matériel de guerre au gouvernement espagnol. Le ministre de l’Air, M. Cot, sans trop se préoccuper de la faiblesse de l’aviation française, livrait secrètement des avions et du matériel aux armées républicaines. Je m’inquiétai de telles initiatives, et le 31 juillet 1936, j’écrivis la lettre suivante à M. Corbin, l’ambassadeur de France à Londres. » (page 117)

Bien sûr, renseigné comme il l’est sur la politique internationale – ne pas oublier que jamais le soleil ne se couche sur l’Empire britannique qui est bien trop grand pour que pareil malheur puisse lui arriver -, Winston Churchill sait parfaitement que Pierre Cot est directement au contact de Maxime Litvinov, le ministre des Affaires étrangères d’Union soviétique, et qu’il a été le principal promoteur du traité d’assistance mutuelle franco-soviétique que Pierre Laval s’est chargé de vider de toute sa substance…

Ainsi, agir contre Pierre Cot, ministre de l’Air du Front Populaire, en défaisant le lien idéologique qui unissait ce dernier au Frente Popular espagnol, c’était jeter une énorme pierre dans le jardin de l’ensemble des régimes républicains, mais c’était aussi se dresser contre la ligne proposée par Maxime Litvinov – justement – d’unir l’ensemble les antifascistes – communistes, socialistes, radicaux, etc. – dans des fronts populaires… pour opposer un frein à la montée apparemment irrésistible des Mussolini, Hitler, Franco, etc., en attendant que la France elle-même finisse par leur trouver, à son tour, un rejeton…

Dans sa lettre à l’ambassadeur de France en Grande-Bretagne, pour bien enfoncer le clou, Churchill n’hésite pas à se faire le porte-parole de l’ensemble du peuple britannique, alors qu’il n’est encore que député :
« Je suis sûr que si la France envoyait des avions à l’actuel gouvernement de Madrid, et si les Allemands et les Italiens intervenaient dans l’autre sens, c’est avec l’Allemagne et l’Italie que seraient en sympathie les forces dominantes de notre pays, et c’est de la France qu’elles s’éloigneraient. »  (page 117)

On dirait qu’il fallait, décidément, se ranger du côté d’Adolf Hitler… pour avoir sa place dans l’Europe de ce temps-là : Pierre Cot et Jean Moulin ne l’auraient donc pas…

Et qui donc se souvient encore d’eux aujourd’hui ?

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Michel J. Cuny

 


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