Tandis que Pierre Cot, ministre de l’Air du Front Populaire, et son chef de cabinet, Jean Moulin, s’affairaient autour de l’aide à apporter à la République espagnole (gouvernement de Frente Popular), nous avons vu que Winston Churchill dénonçait ce ministre français auprès de l’ambassadeur de France en Grande-Bretagne, au nom du peuple britannique qui, selon lui, ne pouvait que se placer du côté des Italiens de Mussolini et des Allemands de Hitler, et non pas du côté français, face à l’assaut mené par le général Franco contre les institutions républicaines…
Ce qui est une autre façon de dire que, si jamais il devait arriver à Hitler et Mussolini de prendre telle ou telle mesure de rétorsion contre cette France-là, il ne faudrait pas compter sur les Britanniques pour plaindre celle-ci… ni pour l’appuyer de quelque façon que ce soit…
Mais ce n’était pas la première fois qu’en un très court laps de temps, la Grande-Bretagne faussait compagnie à la France sur le terrain des relations internationales. Elle n’avait même pas attendu la prise de pouvoir par ce Front Populaire que Churchill détestait.
En effet, souvenons-nous de cette découverte – dont il nous disait qu’elle avait été faite par l’Amirauté britannique au milieu de l’année 1935 – de deux cuirassés de poche construits par les Allemands en contravention avec les normes de dimension maximale fixées par le traité de Versailles (1919)…
Voici maintenant ce qu’il nous en dit :
« Devant cette violation impudente et frauduleuse du traité de paix, soigneusement préméditée et amorcée au moins deux ans auparavant (en 1933), l’Amirauté jugea opportun de négocier un accord naval anglo-allemand. Le gouvernement de Sa Majesté le fit sans consulter son alliée la France, et sans en informer la Société des Nations. » (page 91)
Et c’est sur le second point que l’ignominie de ce gouvernement prend des proportions très impressionnantes, tellement que Churchill ne peut manquer de s’en montrer choqué :
« Au moment précis où il en appelait lui-même à la Société des Nations et sollicitait le soutien de ses membres pour protester contre la violation par Hitler des clauses militaires du traité, il s’employait par un second accord particulier à en rendre caduques les clauses navales. »
De quelle façon ? Lisons la suite du propos de Churchill :
« La clause principale de cet accord était l’engagement pris par l’Allemagne de ne pas porter sa flotte à plus du tiers de la flotte britannique. […] Enchantée de cette perspective, en prenant les engagements de l’Allemagne pour argent comptant, l’Amirauté lui concéda ensuite le droit de construire des sous-marins, ce que le traité de paix lui interdisait formellement. » (page 91)
Y a-t-il quelque raison précise à ce basculement si discret de la Grande-Bretagne – dès 1935 – du côté des intérêts stratégiques (dont la guerre sous-marine est, bien sûr, un élément essentiel, voire déterminant) de l’Allemagne. C’est ce que nous apprenons de Churchill lui-même une petite vingtaine de pages plus loin :
« Le nouveau Reich se présentait à l’époque comme un rempart contre le bolchevisme, et affirmait donc ne pouvoir envisager une collaboration avec les Soviétiques. Hitler déclara à l’ambassadeur de Pologne à Berlin le 18 décembre qu’il était « absolument opposé à toute collaboration de l’Occident avec la Russie ». » (page 108)
Il fallait donc s’en remettre à lui… et bien se garder soi-même de tout rapprochement, même indirect, avec le pays des Soviets… Rappelons-nous cet accord dédoublé, obtenu par l’opiniâtre Pierre Cot, pour réunir indirectement l’URSS à la France autour de la protection, par chacun des deux pays, de la Tchécoslovaquie. Voilà l’exemple même de ce que Hitler refusait aux Occidentaux.
Laissons maintenant passer deux années. Nous voici en 1937. Winston Churchill n’a encore aucune responsabilité ministérielle, mais il est un personnage politique britannique suffisamment important pour attirer sur lui l’attention d’un envoyé très spécial d’Hitler… le futur ministre des Affaires étrangères du Reich, pour l’instant encore, seulement ambassadeur d’Allemagne en Grande-Bretagne :
« Notre conversation dura plus de deux heures. Ribbentrop fut des plus courtois, et nous fîmes un tour d’horizon de la situation européenne, tant sur le plan des armements que sur celui de la politique. » (page 126)
Ribbentrop (1893-1946) – Churchill (1874-1965)
Que se seront-ils dit ?… En tout cas, plus tard, il y aura une « petite » divergence quant à l’éventuel contenu de cet entretien où, nous dit-on comme en passant, la courtoisie n’a jamais été prise en défaut… Churchill s’en fait l’écho, et de façon plus que spirituelle :
« Lorsque les vainqueurs le firent passer en jugement, Ribbentrop, qui jouait sa tête, présenta une version déformée de cette conversation, et demanda que l’on me cite comme témoin. Si j’avais été convoqué, je n’aurais rien dit d’autre que ce que j’ai rapporté ici. » (page 127)
Le sujet était évidemment grave. Ribbentrop…
« […] avait demandé à Hitler de le laisser venir à Londres, afin d’y plaider à fond la cause d’une entente, voire d’une alliance anglo-allemande. » (page 126)
« Voire d’une alliance »… Pas un petit rien, évidemment… Alliance sans qui ? contre qui ?… Et pour promouvoir quelle politique ? Une chose est sûre : l’URSS était dans le collimateur des deux puissances. Mais pour quoi en faire ?…
Avançons. En cas d’entente, annonce Ribbentrop…
« L’Allemagne garantirait la grandeur et l’intégrité de l’empire britannique. Elle pourrait réclamer la restitution des colonies allemandes, mais ce n’était évidemment pas capital. » (page 126)
Ce qui l’était, c’est bien ce que nous pressentions. Et cela nous rappelle ce que Churchill nous a dit à propos de l’époque de la république de Weimar, c’est-à-dire du régime républicain qui avait précédé l’arrivée d’Hitler au pouvoir en janvier 1933 :
« Personnellement, je ne fus jamais opposé à la possibilité de donner plus ample satisfaction à l’Allemagne quant au tracé de sa frontière orientale ; mais l’occasion ne s’en présenta pas pendant ces brèves années d’espoir. » (page 41)
Hitler serait-il un peu trop gourmand ? Là est toute la question. Car, en échange de cet engagement de ne pas toucher un seul cheveu de l’Empire britannique, l’Allemagne nazie souhaite qu’on lui laisse carte blanche du côté de l’ennemi universel du monde capitaliste :
« Ce qu’elle demandait, c’était que la Grande-Bretagne lui laissât les mains libres dans l’est de l’Europe. Il lui fallait son Lebensraum, un espace vital pour sa population croissante. En conséquence, la Pologne et le couloir de Dantzig devaient être absorbés ; la Russie blanche et l’Ukraine étaient indispensables à l’avenir d’un Reich allemand de quelque 70 millions d’âmes. » (page 126)
Pour l’Histoire, et pour les naïfs, voici la réponse que Winston Churchill prétend avoir faite à un son interlocuteur qui considérera huit ans plus tard que c’est ne pas vraiment tout dire :
« Ayant entendu tout cela, j’exprimai immédiatement ma conviction que le gouvernement britannique n’accepterait pas de laisser le champ libre à l’Allemagne en Europe de l’Est. » (page 126)
Quel champ, alors ? De quelles dimensions ?
Suffisamment large et profond sans doute, puisque, jusqu’au renversement stratégique qui va jeter l’Allemagne nazie contre l’URSS, le catalogue des concessions à faire à Hitler, sous le contrôle de la Grande-Bretagne, ne cessera de s’allonger. C’est précisément ce dont Winston Churchill s’apprête à faire pour nous le détail…
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Michel J. Cuny