Un phare pour le sionisme : Benjamin Disraeli

Comme je l’ai montré antérieurement, dans le projet sioniste défini par Theodor Herzl en 1896, la Grande-Bretagne occupe une place de choix. Or, à cette époque-là, le Royaume-Uni était – et de très loin – la première puissance impérialiste au monde.

Pour sa part, Theodor Herzl nous a montré que, parmi ses soucis, il y avait celui de placer, en Palestine, les plus pauvres des Juifs – et tout spécialement ceux qui viendraient de Roumanie et de Russie – sous un système de travail très intensif, militarisé et soumis à un contrôle médical pour pouvoir être poussé à son maximum.

Parallèlement, le père fondateur du sionisme voyait dans le transfert, au même endroit, de l’intelligentsia juive pauvre un moyen d’arracher celle-ci au socialisme.Ainsi, pour bien comprendre la passion avec laquelle, dans Les origines du totalitarisme (1951), la sioniste Hannah Arendt s’acharne à détruire, par les moyens les plus ignobles et dont elle fait l’aveu, la réputation de Staline en répétant à n’en plus finir qu’il n’y a aucune preuve de ce qu’elle avance, il est salutaire de voir comment elle chante, de façon tout aussi délirante, les mérites de l’homme qui surpasse, selon elle, tout ce que l’humanité a connu : le Juif Benjamin Disraeli, Premier ministre de la reine d’Angleterre Victoria, en 1868 puis de 1874 à 1880.

Benjamin Disraeli

Benjamin Disraeli (1804-1881)

Ainsi, s’il y a du diable dans Staline, il y a, selon elle, du dieu dans Disraeli, et la vie humaine, avec les déterminismes qui sont les siens, n’y est pour rien. Il n’y a donc à chercher aucun document. Il faut se laisser aller à ses propres fantasmes, voire aux plus enfantines fantasmagories. Entrons donc dans la légende du prince Benjamin Disraeli telle qu’une petite fille aurait pu la rêver :
« Benjamin Disraeli, qui s’intéressait à une chose par-dessus tout dans la vie, la carrière de lord Beaconsfield [c’est le titre de noblesse qu’il s’était acquis], se distinguait par deux traits : d’abord ce don des dieux que nous autres, modernes, appelons banalement la chance et qu’on révérait autrefois sous le nom de la déesse Fortune ; en second lieu, et plus étonnamment proche de la Fortune qu’on ne pourrait l’expliquer, une insouciance, une innocence de l’esprit et de l’imagination qui empêche de voir en lui un ambitieux ordinaire, bien qu’il ne s’intéressât jamais sérieusement qu’à sa carrière. » (Michel J. Cuny, Quand le capital se joue du travail, Editions Paroles Vives 2012, page 275)

Tout… mais son contraire. Ne songeant qu’à lui, mais… Et pour toute explication, pour toute preuve : la Fortune « qu’on révérait autrefois », mais « que nous autres, modernes… » Pauvres de  nous !…

Pour prendre une idée plus précise de ce qui aura enchanté véritablement Hannah Arendt chez Disraeli, et de ce qui aura, par contre, fait totalement défaut, selon elle, à Staline, lisons la suite de cet éloge dithyrambique qu’elle fait du Premier ministre de la reine Victoria :
« Sa vie et sa carrière ressemblent à un conte de fées dont il serait le prince, offrant la fleur bleue des romantiques – la primevère de l’Angleterre impérialiste – à sa princesse, la reine d’Angleterre. » (Idem, page 276)

Ici, un premier doute nous saisit : l’impérialisme anglais mérite-t-il vraiment d’être assimilé à la délicatesse d’une primevère ? Faut-il d’ailleurs voir dans cette thématique la possible matière d’un conte de fées ? Hannah Arendt nous parle-t-elle très sérieusement ? Ne ferait-elle qu’ironiser ? Peut-être n’aura-t-elle pas su en quoi consistait la réalité même de la conquête impérialiste… Mais, déjà, elle enchaîne :
« L’entreprise coloniale britannique était le pays enchanté sur lequel le soleil ne se couchait jamais et sa capitale la mystérieuse Delhi, en Asie, où le prince voulait enlever sa princesse pour échapper aux brumes prosaïques de Londres. » (page 276)

Que c’est donc beau ! Mais Disraeli était-il décidément l’émissaire du bien, tandis que Staline était celui du mal absolu ? Sur ce terrain, comment qualifier le prince de Victoria ? Réponse d’Hannah Arendt à la seconde question :
« Voici un homme qui était décidé à vendre son âme au diable, mais le diable n’en a pas voulu, et les dieux lui ont donné tout le bonheur de la terre. » (page 276)

Cependant que Staline, abandonné des dieux, n’aura pu être empêché de vendre son âme au diable qui l’aura donc accueillie avec tous les honneurs dus à l’étendue de son avilissement…

Mais quelle est cette divinité si particulière qui a pris un tel soin de Disraeli en reconnaissant en lui un élu ? Quelle conscience avait-il, lui-même, de cette « élection » ? Sur le second point, selon Hannah Arendt, il n’y a aucun doute :
« Il savait d’instinct que tout dépendait de « la distance le séparant des simples mortels » et de la mise en valeur de l’« étrangeté » qui était sa chance. » (page 277)

C’est alors que nous lisons, avec une certaine inquiétude, cette étonnante formule de la grande admiratrice sioniste de Benjamin Disraeli :
« C’était un Anglais impérialiste et un Juif chauvin. Mais il est facile de lui pardonner un chauvinisme qui n’était guère qu’un jeu de l’imagination car, après tout, « l’Angleterre était l’Israël de son imagination ». » (Idem, page 277)

Michel J. Cuny

Clic suivant : Benjamin Disraeli et l’excellence juive, selon Hannah Arendt


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