1993 : un procès politique pour obtenir un jugement de condamnation à mort contre le général Moussa Traoré, président de la République du Mali (1968-1991)

Par Issa Diakaridia Koné

Michel J. Cuny et moi voulions savoir si le procès fait, en 1993, au général Moussa Traoré, chef de l’État malien renversé par un coup d’État en 1991, avait été juste.

Général Moussa Traoré
Président de la République du Mali (1968-1991)

Nous avons alors découvert, sur Internet, le rapport rédigé, à l’époque, par M. Laïty Kama, à la demande de la Commission Internationale de Juristes (C.I.J.).

Laïty Kama, avocat général près la Cour de Cassation du Sénégal et expert du Groupe de travail sur la détention arbitraire de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies, s’était rendu en qualité d’observateur à Bamako, du 4 au 8 janvier, et du 20 au 29 janvier 1993, pour assister au procès de M. Moussa Traoré et de ses trente-deux coaccusés.

Rendant compte des événements qui avaient conduit le président malien, général Moussa Traoré, devant la Cour d’Assises de Bamako au mois de janvier 1993, après qu’il ait été renversé par un coup d’Etat au mois de mars 1991, le juriste international Laïty Kama écrit :
« L’on se souvient que pendant les journées des 21 et 22 janvier et surtout des 22 au 26 mars 1991, des manifestations organisées par des forces politiques, syndicales et estudiantines opposées au régime en place ont éclaté au Mali, dans plusieurs localités de ce pays et principalement à Bamako. Ces manifestations qui se sont traduites par la pose de barricades et la mise à sac ou l’incendie de plusieurs bâtiments publics et privés ont été violemment réprimées par les forces de l’ordre. Ce qui devait provoquer d’après les chiffres officiels la mort de quelque 106 personnes et plus de 500 blessés mais aussi le renversement, le 26 mars 1991 du Général Moussa Traoré par un groupe de militaires. » (page 3)

Le cadre général étant posé, l’éminent spécialiste sénégalais du droit s’interroge :
« S’agit-il d’un procès essentiellement politique devant mettre en cause uniquement la responsabilité politique de Moussa Traoré et de son régime dans les graves événements survenus au Mali ? » (page 3)

Autrement dit : au-delà des faits – terribles, et dont il faudrait définir l’ensemble des circonstances et l’identité des responsables -, le tribunal n’aurait-il été désigné que pour mettre en cause le régime politique établi par le général Moussa Traoré dès sa prise de pouvoir – par un coup d’Etat également – en 1968 ?

La suite du témoignage de Laïty Kama devrait nous fournir la réponse d’un éminent spécialiste de ce genre de question.

S’il ne s’agit pas d’un procès politique, mais d’une affaire strictement criminelle, poursuit M. Laïty Kama, il doit répondre à ces deux questions :
« Qui a tiré ? Qui en a donné l’ordre ? » (page 8)

Or, la suite montrera que le tribunal ne veut pas aller dans cette direction.

Pourtant…
« la Chambre d’instruction avait donné un début de réponse à ces questions […]. » (page 8)

Elle était allée jusqu’à évoquer…
« l’inculpation et le placement éventuel sous mandat de dépôt du Lieutenant-Colonel Bakary Coulibaly dont le nom reviendra constamment durant tout ce procès. » (page 8)

Qui est le lieutenant-colonel Bakary Coulibaly ?

Il s’agissait, nous dit M. Laïty Kama, de l’officier qui…
« dirigeait l’ensemble du dispositif mis en place pour le rétablissement de l’ordre ». (page 8)

Mieux… il…
« élaborait les projets d’ordre d’opération qu’il soumettait à la signature du Chef d’Etat Major Général, le Colonel Ousmane Coulibaly. » (page 8)

Or, le lieutenant-colonel Bakary Coulibaly connaissait parfaitement la dangerosité des armes qui étaient aux mains des hommes placés sous ses ordres, insiste M. Laïty Kama, qui se réfère aux éléments rassemblés en vue du procès :
« Selon la Chambre d’accusation toujours, les grenades offensives utilisées par les éléments de l’Armée qui étaient engagés dans les opérations de rétablissement de l’ordre ont été testées par Bakary Coulibaly lui-même qui n’a pas hésité à ordonner leur distribution malgré le constat fait du danger qu’il y avait de les utiliser. » (page 8)

En conséquence, le lieutenant-colonel Bakary Coulibaly ne pouvait plus seulement être considéré comme un simple témoin. Manifestement, ses responsabilités allaient bien plus loin. L’éminent juriste rappelle alors ce qui figure au dossier :
« Et la Chambre d’instruction d’envisager, comme dit plus haut, l’inculpation de cet officier contre lequel existaient désormais des indices sérieux de culpabilité ne permettant plus de l’entendre comme témoin. » (pages 8-9)

Malheureusement, on ne peut que le déplorer :
« Ce n’était toutefois pas l’avis du Parquet Général près la Cour Suprême qui a refusé de délivrer le réquisitoire supplétif sollicité. La raison avancée est que le peuple malien aurait pardonné à son Armée. » (page 9)

Ainsi ne serait-il plus possible de mettre en cause le bras armé du général Moussa Traoré. Il n’y aurait donc plus qu’à s’en prendre à l’ancien président pour des raisons politiques. Nous retombons bien sur le procès « politique » redouté par M. Laïty Kama au titre de la Commission Internationale de Juristes

Mais, à ce moment précis, nous apprenons autre chose qui ne peut que faire naître un doute que le juriste sénégalais partage lui aussi très manifestement quand il écrit :
« S’y ajoute que cet officier qui avait participé au Coup d’Etat contre Moussa Traoré était lui aussi compris dans l’amnistie décidée par le C.T.S.P. Le C.T.S.P est le « Comité de Transition pour le Salut Public » institué à la suite du coup d’Etat, et présidé par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré. » (page 9)

Ainsi, après avoir fait couler le sang pour le compte, apparemment, du président en place, le lieutenant-colonel Bakary Coulibaly a très vite basculé dans le camp d’en face !…

Affaire à suivre (7)…
Président de la République du Mali (1968-1991), le général Moussa Traoré aura-t-il été victime d’un procès politique en 1993 ?

Issa Diakaridia Koné


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