Septembre-octobre 1939 : à quel titre encabaner les communistes ?

Entrée le 3 septembre 1939 dans ce qui s’appellera plus tard « la drôle de guerre », la France de Daladier avait donc interdit le parti communiste, et l’ensemble de ses annexes, par décret paru le 27 septembre 1939. Plutôt que de se porter au secours de la Pologne, elle s’engouffrait, avec un certain enthousiasme, dans ce qui ne pouvait que déboucher sur une guerre civile à laquelle les troupes allemandes finiraient par fournir le point d’orgue de quelques années d’occupation du pays et de chasse à mort aux communistes et autres résistants d’obédience communiste.

Marcel Cachin (1869-1958)

Très vite, cette guerre civile aura été tangible.

Ainsi, le 4 octobre 1939, à 15 heures, le président du Sénat, Jules Jeanneney, recevait-il une visite très significative :
« Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur vient m’annoncer qu’un décret qui paraîtra demain au J.O. prononcera la clôture de la session extraordinaire. La raison : pouvoir entreprendre des poursuites contre les députés communistes signataires de la lettre à Herriot sans avoir à ouvrir devant les Chambres un débat sur l’immunité parlementaire. Le président Daladier aimerait savoir si j’ai à cela une objection fondamentale. » (Jules Jeanneney, Journal politique, page 18)

Avant de voir en quoi pouvait consister cette « lettre à Herriot », président de la Chambre des députés, pour devoir entraîner des poursuites en travers desquelles se mettait momentanément l’immunité parlementaire des députés communistes, arrêtons-nous sur cet avis essentiel, puisqu’il émane du président du Sénat, que va donner, en toute objectivité, ce personnage éminent de la France républicaine, assez plein de lui-même :
« Je suis sensible à la déférence de la démarche. Voici, sur le fond, mes réflexions :
On va recourir à un expédient commode, mais inglorieux et dont le précédent n’est pas sans inconvénient. Va pourtant pour l’expédient, si les circonstances (guerre, mœurs de la Chambre) l’imposent. » (page 18)

Donc, pour coincer les parlementaires communistes, dans le cadre d’une guerre déclarée à l’Allemagne mais qu’on ne veut surtout pas faire, tout est permis. Hitler vaut bien cet expédient-là… Et Jules Jeanneney est un grand monsieur.

Laissons-lui, alors, le loisir de nous en dire un peu plus :
« Mais puisqu’on va esquiver ainsi une formalité protectrice de l’institution parlementaire, que, du moins, le fondement de la poursuite qu’on va introduire et celui de l’incarcération qui va suivre probablement, soient solides. » (page 18)

« Incarcération » ! Voilà donc ce qui pend au nez des députés communistes qui se sont même permis d’écrire, le 1er octobre 1939, une lettre au président de la Chambre à laquelle ils appartiennent, Édouard Herriot, tout comme leur sénateur, Marcel Cachin, s’était risqué à écrire au président du Sénat, Jules Jeanneney, dès le 7 septembre ! Sans doute la seconde lettre envoyée était-elle criminelle. Nous n’en doutons plus, tandis que Jules s’avance sur une voie tout de même un peu douteuse :
« Pratiquement, c’est une déchéance provisoire que les députés en cause vont subir. Il faut qu’on ait, dès à présent, certitude d’obtenir une condamnation infamante ou pour le moins déshonorante, qui serve de base à la déchéance, que la Chambre a seule droit de prononcer. » (page 18)

Jules Jeanneney est décidément un grand monsieur…

Car, bien sûr, si le bon Jules s’inquiète de la « certitude d’obtenir », c’est qu’elle n’y est pas encore… cette « certitude ». Mais il est plein de bonne volonté, en la circonstance :
« Ce n’est pas le simple délit de reconstitution d’association dissoute, sorte de délit contraventionnel, qui suffirait à cela. » (page 18)

Bon ! si lui nous le dit… Mais n’y a-t-il vraiment rien d’autre ? Allons, Jules, un petit effort d’imagination. C’est pour la bonne cause !…
« S’arme-t-on de la lettre à Herriot ? Elle constitue du défaitisme, c’est certain. » (page 18)

Et, allez-hop, en taule, les gaillards !

Mais, est-ce véritablement crédible ?… Voilà donc que les communistes seraient tout à coup devenus défaitistes, alors que Marcel Cachin vient tout juste d’écrire le contraire au président du Sénat, Jules Jeanneney

Qu’y avait-il véritablement dans la lettre envoyée à Édouard Herriot, le 1er octobre 1939, et revêtue de la signature d’Arthur Ramette et de Florimond Bonte  ? En voici le passage principal :
« Nous voulons de toutes nos forces une paix juste et durable, et nous pensons qu’on peut l’obtenir rapidement, car en face des fauteurs de guerre impérialistes et de l’Allemagne hitlérienne en proie à des contradictions internes, il y a la puissance de l’URSS qui peut permettre la réalisation d’une politique de sécurité collective susceptible d’assurer la paix et de sauvegarder l’indépendance de la France. Voilà pourquoi nous avons conscience de servir les intérêts de notre pays en demandant que les propositions de paix qui vont être faites à la France soient examinées avec la volonté d’établir au plus vite la paix juste, loyale et durable que, du fond du cœur, souhaitent nos concitoyens. » (page 374)

Rappelons qu’à ce moment, il y a déjà un mois que la Grande-Bretagne et la France ont déclaré la guerre à l’Allemagne pour protéger une Pologne qu’elles n’auront aidé en rien, et qui, en ce début d’octobre 1939, n’existe déjà plus, alors que, désormais, les troupes allemandes sont au contact, direct, de celles de l’URSS

De quel défaitisme prétend parler Jules Jeanneney  ? Lui et ses petits camarades craignent-ils tant que cela de voir la guerre avec l’Allemagne leur échapper parce qu’en accord avec les Soviétiques, ils auraient frappé très fort sur la table ? Évidemment non.

Évidemment, oui : l’autre option, c’est de faire comprendre à Adolf Hitler qu’en envahissant la Pologne, il s’est décidément tourné du bon côté. Encore un effort : en avant toute, à l’Est !…

Donc, en réintroduisant l’URSS dans le jeu diplomatique, les communistes ne sont que des défaitistes qui trahissent les intérêts fondamentaux du capitalisme occidental !

À quel titre, alors, les mettre véritablement en cabane ?

Nous allons voir que Jules Jeanneney ne s’y avance qu’à pas de loup… Madré, ce brave homme !

Michel J. Cuny

(Ce texte est tiré de l’ouvrage électronique « Pour en finir avec la Cinquième République – Histoire de l’étouffement du suffrage universel » que j’ai publié il y a quelques mois et que l’on pourra trouver ici.)


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.