C’est par la « trouée » pratiquée à Sedan grâce à la « bonne volonté » du général Huntziger, que les troupes allemandes ont pu pénétrer en France en mai-juin 1940, et anéantir « l’armée la plus puissante du monde » en quelques jours…
Certes, Huntziger n’était pas seul dans cette grande manœuvre qui consistait à offrir une victoire rapide à Hitler, d’une part, pour obtenir quelques faveurs dans le « traitement » qu’il prétendait imposer à l’ennemi héréditaire de l’Allemagne, et, d’autre part, pour obtenir qu’il se retourne très vite contre Staline.
L’ensemble du haut Etat-Major français a aidé Huntziger… Y compris – nous verrons cela – un certain Charles de Gaulle.
Mais, dans les félons, il faut aussi compter l’ensemble de ce qu’il restait de la Chambre des députés, après élimination des élus du parti communiste. En effet, le rapport Taittinger n’a, semble-t-il, inquiété personne dans cette très patriotique assemblée. La peur du communisme aura sans doute suffi à tout justifier. Et puis aussi, peut-être (pour les plus cultivés), les exemples mémorables donnés au temps de la Révolution de 1789 et de ses suites par des généraux félons de la dimension d’un Dumouriez ou d’un La Fayette… En ce qui concerne ce dernier, on ne sache pas qu’aujourd’hui il y ait même quelques dizaines de citoyens à avoir un vraie conscience de ce qu’il était et de ce qu’il a fait pour que le peuple de Paris hurle qu’il fallait illico le fusiller ou le pendre…
De même, donc, pour les généraux français de 1940… C’est le maréchal Pétain qui a tout reçu… y compris la condamnation à mort.
Un heureux hasard va nous fournir maintenant un témoin de choix. Nous commençons à le bien connaître, mais, cette fois, il est titulaire d’une responsabilité inouïe, puisque, depuis le 10 mai 1940, il était Premier ministre et ministre de la Défense de sa Très Gracieuse Majesté le roi d’Angleterre. Il s’agit, bien sûr, de Winston Churchill. Nous le reprenons à partir de ses Mémoires de guerre, cinq jours après sa nomination. Il est à Londres :
« Le 15 mai, vers 7 heures et demie du matin, on me réveilla pour m’avertir que M. Reynaud me demandait au téléphone. » (page 272)
C’est que Paul Reynaud a remplacé Edouard Daladier, le premier récipiendaire du rapport Taittinger. Il est lui-même président du Conseil et ministre des Affaires étrangères depuis le 21 mars 1940…
Suivons le témoignage de Churchill, qui entend immédiatement au bout du fil un discours auquel il ne veut tout d’abord accorder aucun crédit :
« « Nous avons été battus. » Comme je ne répondais pas immédiatement, il répéta : « Nous sommes battus ; nous avons perdu la bataille. » Je dis : « Cela n’a certainement pas pu arriver si vite. » Mais il répliqua : « Le front est percé près de Sedan ; ils affluent en masse avec des chars et des véhicules blindés » – ou quelque chose comme cela. » (page 272)
Hein !… Quand on vous le disait !… Ben voilà : c’est fait ! Un vrai travail d’artistes, à ce qu’il paraît :
« Une brèche d’environ 80 kilomètres avait effectivement été ouverte dans la ligne française, par laquelle s’engouffrait l’énorme masse des blindés ennemis, et la 9ème Armée française était dans un état de complète désagrégation. » (page 272)
Laissons passer un jour. Que tout cela se décante… Et retournons auprès de Churchill… Non, non, décidément, impossible de se tromper …
« Le 16 [mai 1940], nous reçûmes confirmation d’une percée allemande de plus de 95 kilomètres depuis la frontière près de Sedan. » (page 272)
Huntziger, mon ami, vous nous épatez !…
Voudrait-on encore quelques précisions… Mais il suffit de les demander au Premier ministre britannique qui avait pu s’entretenir en France, ce même jour, avec le généralissime français Gamelin :
« Le commandant en chef expliqua brièvement ce qui s’était produit. Au nord et au sud de Sedan, sur un front de 80 à 95 kilomètres, les Allemands avaient effectué une percée. L’armée française qui leur faisait face était détruite ou dispersée. » (page 273)
Rien que du billard !… Incroyable !… Mais gardons nos émotions pour un peu plus tard, puisqu’il paraît que nous n’en sommes encore qu’aux hors-d’oeuvre. Voici maintenant le plat de résistance offert par l’armée française de ce joli temps-là. C’est Churchill qui nous l’apporte bien chaud :
« Derrière les blindés, dit Gamelin, huit ou dix divisions entièrement motorisées avançaient avec leurs propres flancs-gardes, entre les deux armées françaises disjointes et désorganisées. Le général parla pendant cinq minutes peut-être sans que personne ne dît un mot. Quand il s’arrêta, un très long silence se fit. Je demandai alors : « Où est la réserve stratégique ? » ; et passant au français, que j’employais indifféremment (à tous les sens du terme) : « Où est la masse de manœuvre ? » Le général Gamelin se tourna vers moi et, avec un hochement de tête et un haussement d’épaules, il répondit : « Aucune. » » (page 273)
Qu’on songe, un court instant, aux si fameux taxis de la Marne de 1914… Cette fois, tout était bien mieux : derrière la ligne de front, en 1940, il n’y avait rien de rien ! Ce que c’est tout de même que d’être « expérimentés »… Quant à Winston Churchill, il ne s’en remet pas. A l’entendre, on peut même imaginer qu’il est complètement hébété :
« […] il y avait deux facteurs nouveaux que je n’aurais jamais pensé devoir rencontrer : premièrement, l’incursion irrésistible de véhicules blindés, qui submergeait l’ensemble des lignes de communications et des campagnes ; deuxièmement, PAS DE RÉSERVE STRATÉGIQUE. « Aucune » J’étais abasourdi. Que devions-nous penser de la grande armée française et de ses chefs suprêmes ? Il ne m’était jamais venu à l’esprit que des commandants chargés de défendre 800 kilomètres d’un front aussi exposé, pourraient ne pas conserver une masse de manœuvre. Personne ne peut défendre à coup sûr un front aussi étendu ; mais lorsque l’ennemi s’est lancé dans une grande offensive qui perce le front, on peut toujours avoir – on doit toujours avoir – une masse de division pour mener une vigoureuse contre-offensive, au moment où l’élan initial de l’offensive s’est épuisé. » (page 274. Les lettres capitales sont bien dans le livre de Winston Churchill)
Voilà, maintenant, c’est écrit en français… Comptons qu’il y aura quelques lecteurs et quelques lectrices… qui accepteront de ne pas en rester à cette farce du 18 juin 1940…
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Michel J. Cuny