Les traites orientales et occidentales
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Une Afrique exsangue
La traite et la mise en esclavage d’êtres humains remontent aux temps immémoriaux des guerres et ont été pratiquées dans toutes les régions du monde.
La traite dite intra-africaine et la mise en esclavage d’Africain(e)s sur le sol africain lui-même, n’avaient pas privé le continent de sa population et, notamment, de sa main-d’œuvre. La traite orientale et la mise en esclavage, qui n’avaient pas seulement touché l’Afrique mais aussi l’Europe et l’Asie, auraient enlevé au continent africain, selon des estimations très aléatoires, faute de documents, de 7 à 12 millions d’êtres humains (12, selon les chiffres donnés par l’Unesco en 2004) asservi(e)s, pour la plupart, dans des pays voisins. La traite coloniale, la déportation par-delà l’Océan, et la mise en esclavage occidentales uniquement des Noir(e)s, quant à elles, ont prélevé, en Afrique, de 15 à 18 millions d’êtres humains qui étaient choisis parmi les plus vigoureux, pour le plus grand profit des Amériques…
À propos de la traite et de l’esclavage des Noir(e)s au profit des propriétaires européens/états-uniens, Danielle Pétrissans-Cavaillès écrit : « Quoi qu’il en soit, dans ce « système mortifère », il faut ajouter pour chaque esclave parvenu à destination, la perte de cinq hommes morts avant d’arriver, victimes de la violence ou des conditions de transport ! De la sorte, la population africaine au milieu du XIXème siècle qui a été évaluée à 100 millions d’habitants, aurait été du double sans la traite. » [Danielle Pétrissans-Cavaillès, Sur les traces de la traite des Noirs à Bordeaux, L’Harmattan 2004, pages 114-115.] Sans dire tous les malheurs qui ne se chiffrent pas… Sans dire tous les Africains et toutes les Africaines qui, lors des chasses aux esclaves, ont été tué(e)s sur place en Afrique parce qu’ils-elles opposaient une résistance farouche aux attaques de leurs villages, aux razzias qui se terminaient par l’arrachement d’êtres chers (hommes, femmes, enfants) à leurs tribus, à leurs clans, à leurs familles, et, enfin, à l’embarquement qui éloignait ces êtres chers qui, pour la majeure partie d’entre eux, n’avaient jamais pris la mer, de leur sol natal. Sans dire tous ceux-toutes celles qui sont mort(e)s, de faim, de soif, de fatigue, de coups, au cours des marches forcées à travers l’Afrique, avant même d’atteindre les barracoons (hangars) où les survivant(e)s attendaient, enchaîné(e)s, pendant des jours, parfois des semaines, l’arrivée des navires qui les déporteraient de l’autre côté de l’Océan Atlantique.
Le navire négrier “Le Brookes” – 1789
L’aristocratie et la bourgeoisie occidentales ont organisé, durant ces quelque quatre siècles, du XVème au XIXème, un gigantesque trafic d’êtres humains. Le commerce « triangulaire » ou « circuiteux » impliquait des armateurs, des commerçants, et des capitaines de navires négriers qui transportaient les marchandises européennes afin de les échanger contre des esclaves noir(e)s, « le bois d’ébène », qui, une fois débarqués sur les marchés des Îles des Caraïbes et des Amériques, seraient remplacés par des produits exotiques. Les navires sillonnaient les mers et les océans durant un an et demi, parfois deux ans, voire même trois ans… avant de regagner leurs ports d’attache. C’est dire que la rotation du capital, qui se faisait de l’Europe à l’Afrique, de l’Afrique aux Amériques, des Amériques à l’Europe, était lente mais, si les avanies ne se mettaient pas en travers des continents et des mers, ce commerce triangulaire s’avérait particulièrement lucratif.
L’accumulation primitive de capital, sur les territoires appelés Amériques, obtenue par l’appropriation des immenses territoires situés entre les deux Océans, et constituant tout un continent, et par l’utilisation de la main-d’oeuvre autochtone puis africaine, l’une et l’autre cruellement asservies à un travail exténuant, allait permettre à l’aristocratie et à la bourgeoisie de construire des fortunes colossales et de développer l’économie en Europe et aux États-Unis.
Françoise Petitdemange
24 novembre 2016
Suite : 13. Petit détour par la Péninsule arabique…