Georges Sokoloff nous apporte une nouvelle série de témoignages sur la famine ukrainienne…
Hanna Andriïvna Lokay avait 9 ans en 1933. Rien, à propos de la famine, ne peut malheureusement être retenu de son récit.
Louka Hryhorovytch Kachtaniouk avait 32 ans en 1933. Il avait adhéré au Parti communiste en 1930 :
« A Syrvantyntsi, 65 personnes sont mortes de faim, mes deux oncles sont morts. » (Idem, page 192)
« On avait tout pris aux exploitants individuels, jusqu’au dernier grain. » (Idem, page 192)
« J’ai été accusé de couvrir des activités koulaks. » (Idem, page 193)
« Finalement j’ai été exclu du parti. » (Idem, page 193)
Maksym Petrovytch Bojyk avait 12 ans en 1933 :
« Un habitant du village, Tokaïtchouk Stepan Hnatovytch, s’est mis en colère quand ses quatre enfants demandaient à manger en pleurant, et il a étouffé le plus jeune avec un oreiller dans son berceau, et a tué les deux autres en leur frappant la tête contre le jambage, et il les a jetés dans la cave. » (Idem, page 195)
« Des familles entières mouraient, mais surtout les enfants et les vieux. En quelques jours Hladoun Oleksa Savytch a vu ses quatre enfants mourir. Puis il est mort lui-même. » (Idem, page 195)
« Il est effrayant de se souvenir de cette période dans la vie de Olianka Steptchouk, qui vit encore. Sur ses épaules, elle a transporté au cimetière successivement ses quatre enfants enveloppés dans de la grosse toile, et un peu plus tard elle a, sans l’aide de personne, transporté au cimetière sur une brouette à bras son mari, Vassyl, pour l’enterrer près des enfants. Peu de gens mettaient alors des croix sur les tombes. » (Idem, page 195)
Anonyme qui avait 7 ans en 1933 :
« Il y eut beaucoup de morts de faim, les gens mouraient en marchant. On les enterrait quinze à vingt cadavres par fosse. » (Idem, page 198)
Ielyzaveta Mytrofanivna Spaska avait 28 ans en 1933 : elle n’évoque ni gonflements, ni décès.
M. I. Vovykov était déjà adulte en 1933. Il travaillait à la création de Stations de motoculture en Ukraine. Il a eu des difficultés avec ce qu’il appelle « le centre ». Il n’évoque pas le moindre décès, ni une véritable famine.
Ievsevy Hryhorovytch Kouratch avait 40 ans en 1933 :
« En 1933 la récolte de blé fut très bonne, mais il n’y avait personne pour récolter, parce que beaucoup de travailleurs des campagnes étaient déjà morts de faim, beaucoup avaient été exilés ou emprisonnés. » (Idem, page 204)
« Nous savions [au kolkhoze] que tuer le veau, c’était risquer des poursuites pénales. » (Idem, page 205)
« [Ses camarades et lui forcent le président à le faire] Quelques jours plus tard un procès a eu lieu et le président du kolkhoze a été condamné à deux ans de travail forcé dans son propre kolkhoze pour le veau. » (Idem, page 205)
« Celui qui était pris avec des épis était condamné à cinq ans de camp en Sibérie. C’est ce qui est arrivé à Nahnybida Natalia, la propre tante de mon épouse, dans le village de Pisky, région de Poltava. Pour une écuelle d’épis qu’elle avait ramassée pour sauver de la mort ses deux enfants enflés.
En 1932 son morts de faim mon frère, Hryhorouyth Kouratch, kolkhozien du village de Mykhaïlivka, district d’Apostolovè, et son fils de 12 ans, Iacha. » (Idem, page 205)
Moussiï Illitch Chvets avait 10 ans en 1933 :
« Nous avons rencontré la famine hors de nos terres familières, au sud, dans le village de Kalynivka, région de Zamikhiv. » (Idem, page 206)
« [Alors qu’ils étaient orphelins…] J’étais le maître de maison à m’occuper de mon frère [8 ans] et de la sœurette [5 ans]. Je me souviens que l’on nous avait donné comme ration du cœur de cheval. Je l’ai apporté à la maison. Je l’ai mis à cuire ; à ce moment un homme est entré dans la maison, gigantesque, tout enflé, de ces mendiants qui à cette époque allaient de village en village. Il a sorti le cœur presque cru du poêle et l’a mangé en entier, il est mort tout de suite... » (Idem, page 206)
« Toute ma vie j’ai eu de la peine parce qu’à cause de la famine je suis resté seul dans le monde, sans frères, ni sœurs, sans mère. » (Idem, page 207)
Alors que nous arrivons à peu près à la moitié des témoignages proposés par Georges Sokoloff pour démontrer la culpabilité de Staline dans la famine « génocidaire » qui serait survenue – sur fond de dékoulakisation violente et de collectivisation forcée – en Ukraine dans les années 1932-1933, il nous faut avouer notre embarras.
Si la chose a été aussi terrible – entraînant des millions de morts -, d’où vient qu’elle soit restée tue pendant plus de cinquante ans ? D’où vient qu’il soit devenu aujourd’hui impossible de situer les sépultures correspondantes ?
Manifestement, quelque chose nous fait défaut… Comme si nous nous trouvions pris(e)s dans les reflets d’un miroir concave – à la manière de ceux qu’utilisent certains prestidigitateurs – qui nous font voir des cadavres qui n’en sont pas et un combat dont l’essentiel des enjeux nous échappe…
Mais gageons que Georges Sokoloff finira par nous permettre de comprendre où réside la manipulation… Car il y en a une.
Michel J. Cuny
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