Ayant enfin épuisé leur colère d’écoliers grincheux, voici les membres du Comité consultatif constitutionnel rassemblés pour la séance du 12 août 1958 au matin, à l’occasion de laquelle le commissaire du Gouvernement Raymond Janot ne peut s’empêcher de leur démontrer la vanité de leurs efforts sitôt qu’ils s’écartent de la tâche étroite qui leur a été assignée par le Maître. Prenons le problème de la « Fédération » qui doit rassembler autour de la France les anciennes colonies d’Afrique, et de la récente visite de Charles de Gaulle dans leur séance du 8 août, et laissons M. Janot le leur dire bien en face :
« Je crois que la position du Gouvernement sur ce problème a été exposée [par le Général] avec beaucoup plus de clarté que personne ne pourrait le faire et qu’en tout état de cause le Gouvernement n’envisage pas que figure dans la Constitution un titre sur la Confédération. Dans ces conditions, et compte tenu de cette prise de position, je me demande s’il est bien indispensable d’entreprendre des travaux de cette nature. »
Toujours aussi irascible – et ne représentant sans doute guère plus que lui-même et Pierre-Henri Teitgen parmi tous ces « braves gens » du Comité –, Paul Coste-Floret s’offre en homme de devoir :
« C’est précisément parce que le Gouvernement est libre de faire ce qu’il veut que nous pouvons, nous, dans un avis dont il a été dit qu’il paraîtrait au Journal officiel, et si nous avons le souci de nos responsabilités, prendre position sur ce que nous considérons comme une erreur et délibérer également sur la Confédération. »
C’est son compère Pierre-Henri Teitgen qui s’y colle immédiatement :
« Dans la Fédération, les États fédérés n’existent pas sur le plan international ; sur ce plan international existe une réalité : l’État fédéral. Les États fédérés sont dans son sein, mais sans personnalité internationale. »
Cette façon de faire tout à coup surgir des « États » là où Charles de Gaulle ne voulait surtout pas en voir est déjà une sorte de crime de lèse-majesté… Pierre-Henri Teitgen poursuit bravement :
« Dans la Confédération, les États confédérés existent sur le plan international, et les rapports entre les États confédérés ne sont pas réglés par une loi mais par un traité qui fixe les droits et obligations de chacun. »
Certes, mais souvenons-nous… Pour Charles de Gaulle, refuser la Fédération pour quoi que ce soit d’autre, c’est réclamer l’indépendance… et en supporter toutes les conséquences… alors que, n’étant pas un État, on ne pourra que sombrer…
Reprenant la question sous un angle totalement différent, Léopold Sédar Senghor s’avance lui aussi sur un terrain miné :
« Relisez les considérants du décret du 24 avril 1848, abolissant l’esclavage. À toute ligne la dignité humaine apparaît, et si, aujourd’hui, les gens veulent être indépendants, c’est une question de dignité de leur part et de fierté. »
C’est donc en leur qualité d’indépendants sans laquelle il n’y aurait ni dignité ni possibilité de la moindre fierté que les États concernés souhaiteraient faire le pas de se fédérer avec la France dans un ensemble de pays souverains. Ainsi, affirme Léopold Sédar Senghor :
« Quand nous disons « confédération », nous voulons répondre à ces deux exigences du XXème siècle. Il serait grave que le Gouvernement l’ignorât. »
Mais, avec cela, point d’Empire…
N’ayant rien compris à ceci qui, pour lui, n’est que verbiage, De Gaulle consentira à laisser le terme « États » paraître, comme je l’ai écrit, à neuf reprises sous le titre consacré par la Constitution de 1958 à la « Communauté », une « Communauté » qui paraîtra noyer à la fois la « Fédération » et la « Confédération », en ne proposant toujours que la première.
À la fin de 1960, tout cela sera déjà parti en quenouille, après que, dès 1958, le grand socialiste guinéen Sékou Touré ait dit son fait à De Gaulle venu tenter l’aventure de l’attirer dans cette « Communauté » qui n’en était surtout pas une. La Guinée sera la première à se saisir de l’indépendance.
La débandade des visées impérialistes françaises (après l’Indochine et avant l’Algérie déjà bafouées dans leur dignité et leur fierté en 1945 par Charles de Gaulle) prendra la forme d’un véritable sauve-qui-peut : en 1959, le Mali et Madagascar s’éloignent ; puis en 1960, ce seront, tour à tour, le Cameroun (1er janvier), le Sénégal (4 avril), le Togo (27 avril), le Dahomey (1er août), le Niger, la Haute-Volta (5 août), la Côte d’Ivoire (7 août), le Tchad (11 août), la République Centrafricaine (13 août), le Congo (15 août), le Gabon (17 août), la Mauritanie (26 novembre). En attendant la politique criminelle, et parfois génocidaire, de la Françafrique…
Joli bilan, pour l’Empereur manqué.
Michel J. Cuny
(Ce texte est tiré de l’ouvrage électronique « Pour en finir avec la Cinquième République – Histoire de l’étouffement du suffrage universel » que j’ai publié il y a quelques mois et que l’on pourra trouver ici.)