Après que la C.G.T. ait été brisée fin novembre 1938 sur sa volonté de maintenir les 40 heures de travail hebdomadaires, les mois s’étaient gentiment écoulés et, le 30 mars 1939, on en était enfin arrivé à un décret qui autorisait la semaine de 60 heures dans les usines travaillant pour la défense nationale. En face, le capital ne s’y était pas trompé : en dix mois, de novembre 1938 à août 1939, veille de l’entrée officielle en guerre, les arrivées d’or en France semblent avoir dépassé la somme de 26 milliards de francs, le stock total atteignant dès lors le double de celui qui était disponible à la veille de la première guerre mondiale.
Même après que les grands mots eussent été prononcés (la guerre !), les investisseurs auraient cependant eu tort de s’inquiéter… Le 20 février 1940, la Chambre des députés vote la déchéance de 60 députés communistes sur les 67 du temps du Front Populaire. Le 20 mars s’ouvrira le procès des 44 députés communistes inculpés de reconstitution d’organisation dissoute; 37 d’entre eux seront condamnés à 5 ans de prison ferme.
La veille, le ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut, dressait devant le Sénat le bilan de ce qui s’assimile peu à peu à une guerre civile de moins en moins larvée : 2718 élus déchus, 1100 perquisitions, 3400 arrestations, 1500 condamnations prononcées, 700 fonctionnaires épurés, 555 suspects envoyés dans des centres de surveillance, 2500 étrangers internés au camp de Vernet, 620 syndicats et fédérations syndicales dissout(e)s, une centaine de conseillers prud’hommes déchus de leurs fonctions…
Guerre civile ou pas, en tout cas, depuis ce même mois de mars 1940, et grâce à la vigilance du socialiste Albert Sérol, l’État français dispose de la peine de mort pour sanctionner toute activité communiste… Avis aux candidats!…
Mais Hitler finirait-il par comprendre qu’on en était déjà à le supplier à genoux ?… d’accepter de prendre la France dans la grande croisade qu’il préparait vraisemblablement contre l’Union soviétique ? Certes, après son attaque contre la Pologne (dont le gouvernement s’enfuirait en Roumanie après deux semaines de combat), on lui avait déclaré la guerre (2 septembre 1939)… mais celle-ci ne tarderait guère à devenir très « drôle »… En effet…
La trahison qui a conduit à la défaite de 1940 et à la débâcle qui lui a servi de cortège a revêtu des aspects multiples. Le fond en était certainement ce petit caillou noir déjà indiqué qui aura servi de centre de ralliement au camp des Ogres : « Plutôt Hitler que le Front Populaire. »
Cette formule, eût-elle été dite et répétée, n’aurait toutefois pas pris alors la couleur criante qu’elle a aujourd’hui. L’Espagne de Franco avait bénéficié, dès 1936, de cette aide militaire, plus ou moins bénévole, de Mussolini et d’Hitler qui lui avait permis d’en finir trois ans plus tard avec la république et… le Frente Popular. Elle n’avait pas, pour autant, été envahie, découpée en morceaux et soumise aux pires exactions nazies.
Sans doute croyait-on, ici ou là en France, que les exploits des armées d’Hitler se limiteraient à mettre à genoux l’ennemi intérieur, à faire un peu de tourisme, puis à repartir comme elles étaient venues, selon la formule : « Trois petits tours et puis s’en vont. » Il fallait donc que l’entrée du pays ne leur soit pas trop coûteuse, et pas trop coûteuse la « défense » de ce même pays par les troupes françaises…
Eh bien, décidément, nous ne sommes pas au bout de nos surprises… Car, qui aurait osé croire que ?… Mais si, mais si, bien sûr !…
Michel J. Cuny
(Ce texte est extrait, pour l’essentiel, de l’ouvrage que j’ai publié en 2012 aux Editions Paroles Vives : « Quand le capital se joue du travail – Chronique d’un désastre permanent » qui est accessible ici)
Une réflexion sur “France 1940 : l’imploration à Hitler”