« Réévalué » à la façon dont il l’a été par MM. Matthäus et Bajohr pour le compte de l’Holocauste, le Journal de l’idéologue nazi Alfred Rosenberg est chargé de promouvoir les souffrances juives au détriment des souffrances bolcheviques… Les secondes disparaissent sous les vagues successives qui portent les premières à donner le tournis à des lectrices et lecteurs qui n’ont certainement pas le loisir de bien comprendre ce qui leur arrive.
Nous l’avons vu : cela vaut pour l’Introduction.
Lorsque arrive enfin le Journal lui-même, nous constatons assez rapidement qu’Alfred Rosenberg ne cesse de se plaindre de l’activisme antijuif de Goebbels et de quelques autres. Ainsi, le 22 mai 1934 :
« Pourquoi les attaques contre les Juifs ? Le numéro spécial du Stürmer ! Le discours de Goebbels au Sportpalast ! Les articles de l’Angriff ! La lettre de l’archevêque de Canterbury au Times a de nouveau créé des rancœurs ! » (page 131)
C’est qu’en 1934, un peu plus d’un an après l’arrivée d’Hitler à la Chancellerie, Alfred Rosenberg compte beaucoup sur l’entente avec la Grande-Bretagne dont il pressent que certains dirigeants ne seraient pas opposés à une réémergence de l’Allemagne sur la scène européenne. Mieux vaudrait donc ne pas s’engager sur un terrain très sensible :
« À Londres, on laisse les gens dire du mal de tout et de chacun, mais on pousse des cris d’orfraie quand il est question des Juifs ! » (page 131)
Rosenberg paraît d’ailleurs n’y plus rien comprendre :
« Pourquoi ces attaques contre les Juifs ? » (page 132)
Le 29 mai 1934, il reçoit la visite d’un journaliste italien, le Dr Insabato, qui rentre de Varsovie où il est allé prendre des informations pour le compte de Mussolini. Parmi celles-ci, il y a ce que note l’idéologue nazi :
« Pilsudski n’attend que le moment où il pourra en coller une à la Russie. » (page 134)
De même qu’il retient dans quel cadre général l’Italien imagine que la gifle polonaise en question devrait pouvoir intervenir :
« Espère alliance anglo-germano-italienne, puis intégration de la Pologne. « La Grande Allemagne est un fait qui surviendra inéluctablement ». » (page 134)
Le 19 juin 1934, la grande affaire se précise, et c’est Hitler qui le dit à Rosenberg au retour d’un entretien avec Mussolini :
« Du reste, l’armement de la Russie croît de manière inquiétante, toute cette question ne peut plus être résolue sur le plan économique, dès lors que les exportations russes menacent tout. » (page 138)
S’il convient de suspendre momentanément les assauts contre le judaïsme, c’est, bien sûr, affirme-t-il le 24 février 1935, parce que…
« L’Allemagne ne peut naturellement pas attaquer toutes les puissances à la fois. » (page 176)
En conséquence – et d’une façon qui nous surprend aujourd’hui –, une nouvelle cible, peu capable de fâcher la Grande-Bretagne, est désignée pour la « lettre de formation » émise par les services de Rosenberg, et qui tire à 1.100.000 exemplaires :
« Cette année, on attaquera systématiquement la vision romaine [= du Vatican] du monde en partant de la préhistoire. » (page 177)
Mais l’année suivante, quand débute la guerre civile espagnole, Hitler désigne Ribbentrop comme ambassadeur à Londres, ce qui fait écrire à Rosenberg :
« Il a de la chance pour ses débuts : avec la situation en Espagne, les gouvernants ingénus, même à Londres, commencent à comprendre ce que signifie le bolchevisme. » (page 197)
Pourquoi ne pas se jeter sur une aussi belle occasion ? s’interroge-t-il, quand déjà une petite idée germe dans son esprit jusqu’à le pousser à proposer une initiative carrément stratégique :
« J’ai fait soumettre une proposition au Führer : convoquer, éventuellement, un congrès antibolchevique [international] en Allemagne. Le temps paraît mûr pour cela et nous devons prendre la direction de ce combat que nous sommes les seuls à avoir clairement reconnu. » (page 196)
Mais neuf jours plus tard, le 21 août 1936, il doit admettre que la lutte antibolchevique ne recueille pas beaucoup de suffrages en Europe occidentale :
« Voilà que les gouvernants de la diplomatie démocratique commencent eux aussi à comprendre quelque chose à l’histoire du monde. Mais tout de même encore pas grand-chose. » (pages 202-203)
Et même le Caudillo, sur l’autre front :
« En Espagne le général Franco a rejeté tout antisémitisme. » (page 205)
Mais, au-delà de toutes ces déconvenues, et ainsi qu’il le réaffirme un peu plus loin dans sa note du jour :
« En tout cas, nous devons continuer à enchaîner les Juifs au bolchevisme […]. » (page 206)
Le 17 novembre 1936, saluant la performance d’un Goebbels – dont il n’aime guère la fougue antijuive un peu trop explicite – et sa propre performance, Alfred Rosenberg s’enchante :
« Les deux discours ensemble ont sans doute été l’un des coups les plus durs qu’ait subis le judaïsme bolcheviste mondial. » (page 211)
Mais il y en a un autre qui travaille très mal comme à son habitude. C’est ce que l’auteur du Journal inscrit à la date du 15 novembre 1936 :
« Tout aussi mal avisée, la première déclaration qu’a faite Ribbentrop lorsqu’il a mis le pied comme ambassadeur sur le sol anglais. À peine avait-il quitté la gare qu’il s’efforçait, dans une interview, de lancer l’Angleterre dans le combat pour [lire : contre] le bolchevisme. Bien sûr, c’est sa mission, mais sa tentative de donner des leçons en public a été très mal acceptée. » (page 225)
Or, sur le front antibolchevique, cela va mal (12 févier 1937) :
« […] les Anglais cherchent activement des motifs de camoufler leur politique prosoviétique. » (page 243)
…tandis que la Roumanie semble toutefois se réveiller par ailleurs…
« […] le front antisémite avait pris de l’ampleur. C’est ainsi qu’a eu lieu l’investiture de Goga, nos deux années de travail ont produit le résultat souhaité. » (pages 256-257)
Déjà, Rosenberg s’emballe :
« Voilà donc qu’un deuxième État antijuif est né en Europe, et le rythme de la marche vers la dissolution de la Petite Entente [voulue par la France entre la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie et la Roumanie] s’est accélérée de manière décisive. » (page 257)
Moins de deux mois plus tard, coup de tonnerre pour Rosenberg qui inscrit, à la date du 11 février 1938 :
« La démission de Goga a surpris tout le monde », et plus loin : « La pression des Juifs, des Anglais et des Français a manifestement attendri Carol [le roi] – peut-être redoutait-il le pouvoir croissant de Goga après une victoire aux élections. » (page 261)
On le voit : déclencher une guerre mondiale n’est pas une affaire facile.
Mais le pire attendait Alfred Rosenberg dans la nuit du 22 au 23 août 1939…
Michel J. Cuny
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