4. Du manuscrit au tapuscrit. De la composition à l’impression.

La rue Burdeau à Lyon
© AP MJC-FP

1985. L’imposant manuscrit, à l’encre noire sur papier pelure jaune soleil, et le tapuscrit, réalisé avec notre machine à écrire au fil de l’écriture à la main, étaient là, sur la table. L’heure était grave – et ce n’est pas qu’une expression – parce que nous n’avions pas l’argent nécessaire pour payer le travail de composition, mais, aussi, parce que nous avions connu, en 1981, une mésaventure que nous ne voulions pas revivre.

*

Petit retour aux années 1976-1980-1981

En 1976, pour le premier roman de
Michel, Une femme très ordinaire, nous avions confié le travail à l’imprimerie Kruch de Raon-L’Étape (dans les Vosges).
Étudiant en sociologie du développement à la Sorbonne en 1968, Jean-Pierre Kruch avait dû continuer l’entreprise après la mort prématurée de son père. Malgré cela, il avait trouvé le moyen de poursuivre, hors du champ universitaire, ses études en sociologie en faisant des enquêtes dans les milieux ouvriers-paysans, en se documentant sur les bûcherons et forestiers, dans les
Vosges, travaux qui se traduisaient sous la forme de livres.
Il avait lu et fait lire le texte du roman de Michel, notamment à la seconde épouse de son père : les avis étant très favorables, il avait décidé de faire la composition et de l’imprimer en sachant que notre situation financière était difficile et que la diffusion des livres n’était pas des plus faciles. Malgré le temps qui passe et notre éloignement de notre région natale, nous lui vouons une reconnaissance émue d’avoir pris, avec nous, le risque de transformer matériellement un texte en un livre qui aurait pu – comme tant d’autres dans le système d’édition – rester sans lecteurs et lectrices.
À cette époque, la composition typographique (assemblage de caractères en plomb pour constituer les lignes d’un texte) était encore en vigueur dans ses ateliers : or, ce procédé minutieux mais chronophage était onéreux. Cette étape de la composition était cependant indispensable pour imprimer.

En 1980, pour le deuxième roman de Michel, Les samedis de mai, nous avions dû chercher un imprimeur utilisant l’offset (procédé par double décalque : ce qui doit être imprimé – texte, image – est reporté, d’une surface imprimante – plaque de métal encrée – via un cylindre en caoutchouc, sur le papier). Nous découvrîmes Raon Reprographie.
En réalité, rendu(e) sur place, il s’agissait d’un médecin du travail vivant à Raon-L’Étape, monsieur Bui Dinh Long, d’origine vietnamienne, qui avait installé une petite imprimerie dans le sous-sol de sa maison et qui s’improvisait imprimeur les soirs à ses heures perdues, voire les dimanches matin.
Très peiné(e) de devoir faire faux bond à notre imprimeur, Jean-Pierre Kruch, qui était devenu quasiment un ami, nous avions tout de même confié le tapuscrit à monsieur Bui Dinh : c’était cela ou rien. Le prix de la composition et de l’impression était plus modeste et le résultat avait été correct.

En 1981, pour mon premier roman, Le dernier chemin, nous avions donc de nouveau fait appel à Raon Reprographie.
Hélas,
monsieur Bui Dinh Long avait confié la composition de mon roman, en sous-traitance, dans le centre de la France, sans nous en dire un mot : les épreuves nous arrivèrent directement à Châtel-sur-Moselle. Le travail avait été bâclé, pour ne pas dire… saboté, car mes indications pourtant claires, nettes et précises avaient été respectées à l’envers : mon texte sans faute avait été bourré de fautes de toutes sortes alors que le seul passage, où il fallait laisser les fautes que j’y avais mises, avait été corrigé !
À cette époque, nous savions déjà que la moindre coquille laissée dans nos textes édités par nous-mêmes ne nous serait pas pardonnée tandis que les textes parsemés, voire truffés de coquilles, édités par des maisons d’édition parisiennes ne posaient pas de problème !
Complètement désemparé(e),
Michel eut l’idée de louer une chambre, à l’hôtel Stanislas, à Saint-Dié : ainsi, nous serions à une quinzaine de kilomètres de Raon-L’Étape. Il nous fallut tout rattraper avec une paire de ciseaux, un pot de colle et une pince à épiler, durant toute la nuit, soit quelques heures avant la remise des épreuves corrigées (!) et le début de l’impression à Raon-L’Étape.
Au petit matin, après une nuit sans sommeil, nous étions, malgré le débit accéléré des cafés en poudre soluble, éreinté(e), mais mon texte de 151 pages avait été rétabli dans sa forme première. Nous pourrions, enfin, signer le BAT (Bon à Tirer) sans lequel un imprimeur ne peut lancer le travail d’impression (c’est-à-dire de reproduction de texte).

À l’époque, il n’était pas beaucoup question d’ordinateur personnel, encore moins d’ordinateur portable ou de mini-ordinateur qui, de toute façon, auraient été hors de nos possibilités pécuniaires.
Après cette désolante expérience, nous ne confierons plus jamais la composition de nos textes à un imprimeur.

*

Pour ce gros manuscrit, notre premier essai, nous devions envisager la location d’une machine à écrire électronique à mémoire, dotée d’une touche de justification à droite, qui devait nous permettre d’effectuer, nous-mêmes, la composition du texte au format voulu, avec insertion des notes en bas de page et numéros des pages, annexes et table des matières en fin de livre.
Lors de ses nombreuses pérégrinations, à travers Lyon et sa banlieue, pour diffuser ses deux romans, c’est à Oullins, dans un magasin de matériel de bureau, que
Michel dénicha l’objet rare.

À cette occasion, nous allions découvrir le travail passionnant de la composition de texte avant impression. Le manuscrit et le tapuscrit étaient au format A4 (Longueur 297 x largeur 210 mm) ; nous avions choisi de faire la composition au format A5 (L 210 x l 148 mm). Pour ce faire, il suffisait de plier et de couper soigneusement, avec un couteau, des feuilles de papier machine en deux : les feuillets obtenus ne devaient être écrits au verso. Au fil des heures, nous voyions les feuillets prendre la forme d’un livre : comme nous ne devions utiliser que le recto, la pile de feuillets prenait de la hauteur ; de temps en temps, Michel séparait la pile en deux et me montrait l’épaisseur réelle déjà obtenue…
L’un(e) et l’autre, nous nous relayions à la dictée du texte et au clavier de la machine. Il nous fallait travailler le plus rapidement et le mieux possible car l’argent consacré à la location était limité ; de plus, la dame du magasin, qui faisait office de secrétaire, avait eu l’extrême gentillesse de nous céder, pour la réalisation
de notre travail, sa propre machine ! celle qu’elle préférait, entre toutes les autres qui l’entouraient, parce que, justement, elle avait cette petite touche de justification.
Une fois la composition terminée, chacun(e) de nous ayant effectué une dernière relecture minutieuse, une autre difficulté se profilait : il nous faudrait trouver un imprimeur qui pût réaliser un aussi gros travail. Le texte que nous avions devant nous, dans sa forme définitive, comprenait 660 pages.

Bien que vivant dans la région Rhône-Alpes, à quelque 500 kilomètres de notre point de départ, nous avons pensé, tout ému(e), pour l’impression de ce volume, intitulé Le feu sous la cendreEnquête sur les silences obtenus par l’enseignement et la psychiatrie, à une imprimerie de nos Vosges natales.

5. Encore quelques pas avant l’impression : la vente en souscription et le montage des pages

Françoise Petitdemange – Michel J. Cuny
9 mai 2021


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