Pour bien renouer avec la pensée d’Alfred Müller-Armack, nous allons encore laisser à Joseph Goebbels le loisir de nous dire en quoi consistait l’outil que la grande bourgeoisie avait choisi de laisser dans les mains d’Adolf Hitler pour assurer au nouvel État nazi le moyen d’établir son pouvoir sur l’économie allemande, pouvoir qui constitue la condition nécessaire et première dans la mise en œuvre de cette « économie sociale de marché » dont l’ancien adhérent du parti nazi aiderait à la mise en œuvre dès le début des années 1950 dans la toute nouvelle Allemagne fédérale…
Nous allons voir qu’il s’agit d’un outil qui n’avait pas fait défaut dans la panoplie exigée par Benito Mussolini dès sa prise de pouvoir en 1922, de même qu’on le retrouverait dans celle de Charles de Gaulle en 1958 et, bien sûr, à sa demande expresse…
Cela se trouve à la date du 7 août 1932 dans le Journal de Joseph Goebbels, et nous en avons vu la formule sans nous y arrêter. La voici :
« Si le Reichstag refuse la loi sur les pleins pouvoirs, il n’aura qu’à faire ses valises. » (J. Goebbels, op. cit., I, page 672)
À propos de ce qui se sera passé le 1er décembre 1932, une note des éditeurs de l’ouvrage cité souligne ceci qui montre bien les enjeux sous-jacents à cette volonté de ces personnages qui veulent absolument faire plier le pouvoir législatif (généralement élu au suffrage universel) devant leur propre pouvoir exécutif :
« D’un côté, Hitler revendique toujours la chancellerie avec les pleins pouvoirs, dans le cadre d’un cabinet présidentiel incluant Schleicher à la Défense et Neurath aux Affaires étrangères. De l’autre, Hindenburg n’accepterait de nommer Hitler chancelier que dans le cadre d’un cabinet parlementaire, disposant de la majorité au Reichstag ; un cabinet présidentiel évoluerait nécessairement, selon lui, vers la dictature et la guerre civile. » (Idem, page 852)
Et ce fut la guerre mondiale…
D’une certaine façon, cette remise des pleins pouvoirs dans les mains de l’exécutif et de l’État qu’il dirige dès lors plus ou moins à sa convenance, et tout particulièrement en ce qui concerne la politique économique, n’est pas forcément faite pour déplaire au secteur privé – et tout particulièrement à ces « grandes entreprises allemandes (industrie lourde, compagnies minières et banques) » dont nous savons, grâce à Goebbels, qu’elles s’étaient engagées à financer le parti national-socialiste lors des élections qui devaient immédiatement suivre l’accession d’Adolf Hitler à la Chancellerie.
En effet, selon ce qu’Alfred Müller-Armack nous en a déjà dit, en citant l’un de ses précédents ouvrages :
« Grâce à l’intégration complète de l’économie dans l’État, l’État en tant que tel obtient la marge de manœuvre nécessaire pour accorder à nouveau à l’initiative privée un plus grand rayon d’action, car l’activité privée ne limite plus la sphère de l’État, mais coïncide avec elle. » (A. Müller-Armack, op.cit., note page 48)
Au-delà des grands principes ainsi énoncés, comment tout cela s’organiserait-il concrètement dans la dimension du système de production lui-même, et pour ne pas voir renaître la si dévastatrice lutte des classes qui, dans l’Allemagne du tout nouveau chancelier Hitler, menaçait encore de tourner à la guerre civile déclarée…
Alfred Müller-Armack ne dissimule pas un certain embarras, et cela d’autant plus qu’il n’est pas dans les secrets des nouveaux dieux… Certes :
« Le moyen décisif, cependant, d’adapter l’économie à l’intérieur de l’État est le système corporatif. », mais… « Ce à quoi il ressemblera dans le détail est encore incertain pour l’Allemagne. » (Idem, page 49)
Il en profite alors pour jeter un œil sur ce qui se passe en Italie…
« La structure professionnelle remplace la multiplicité des associations de travailleurs et d’hommes d’affaires en concurrence les unes avec les autres sous le libéralisme par des organisations unifiées privilégiées par l’État, dans lesquelles même le principe démocratique du vote est remplacé par la direction responsable d’un individu. » (Idem, page 49)
Croit-on que les conditions qu’il faudrait réunir pour qu’il en aille autrement, et pas seulement dans les formes, soient réunies dans la France d’aujourd’hui, et dans celle qui s’annonce sous l’impact de l’économie sociale de marché…
Grâce au journaliste de France-Info, Jean-Marc Four, nous allons pouvoir jeter un œil sur ce qui vient tout juste de se passer en Allemagne et plus particulièrement à la tête du Conseil des salariés d’une firme aussi importante que Volkswagen dont il faut rappeler ici qu’elle est le partenaire majeur de la Fédération Française de Football depuis 2014… tandis qu’à l’occasion de la prolongation de son contrat jusqu’en 2023, et répondant en novembre 2017 à Alexandre Bailleul pour le site sportbuzzbusiness.fr, Ghislain Laffite, directeur marketing Volkswagen France, déclarait :
« Au regard de la belle expérience en cours et des échéances qui s’annoncent pour les Equipes de France comme la Coupe du monde féminine sur notre territoire, nous sommes heureux de reconduire ce partenariat afin de promouvoir la marque, nos produits et particulièrement notre future gamme électrique I.D. ainsi que de positionner Volkswagen comme un acteur majeur de la mobilité » (Lien)
Nous sommes venu(e)s ici tout spécialement pour mieux comprendre comment un syndicat allemand peut aujourd’hui être dirigé, et par qui, et ceci, donc, tout particulièrement dans une société multinationale de la dimension de Volkswagen.
Jean-Marc Four nous fait aussitôt un état des lieux…
« Ce poste, la tête du Conseil des salariés, est un poste très important chez Volkswagen. On ne mesure même pas, vu de France, à quel point c’est important : en Allemagne, la cogestion avec les syndicats est la règle dans de nombreuses grandes entreprises. » (Lien)
En nos qualités de Françaises et de Français, nous allons donc mesurer immédiatement l’incommensurable…
« Daniela Cavallo devient d’abord de fait la dirigeante syndicale la plus puissante du pays, dans l’entreprise automobile la plus grande, au sein d’une industrie extrêmement puissante. Concrètement, elle se retrouve au sommet d’une pyramide de 660 000 salariés, dont près de la moitié en Allemagne, le reste à l’étranger. » (Idem)
La suite est effectivement très impressionnante…
« Dans une entreprise comme Volkswagen rien ne peut se faire sans le Betriebsrat, le Conseil des salariés. Le prédécesseur de Daniella Cavallo, Bernd Osterloh, s’est souvent opposé avec vigueur au patron du groupe Herbert Diess, dont il a failli obtenir le départ. En raison de divergences sur la stratégie de conversion accélérée à la voiture électrique, après le scandale des moteurs diesel truqués. Daniella Cavallo se retrouve de fait quasiment co-dirigeante du groupe. » (Idem)
Quant à la fin, elle n’est décidément pas mal non plus…
« Et là où on voit que Volkswagen est un monde à part, c’est aussi quand on regarde ce que va faire le partant. Bernd Osterloh change officiellement de fonction le 1er mai mais il ne quitte pas l’entreprise. De syndicaliste en chef, il devient DRH de la filiale poids lourds de Volkswagen, Traton, basée à Munich, et qui travaille beaucoup avec les entreprises scandinaves, Volvo, Scania. Un poste de direction grassement rémunéré : deux millions d’euros par an. »
C’est donc bien sur ce genre de « chef syndicaliste » que comptait… Alfred Müller-Armack…
Michel J. Cuny
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