Comment le « socialiste » Joseph Goebbels a participé à la destruction du parti communiste allemand…

Joseph Goebbels l’avait dit lui-même : les élections ne pourraient en aucun cas suffire au parti national-socialiste pour se voir remettre le pouvoir. Il allait lui falloir manifester la force des hommes d’Adolf Hitler dans la rue, et face, les armes à la main, aux communistes. Le « socialiste » qui survivait encore dans le cœur du chef de la propagande y était lui-même résolu. Pourtant, comme d’autres, il aura pu croire que des pressions très fortes sur le président de la république dite de Weimar, le vieux maréchal Hindenburg, allaient permettre de résoudre le problème dans de plus brefs délais que ce que prévoyait le calendrier électoral. Ainsi, le 7 août 1932, nous le voyons écrire ceci dans son Journal :
« L’affaire sera faite dans une semaine. Le Chef devient chancelier du Reich et ministre-président de Prusse.
Strasser, ministre de l’Intérieur du Reich et de Prusse. Goebbels à l’instruction publique de Prusse et à l’Education du Reich. Darré, à l’Agriculture, dans les deux cabinets. Frick, secrétaire général de la chancellerie du Reich. Göring, aux Transports aériens. La justice nous reste. Warmbold à l’Economie. Schwerin von Krosigk, aux Finances. Schacht, à la tête de la Reichsbank. Un cabinet d’hommes. Si le Reichstag refuse la loi sur les pleins pouvoirs, il n’aura qu’à faire ses valises. » (Idem, page 672)

Ce n’était qu’un leurre… Il allait falloir repartir vers la bataille de rues… d’autant plus vite que les élections législatives du 6 novembre 1932 n’avaient pas été bonnes : le parti nazi voyait son score baisser de 4,2%, en conséquence de quoi il perdait 34 députés… Était-ce déjà le début de la fin ?

Tandis que, dans les coulisses d’un pouvoir chancelant, chacun des prétendants des différentes fractions de droite s’efforce de se faire une place, Joseph Goebbels peut enfin écrire ceci le 23 janvier 1933 :
« Hier : du vilain à Berlin. Nous allons en voiture jusqu’à la Bülowplatz. Les rues grouillent de populace et de communistes. Il y a danger de mort à passer par là. La Bülowplatz ressemble à un camp. Les communistes se déchaînent dans les rues adjacentes. Voitures blindées, mitrailleuses. La Schupo veille à ce qu’on ne nous tire pas dessus depuis les fenêtres.
Hitler arrive à 2 heures précises. La SA se déploie devant la « Maison Karl Liebknecht » [maison d’édition et lieu de rédaction de la presse communiste]. Un coup formidable ! » (Idem, page 719)

Encore une petite marche à franchir pour Adolf Hitler qui doit faire quelques concessions en n’exigeant plus que la majorité des ministres du cabinet qu’il accepte de former soient des nazis patentés… Parmi les laissés pour compte figure un certain Goebbels qui sait immédiatement comment se rassurer (30 janvier 1933) :
« Au Kaiserhof,
Göring nous apprend que tout est parfaitement réglé : Hitler chancelier, Papen vice-chancelier, Frick l’Intérieur pour le Reich, Göring l’Intérieur pour la Prusse, Hugenberg les crises, etc. Je renonce pour le moment, afin de mener la campagne électorale. Le Reichstag doit être dissous. La dernière fois. » (Idem, pages 722-723)

Effectivement, les élections législatives suivantes seraient les dernières…

La suite de la journée se déroule d’ailleurs plutôt bien…
« Je rentre chez moi en toute hâte.
Hitler me rappelle aussitôt : il me déclare solennellement, en présence de Frick, que mon ministère m’est assuré, qu’on n’y met pour l’instant qu’un homme de paille pour garder la place. Cela me suffit. » (Idem, page 723)

Et puis, le lendemain 31 janvier 1933, enfin…
« Tout est allé si vite et si loin. Nous sommes installés à la Wilhelmstrasse.
Hitler est chancelier du Reich. C’est comme un conte de fées ! Hier midi au Kaiserhof ; nous attendons tous. Il arrive enfin. Résultat : lui, chancelier du Reich, Frick, ministre de l’Intérieur du Reich, Göring, ministre de l’Intérieur de Prusse. Le Vieux [Hindenburg] a cédé. Il était tout ému, pour finir. Tout cela est justice. Nous devons maintenant tout avoir. » (pages 723-724)

C’est que le petit Goebbels lui-même n’a encore rien… sinon une amertume assez bien dissimulée à ses propres yeux… Mais son Journal va nous livrer un petit élément qui pourrait nous donner à penser qu’il connaissait les conditions qui allaient présider au triomphe du nazisme en Allemagne…  À la date du 1er février 1933, c’est-à-dire le lendemain même de l’arrivée d’Hitler à la Chancellerie, nous trouvons ceci :
« Au Kaiserhof : parlé avec
Hitler de la terreur des Rouges. Pas de représailles pour l’instant. D’abord laisser flamber. Et quatre semaines devant nous pour la campagne électorale. » (Joseph Goebbels, Journal 1933-1939, Tallandier 2007, page 98)

Pourquoi « D’abord laisser flamber » ? Que peut bien vouloir dire cela ?… Et l’enchaînement immédiat sur les élections ?…

22 février 1933… Deux mots apparaissent dans le Journal : « Argent disponible », que les éditeurs commentent ainsi :
« De fait, le 20 février,
Hitler a rencontré secrètement les représentants de plusieurs grandes entreprises allemandes (industrie lourde, compagnies minières et banques), afin de leur présenter son programme politique. Celles-ci se sont déclarées prêtes à soutenir la campagne électorale du NSDAP en mettant à sa disposition 3 millions de Reichsmark. »  (Idem, note page 719)

Et c’est en découvrant ce qu’il y a dans le Journal de Goebbels à la date du 28 février 1933 que nous comprenons tout à coup ce qu’il y avait à « laisser flamber » pour bien préparer des élections dûment financées par l’ « industrie lourde, les compagnies minières et les banques »…
« Puis un appel de
Hanfstaengl : le Reichstag brûle. C’est du délire ! Mais il s’avère que c’est vrai. J’y fonce tout de suite avec Hitler. Le bâtiment tout entier est en flammes. Nous entrons. Göring est déjà là. Papen aussi, dont je fais là la connaissance. Le feu est parti de trente foyers différents. Allumés par les Communards. Göring est en grande forme. » (Idem, page 105)

La fabrication de « preuves » est en marche…
« Nous nous retrouvons au Kaiserhof. Tout le monde rayonne. Il ne nous manquait que cela ! Nous voilà sortis d’affaire. On a arrêté un criminel. Un communiste hollandais de 24 ans. » (Idem, page 105)

Déjà tombent les sanctions qui vont frapper les communistes et « organiser » de bonnes élections sans ces adversaires-là…
« Tous les permanents du Parti seront arrêtés dans la nuit. Toute la presse du KPD [parti communiste allemand] et du SPD [parti social-démocrate] interdite. Tout le travail fait. La rue est libre à partir de dimanche soir. » (page 105)

Il paraît que le « socialisme » du « socialiste » Goebbels ne s’en sera pas remis… À moins que nous n’en retrouvions quelques vestiges dans l’ « économie sociale de marché » d’un Alfred Müller-Armack qui, lorsqu’il rédigeait le livre que nous allons maintenant reprendre en main, ne pouvait à peu près rien ignorer de ce que nous venons de voir des pratiques d’un parti national-socialiste auquel il devait lui-même rester fidèle jusqu’en 1945…

Michel J. Cuny

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