Alfred Müller-Armack, ou l’étrange personnage qui est à l’origine de l’ « économie sociale de marché »…

Celui que nous pouvons considérer comme le grand maître de l’économie allemande pour la période qui va de 1949 à 1966, Ludwig Erhard, nous a donc d’abord été présenté par les membres de la Fondation Konrad Adenauer – occupés à nous fournir les sources historiques de l’ « économie sociale de marché » – sous des dehors qui pourraient nous donner l’impression qu’il était un opposant plutôt résolu à Hitler et aux crimes qui ont marqué son règne… Rappelons les mots qu’ils utilisent à son endroit…
« Depuis Nuremberg, Ludwig Erhard travailla, quant à lui, surtout à l’élaboration d’un concept libéral pour la période d’après-guerre. Il tient presque du miracle qu’il échappa à la vigilance de la Gestapo d’autant plus que son mémoire sur Carl Friedrich Goerdeler intitulé « Le financement de la guerre et la consolidation de la dette » circula parmi les résistants… » (Idem, page 10)

Et voilà qui devrait servir également de bouclier à celui dont il paraît qu’il aurait lui-même fourni l’intitulé : économie sociale de marché, en même temps que les critères de mise en œuvre correspondants…
« 
Alfred Müller-Armack, professeur d’économie politique et de sociologie culturelle à Munster, qui rencontra Erhard aux seins de cercles économiques confidentiels… » 

Hélas, l’affaire n’est peut-être pas aussi claire qu’il y paraît d’abord… sans qu’il soit possible cependant de s’en effaroucher plus que de raison. Dans le numéro 126 de la revue Relations internationales (février 2006), sous le titre Les réticences du chancelier Erhard à l’égard de la France (1963-1966), Benedikt Schoenborn écrit tout d’abord ceci, qui n’est certainement pas négligeable ;
« Le refus obstiné de
Ludwig Erhard d’adhérer au parti nazi a sans doute ralenti sa carrière et a contribué à lui barrer la voie académique. Il ne dépasse en effet pas le grade de vice-directeur de son Institut, qu’il quittera finalement en 1942 pour fonder une société privée pour l’étude des marchés. »

Mais, ensuite, il y a tout de même cela :
« 
Erhard effectue des études pour rendre l’économie allemande plus performante et pour améliorer l’approvisionnement de la population, notamment en Autriche et en Alsace. En janvier 1943, le Führer lui fait attribuer une médaille pour son travail. » (lien)

Tout ceci n’est encore que très bénin, et n’aurait pas même à figurer ici, s’il n’y avait pas, dans les parages, l’autre personnage… Alfred Müller-Armack, dont il nous a été simplement dit, par les messieurs de la Fondation Konrad Adenauer, qu’il… « relia dans ses travaux les idées libérales et la doctrine sociale catholique. » 

Pas si simple !… et c’est à la vigilance d’Aleksandar Matković que nous devons d’en savoir bien plus, grâce à un article qu’il a publié le 11 février 2020 sous un titre qui nous foudroie immédiatement :
« L’homme derrière l’Europe : dites bonjour à
Alfred Müller-Armack, le nazi-néolibéral » (lien)

N’était-ce qu’un mot jeté en l’air ? Pas vraiment, puisque le même auteur a pu écrire :
« Fait intéressant, non seulement
Armack était l’un des premiers néolibéraux autoproclamés, mais il était aussi le nazi le plus enthousiaste de tous, participant au NSDAP [Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, parti nazi] jusqu’en 1945. » 

Mieux encore : nous apprenons qu’en 1933 – alors que, depuis le début de l’année, Adolf Hitler est devenu chancelier -, Alfred Müller-Armack avait publié un livre dont Aleksandar Matković a pu scanner un exemplaire (en langue allemande) qu’il offre à la curiosité de ses lectrices et de ses lecteurs (lien)

Le titre original Staatsidee und Wirthschaftsordnung im neuen Reich (Idée de l’État et ordre économique dans le nouveau Reich) est, bien sûr, déjà tout un programme…

Impossible de ne pas y aller voir nous-mêmes…

Avec d’autant plus de curiosité et d’angoisse que, dans le seul texte de la Fondation Konrad Adenauer qui totalise une centaine de pages bien pleines, le nom de cet étrange personnage revient à 39 reprises…

Mais qu’est-ce donc que cette fameuse « économie sociale de marché » qui réussit si bien, et dont Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, est bien décidée à s’armer pour partir – avec nous ? – à la conquête du monde ?…

Michel J. Cuny

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