8 juillet 1943… Jean Moulin ?

Ce jour-là, le créateur du futur Conseil National de la Résistance mourait des blessures infligées par Klaus Barbie

À sa naissance, le petit Jean fut accueilli par un poème de son père, Antonin, l’incorrigible littérateur :
« Un rayon de soleil sur tout son corps se joue,
Dorant sa chair ;
Une fossette s’ouvre et rit à chaque joue,
D’un si doux air.
Rire délicieux d’une âme qui ignore
Et ne sait rien.
Et ne soupçonne point dans cette vie encore
Ni mal ni bien. »

C’était donc bien un petit Poucet… Et l’Ogre ? s’inquiétera-t-on… Patience, longue patience, pour une si brève vie : 44 ans, et déjà voici venir la mort héroïque.

Jean Moulin (1899-1943)

Certes, il n’y a de héros que par la trahison des plus proches. Qui étaient donc les plus proches ? Qui sont-ils aujourd’hui ? Toujours les mêmes, et nous avec eux, c’est-à-dire toutes celles et tous ceux qui, en 2017 comme en 1943, ne se sont toujours pas aperçus de ceci que Jean Moulin avait bel et bien été dévoré par un Ogre, et qu’entre les divers cailloux blancs qu’il avait délicatement disposés pour nous avec la force des Titans de la vraie Résistance (et Guy Môquet, petit Poucet à tout jamais), il y avait quelque chose d’aussi peu visible qu’un énorme rocher. Or, l’Ogre était, avant tout, un escamoteur. Abracadabra !… Et envolé, le rocher !…

Mais, comme les paroles, les rochers volent. C’est bien connu. Lorsque passe dans les nuages de l’histoire récente le rocher incomparable de Jean Moulin (chargé, au temps du Front Populaire, de développer l’aviation… populaire), il tire derrière lui une longue banderole où l’on peut lire ce mot : « souverainement ».

« Il n’y a pas d’idéal plus noble que celui d’une société où le travail sera souverain, où il n’y aura ni exploitation ni oppression, où les efforts de tous seront librement harmonisés, où la propriété sociale sera la base et la garantie des développements individuels. » (Jean Jaurès)

Enfanté dans les pires douleurs qu’ait connues la France moderne, le programme établi en mars 1944 par le Conseil National de la Résistance, défunt, depuis neuf mois, de son premier président Jean Moulin, aurait pu sembler tout droit sorti de cette citation de celui qui avait été la première victime de la guerre mondialement massacrante de 1914-1918. Travail « souverain »… Certainement… Quoique pas très facile à établir en régime capital… iste, où le capital ne doit d’exister que parce qu’il se soumet… le travail.

Mais, d’ailleurs, souverain ou pas, le travail était-il lui-même présent ès-qualités dans le Conseil National de la Résistance voulu par Jean Moulin ? La réponse est oui : sur 17 membres, dont son président, le Conseil rassemblait huit mouvements de résistance, six partis politiques et… les syndicats C.G.T. (Confédération Générale du Travail) et C.F.T.C. (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens). Souverain, alors ?… Peut-être… Imperceptiblement, sans doute… En tout cas, selon les apparences, beaucoup, beaucoup moins souverain que Louis XVI, qui, pour perdre définitivement la souveraineté, a dû bénéficier, lui, des clameurs d’une Révolution qui a bouleversé l’histoire mondiale, avant de lui couper la tête sur la place publique…

Par contraste, faudrait-il aller jusqu’à dire que le Conseil National de la Résistance serait sorti de l’Histoire par une porte dérobée ?… Réponse : une chose est sûre, Jean Moulin est domicilié au Panthéon, tandis que son nom retentit un peu partout au coin des rues et sur une multitude de bâtiments publics…, de sorte qu’un peu partout en France retentit comme un murmure qui s’en va répétant : « souverainement, souverainement, souverainement... »

C’est par trois fois qu’à l’occasion de la création du futur Conseil National de la Résistance, l’adverbe « souverainement » apparaît sous la plume de Jean Moulin. D’abord, dans une note qu’il rédige fin 1942 – début 1943 :
« Ses membres ne doivent pas siéger par délégation d’un parti ou d’un groupe et être pourvus de mandats impératifs, les décisions devant être prises souverainement. »

Puis, dans un texte qu’il élabore en février 1943, au moment de se rendre pour la seconde et dernière fois à Londres :
« Nous ajoutons que, pour être efficace, le Conseil Politique de la Résistance doit être composé de membres ayant la confiance absolue de leurs mandants et pouvant décider souverainement et sur l’heure. »

Et enfin, dans le texte définitivement fondateur, au bas duquel le petit Poucet obtiendra que vienne se déposer, le 21 février 1943 à Londres, la signature de l’Ogre :
« Afin que le Conseil de la Résistance ait le prestige et l’efficacité souhaitables, ses membres devront avoir été investis de la confiance des groupements qu’ils représentent et pouvoir statuer souverainement et sur l’heure au nom de leurs mandants. »

Mais, alors, cet Ogre… qui était-ce ? Evidemment pas le général de Gaulle. Cet homme-là était tout ce qu’il y a de plus humain, de plus honnête, de plus vertueux… Qui alors ?… Nous l’avons dit plus haut, l’Ogre, c’est celui qui, recevant Jean Moulin à Londres en février 1943, a, dans un premier temps, déposé sa signature déjà légendaire au bas d’un texte où pour la troisième fois – le coq n’aura pas fini de chanter pour la troisième fois que, déjà, tu m’auras trahi – la main ferme de Jean Moulin avait inscrit un mot jailli à la lèvre des révolutionnaires de 1789-1793 : « souverainement » !…

L’Ogre, c’est celui qui, dans un second temps et quelques années plus tard, publiant le même texte dans ses célèbres « Contes à dormir debout » aura tout bonnement remplacé ce mot, au nom duquel il arrive parfois que l’on meure héroïquement, par… trois points de suspension. Rendez-vous à tous et à chacun à la page 445 des « Mémoires de Guerre » d’un dénommé De Gaulle (L’unité 1942-1944, Plon 1956). Cela vaut le détour…

Quant aux petits cailloux blancs qui viennent se conjoindre à « souverainement » pour composer avec lui le beau collier d’une possible France réellement démocratique, c’est chez Pierre Cot, l’ami et patron de Jean Moulin, qu’il faut venir les chercher… Car ils y sont bel et bien, et si pertinemment enchaînés qu’il n’est plus possible d’en douter : il y avait deux petits Poucets sur ce coup-là…

Pour en savoir beaucoup plus, il suffira de se reporter à l’ouvrage : Michel J. CunyFrançoise PetitdemangeFallait-il laisser mourir Jean Moulin ?” Éditions Paroles Vives, 1994.

Michel J. Cuny


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