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Nous avons vu que Vladimir Poutine, profondément ancré dans l’ancien KGB, avait réussi à établir un lien très fort avec l’Armée rouge dès son arrivée au poste de Premier ministre, et plus encore lorsqu’il est devenu président par intérim de la Fédération de Russie.
Pour bien comprendre pourquoi seul un personnage pareillement appuyé sur les structures de sécurité de l’ancien État soviétique pouvait sauver la Russie d’une sorte d’anéantissement, il suffit de renvoyer vers le caractère monstrueux de l’accumulation primitive qui avait donné naissance aux oligarques…
Pour nous plonger dans ce bain tout simplement terrifiant, il suffit de nous en remettre à Vladimir Fédorovski qui, en évoquant l’entourage de Boris Berezovski, paraît nous décrire une véritable fantasmagorie, tellement tout cela est démesuré. Voici donc où en était, selon lui, celui que nous nous plaisons à dénommer le « prince des oligarques » :
« Si Berezovski dut s’assurer une base de repli à l’étranger, il eut également besoin d’un soutien de nature à influer sur les vicissitudes de la lutte politique au Kremlin. Pour ce faire, il s’appuya sur une sorte d’armée de l’ombre. Forts de plus de cinq cent mille hommes (selon l’estimation de la revue économique Delovie Lioudi), ces nombreux groupes paramilitaires étaient sous le contrôle de deux cents milices privées travaillant sur l’ensemble du territoire. » (Fédorovski, page 93)
Voilà donc à quoi Vladimir Poutine allait devoir s’affronter… En l’absence de toute Administration civile digne de ce nom…
En effet, à sa façon, Boris Berezovski ne faisait que se donner les moyens de protéger sa toute nouvelle « propriété », et c’est Vladimir Fédorovski qui nous décrit, dans ce contexte d’un Far West totalement démesuré, le rôle des « groupes paramilitaires » :
« Ils palliaient dans bien des cas les carences de l’État en matière de sécurité. À leur actif, on dénombre une multitude de services : filature, protection, transport d’argent, location de matériel particulier (plusieurs dizaines de personnes pour protéger Berezovski). » (Fédorovski, page 93)
Ici, le colt n’est plus de mise… Autres temps, autres mœurs :
« Ces milices disposaient d’un arsenal acheté ou volé dans les casernes, ou encore acquis à l’étranger : pistolets Makarov, kalachnikovs à crosse coupée, mini-Uzi israéliens, lance-roquettes RPG et lance-missiles portatifs SAM-7, ainsi que des véhicules rapides, des avions, des hélicoptères. Elles offraient leurs services aux hommes d’affaires, à la mafia et à l’État. » (page 93)
Mais un phénomène particulièrement remarquable n’avait pas pu manquer d’attirer l’attention d’un Vladimir Poutine occupé à deviner les spécificités du camp d’en face. En effet, selon Vladimir Fédorovski, impossible de se tromper sur l’identité de ces gens occupés à faire régner l’ordre au profit d’une oligarchie du crime. Milices de professionnels dont il y avait beaucoup à redouter puisque…
« Leurs membres étaient issus des services pléthoriques des anciens « organes de sécurité » du régime soviétique : KGB, GRU, OMON (troupes du ministère de l’Intérieur). » (page 93)
Et encadrement par une élite d’entre les élites :
« Ainsi Viktor Tchebrikov, patron du KGB dans les années 1980, conseilla-t-il trois banques pour leur sécurité. Le plus actif et le plus respecté des anciens du KGB est sans doute Filip Bobkov, général trois étoiles. Autrefois responsable de la lutte contre les dissidents, il fut le chef du département de sécurité du groupe bancaire Most. » (Fédorovski, pages 93-94)
Quant aux clients, ils appartenaient à la nouvelle économie… cosmopolite et, apparemment, toute-puissante au moment de l’arrivée de Vladimir Poutine au sommet d’un État défait :
« Les milices prospérèrent parce que les commerçants, les banquiers et les hommes d’affaires russes ou étrangers aspiraient à être protégés : « Avoir un toit », dit une expression locale. » (Fédorovski, page 94)
Avec les limites de compréhension qui sont les siennes en matière d’économie, Tania Rachmanova nous dit tout de même l’essentiel quant à la volte-face réalisée par le nouveau pouvoir :
« En quelques années, Vladimir Poutine et son équipe, formée en grande partie de ses collègues et amis de l’époque du KGB, vont ainsi réussir à construire un système politique et économique qui garde les apparences du système démocratique à l’occidentale et dont l’économie est fondée sur le marché libre. » (Rachmanova, page 166)
Si les derniers mots sont de trop, ils font tout de même le lien avec le personnage qu’évoque le début de cette autre phrase de la même journaliste… personnage qu’il vaut effectivement mieux éviter de mêler à la ligne suivie par le nouveau maître du Kremlin :
« À l’exception de Medvedev, tous sont des anciens collègues de Poutine au KGB, son seul point d’appui à Moscou où les élites d’Eltsine méprisaient le jeune parvenu. » (Rachmanova, page 188)
Mais, là encore, la fin du propos est plus qu’approximative : il ne s’agissait vraiment pas de mépris, mais tout simplement de peur… Un chat d’obédience soviétique étant de retour, les souris de l’économie de marché allaient finir par ne plus pouvoir danser.
Et même si elle se garde d’y mettre elle-même l’adjectif qui vient d’être utilisé, Tania Rachmanova ne peut tout de même pas négliger de souligner l’apparition du fantôme du… KGB :
« La place occupée par la « corporation » dans le système Poutine a été publiquement révélée par un général du FSB, Viktor Tcherkessov, un proche du président et responsable du Service fédéral de contrôle des stupéfiants. En octobre 2007, il publie une lettre ouverte en une du quotidien Kommersant, où il affirme que la Russie a été sauvée du chaos grâce aux hommes du KGB-FSB, en 1999, donc un an après la nomination de Vladimir Poutine à la tête du FSB. » (Rachmanova, page 210)
Quant à ce qu’a déclaré ce général, certainement cela aide à faire le tri entre les anciens du KGB, selon qu’ils sont restés dans la ligne de l’ex-État soviétique ou qu’ils ont cru pouvoir basculer vers l’exploitation de l’être humain par l’être humain…
« Pour éviter la guerre de tous contre tous, les hommes du FSB doivent respecter certaines normes et, notamment, privilégier la fidélité à Poutine. » (Rachmanova, page 210)
Que peut vouloir dire cette dernière formule ?
Ne viserait-elle que la personne de Vladimir Poutine ?
Mais sa personne, ne l’a-t-il pas qualifiée lui-même lorsqu’il a déclaré :
« J’étais un pur produit absolument réussi de l’éducation patriotique soviétique. » ?
« Soviétique »… Que peut bien signifier ce terme aujourd’hui ? Serait-ce à Vladimir Poutine d’en faire, pour nous, la démonstration ?
Serait-ce à lui de nous laisser entendre que le règne de la valeur d’échange nous interdit définitivement tout avenir ?
C’est ce que nous croyons entendre à travers les propos que Frédéric Pons nous rapporte du petit-fils du cuisinier le Vladimir Ilitch Lénine et de Joseph Staline :
» « Notre identité est dans nos amis », dit-il. Ce clan étroit lui est très précieux : « Ils ne sont jamais partis. Ils ne m’ont jamais trahi et moi non plus, je ne les ai jamais trahis. Pour moi, c’est cela qui compte. » Dans de nombreuses interviews ou dans ses rares confidences, ce thème revient, comme un marqueur très fort de son identité profonde. « Comment pouvez-vous faire quelque chose de vous-même si vous vous êtes vous-mêmes trahi [en trompant vos amis] ? Si vous pensez qu’une carrière est le moyen d’avoir le pouvoir, de contrôler les gens, de gagner seulement de l’argent, et si vous êtes prêt à tout perdre pour cela, c’est une chose. Mais si vous avez des priorités dans la vie – des repères et des valeurs -, alors vous réalisez qu’il n’y a pas lieu de vous sacrifier, vous, ni ceux qui sont une part de votre vie. On y perd plus qu’on y gagne. » » (Pons, pages 98-99)
Comprenne qui pourra.
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Michel J. Cuny
A reblogué ceci sur josephhokayem.
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