Entre Vladimir Poutine et Boris Berezovski, l’affaire de Tchétchénie…

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Le déclenchement (7 août 1999) de la seconde guerre de Tchétchénie ayant eu une grande importance dans l’arrivée de Vladimir Poutine à la tête du gouvernement de la Fédération de Russie (16 août suivant) – et pour bien cerner le rôle alors joué par Boris Berezovski dans ce contexte particulier -, nous allons considérer avec une certaine attention les enjeux de cette guerre civile qui aura été la tragédie la plus cruelle et la plus meurtrière qu’ait suscitée l’implosion de l’URSS.

Selon la chronologie établie par Gilles Favarel-Garrigues et Kathy Rousselet :
« Le 12 février 1957, la République socialiste soviétique autonome de Tchétchénie-Ingouchie, qui avait été démantelée par Staline en 1944, est restaurée. Les populations tchétchènes et ingouches, déportées au Kazakhstan après la Seconde Guerre mondiale, sont réhabilitées et reçoivent l’autorisation de rentrer. » (Favarel-Garrigues – Rousselet)

Cette déportation collective – c’est-à-dire comportant le maintien, si possible, des liens familiaux et sociaux – avait répondu à la nécessité de séparer, de celles et de ceux qui avaient pu être victimes de leurs agissements, les membres de ces deux communautés ethniques qui n’avaient pas hésité à se rallier aux envahisseurs nazis, parfois même en anticipant sur leur arrivée dans la RSSA de Tchétchénie-Ingouchie, et en s’associant ensuite à leurs crimes de masse.

Quant à ce retour de 1957, il entrait dans le cadre de la politique de dénonciation du culte de la personnalité initiée par Nikita Khrouchtchev dès le XXe Congrès du Parti communiste d’Union soviétique (février 1956) à l’encontre de Joseph Staline… Ceux à qui il avait donné tort, ne pouvaient qu’avoir eu raison…

Grâce à Hélène Carrère d’Encausse, franchissons quelques décennies. Nous atteignons le moment où se réunit un Congrès National du Peuple Tchétchène qui ne peut avoir aucune existence légale :
« Le 23 novembre 1990, un mois avant que cette république autonome tchétchéno-ingouche soit élevée au rang de république, les Tchétchènes (734.000 contre 163.000 Ingouches sur une population totale de 1.270.500 habitants) décidèrent de se séparer des Ingouches et de proclamer une indépendance totale. En même temps, le Congrès national tchétchène, qui venait tout juste de se former, ayant pris cette décision, nomma « chef de la Tchétchénie » le général Doudaïev, jusqu’alors commandant des forces aériennes soviétiques en Estonie. » (d’Encausse, page 289-290)

Pour sa part, Evguéni Primakov, qui occuperait de 1991 à 1996 le poste de directeur du Service des renseignements extérieurs de la Russie, nous apporte cette petite précision qui nous montre que le général en question n’était pas seulement l’homme des Tchétchènes :
« En 1991, un général de l’Armée rouge d’origine tchétchène, Djokhar Doudaïev, fut ramené à Grozny dans le but d’y remplacer les dirigeants soviétiques locaux, qui étaient apparemment inacceptables aux yeux des nouvelles autorités russes.  » (Primakov, page 284)

Quant à ces dernières, il s’agit tout simplement de Boris Eltsine… qui vient de balayer, tout à la fois, Mikhaïl Gorbatchev et une Union soviétique de sinistre mémoire selon lui.

Un Boris Eltsine qui ne pouvait pas porter dans son cœur les dirigeants « soviétiques » locaux puisque, à l’occasion du putsch d’août 1991 tendant à remettre Mikhaïl Gorbatchev dans le droit chemin « soviétique », ils avaient – à la différence d’un Doudaïev immédiatement rangé dans le camp du Boris Etsine juché sur un char de rencontre que nous commençons à mieux connaître – opté pour le camp d’en face, ainsi qu’Hélène Carrère d’Encausse se fait un plaisir de nous le rappeler :
« Lorsque survient le putsch d’août 1991, les autorités tchétchènes de la république binationale qui survit encore en marge de la république tchétchène autoproclamée volent au secours des putschistes, espérant qu’ils mettront fin à la frénésie des indépendances et restaureront l’ordre ancien. Le putsch ayant échoué, Doudaïev purge cette nomenklatura survivante de l’ordre soviétique et organise une élection présidentielle. Il est élu par 85 % des voix. » (d’Encausse, pages 290-291)

D’abord un peu pris de court par les diverses initiatives de Boris Eltsine occupé à jeter par-dessus bord et Gorbatchev, et le parti communiste, et l’Union soviétique, à Moscou les députés de la Fédération de Russe refusent le fait accompli, ainsi que nous le rapporte Evguéni Primakov :
« A la fin de 1991 et au début de 1992, le Parlement russe, dominé par les communistes, statua à trois reprises sur l’illégitimité du régime de Doudaïev et exigea le retour à l’ordre constitutionnel. Mais il lui fut impossible de se faire entendre par l’exécutif fédéral. » (Primakov, page 284)

C’est-à-dire par Boris Eltsine
Entre-temps cependant, les bonnes relations entre le nouveau maître du Kremlin et le général sur lequel il comptait pour tenir tête aux « dirigeants soviétiques locaux » ont complètement basculé dans leur contraire. Ayant été élu président de la République autonome de Tchétchénie en octobre 1991, Djokhar Doudaïev a, dès le 4 novembre 1991, proclamé de sa propre autorité l’indépendance de la Tchétchénie, Or, le même Doudaïev se heurte quelques jours plus tard à la décision prise par Boris Eltsine d’y proclamer l’état d’urgence et d’envoyer des troupes sur place, ce contre quoi le Soviet suprême de la Fédération de Russie se dresse en annulant, dès le 11 novembre, cette décision qui lui paraît totalement inadaptée… La confusion est à peu près totale, mais le général Doudaïev semble savoir où il va. C’est du moins l’impression qu’il fait à Xavier Moreau qui écrit à son propos :
« Il anticipe la dissolution de l’URSS et comprend que les morceaux de l’empire seront répartis entre les chefs politiques les plus audacieux. Bénéficiant du soutien du Secrétaire d’État américain James Baker, Doudaïev refuse de ratifier le traité de la Fédération en avril 1992. Il est rejoint en cela par le Tatarstan, autre République à majorité musulmane de Russie, dont l’indépendance signifierait la disparition de la Russie en tant que telle, étant donné sa position à l’intérieur du territoire russe et son importance économique. » (Moreau, page 49)

Mais l’optimisme du général Doudaïev se nourrit de trois éléments dont il va devenir bientôt très urgent, pour les autorités russes en général, et pour Vladimir Poutine quelques années plus tard, de prendre la juste mesure : la mafia tchétchène, l’oligarque qui la cornaque, et l’islamisme de parade qui leur sert de troupe de choc. Ce que Xavier Moreau nous détaille ainsi :
« Dans le même temps, Doudaïev tente d’obtenir le soutien de pays musulmans comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ou la Turquie. Doudaïev bénéficie en outre du développement massif de la mafia tchétchène en Russie, particulièrement à Moscou où le président tchéchène reçoit le soutien d’un homme d’affaires de plus en plus influent, Boris Berezovski. » (Moreau, page 50)

Et voici que nous saute tout à coup au visage l’ensemble du système eltsinien, cette fantastique accumulation primitive d’un capitalisme qui croit son temps décidément venu, mais qui va devoir très bientôt compter avec toute la force de caractère d’un Evguéni Primakov, d’abord, et d’un Vladimir Poutine ensuite. Prenons cette conclusion chez le même auteur :
« La Tchétchénie devient une zone de non-droit à l’intérieur de la Russie qui permet à de nombreux hauts fonctionnaires russes de piller impunément les réserves monétaires et pétrolières de la Russie. La guerre en Tchétchénie est étroitement liée à la volonté de Doudaïev de contrôle la totalité des ressources pétrolières en transit dans la région. » (Moreau, page 50)

Et tout cela à destination de la finance internationale à majorité anglo-saxonne… qui a enfin trouvé l’arme idéale : le terrorisme planétaire.

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Michel J. Cuny


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