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Réanimation de la première guerre de Tchétchénie (1994-1996), la seconde (1999-2009) est née dans des circonstances étranges qui intéressent l’arrivée de Vladimir Poutine à la tête du gouvernement de la Fédération de Russie le 16 août 1999, apparemment à la demande toute personnelle de Boris Eltsine…
Alors qu’il n’est directeur du FSB que depuis treize mois, l’ancien adjoint du maire de Leningrad et ancien contrôleur de l’administration présidentielle connaît une ascension plutôt fulgurante. Était-ce l’affaire de sa seule personne ? Ou bien agissait-il, encore et toujours, dans le cadre de l’histoire de long terme de l’ex-KGB, c’est-à-dire en continuité avec le putsch manqué d’août 1991 ?
C’est ce que nous allons essayer de déterminer, non sans avoir d’abord rappelé d’où venaient les activistes qui tentaient d’enflammer une nouvelle fois, non seulement la Tchétchénie, mais le Daguestan voisin. Voici ce que nous en dit Frédéric Pons :
« Les premiers volontaires islamistes sont arrivés dans le Caucase au début des années 90, juste après le départ des Soviétiques d’Afghanistan (1989). Arabes jordaniens, saoudiens, syriens, yéménites, puis des Pakistanais ou Azéris, ils seront près de quarante mille combattants, parfois djihadistes influencés par Al Qaida, au maximum de leur présence. » (Pons, page 119)
Tous ces gens ne sont pas venus dans cette région par hasard, et Tania Rachmanova nous montre en quoi, désormais, la Tchétchénie peut leur servir de base de départ pour une entreprise de très vastes dimensions qui va contraindre les forces profondément soviétiques à refaire surface à travers la personne de Vladimir Poutine :
« Le matin du 7 août 1999, plusieurs unités de combattants islamistes tchétchènes commandées par Chamil Bassaïev traversent la frontière de la république indépendantiste et pénètrent sans résistance dans la république voisine du Daguestan, dans le but annoncé de venir en aide aux islamistes daguestanais et, selon leur chef, d’« établir un État musulman dans tout le Caucase ». » (Rachmanova, page 93)
Ce qui serait, entre autre chose, une bonne façon de plomber définitivement l’avenir de la Russie…
Manifestement, la manœuvre en cours ne peut que dépasser celui qui en est alors le principal exécutant : Chamil Bassaïev… Mais alors, pour qui travaille-t-il ?
Nous allons tout d’abord suivre la piste que nous propose Tania Rachmanova… Elle a recueilli les confidences de celui que nous avons choisi de considérer comme le « prince » des oligarques : Boris Berezovski :
« Au printemps 1999, des émissaires de Movladi Oudougov sont venus me voir à Moscou. » (Rachmanova, page 96)
Oudougov est un des chefs islamistes originaires de Tchétchénie. D’où vient qu’il veuille tenter l’aventure de s’adresser à quelqu’un comme Berezovski ? C’est que, ainsi que nous le révèle une note du livre de Tania Rachmanova, le futur oligarque devait les débuts de son extraordinaire enrichissement à ses accointances avec le milieu mafieux de Tchétchénie :
« Nombre d’observateurs ont contesté le rôle et l’action de Boris Berezovski en Tchétchénie. Ainsi, Paul Khlebnikov, journaliste américain assassiné à Moscou en 2004 et auteur d’un livre sur l’oligarque, a expliqué dans une interview à l’hebdomadaire français Marianne : « Berezovski a eu des relations avec la mafia tchétchène, dès 1989. C’était pour assurer la sécurité sur le marché de la vente de voitures. En 1994, quand il entre dans le cercle intime d’Eltsine, il n’en a plus besoin. Mais il a gardé ses contacts, qu’il utilisera lorsqu’il présidera le Conseil de sécurité en 1997. » (note du bas des pages 96-97)
C’est dire que, tout en ayant la responsabilité de veiller, au plus haut niveau, sur la protection de la population russe dans son ensemble, le futur grand adversaire de Vladimir Poutine reste dans la situation de pouvoir faire intervenir ses contacts mafieux à titre strictement personnel. Ce qu’il ne tardera pas à faire, sitôt éloigné du Conseil de sécurité. D’où la suite de l’explication fournie à Tania Rachmanova par Paul Khlebnikov :
« Berezovski s’est alors servi de ses connexions tchétchènes comme d’une carte très efficace pour se mettre en avant. C’est donc pour son propre compte qu’il a agi, et pas au nom du Kremlin. Ses interlocuteurs étaient Salman Radoaev et Movladi Oudougov, deux terroristes qui menaçaient le pouvoir central. » (entretien avec Anne Dastakian, Marianne, 5 novembre 2001) » (note du bas des pages 96-97)
… et à travers qui, Boris Berezovski pouvait à son tour menacer le pouvoir central… dans le cadre de ce qui allait déboucher sur la seconde guerre de Tchétchénie à laquelle Vladimir Poutine allait devoir mettre le terme que l’on sait.
Entouré de ses gardes du corps, Boris Berezovski (1946-2013)
Revenons maintenant à ce que Tania Rachmanova a recueilli elle-même de la bouche de Boris Berezovski à propos des personnages que lui avait envoyés le chef terroriste tchétchène Movladi Oudougov :
» Les émissaires voulaient sonder l’attitude de Moscou sur la situation en Tchétchénie. Ils m’ont parlé d’une opération. » (Rachmanova, pages 96-97)
Nous découvrons ensuite qu’à ce moment-là, et tandis que Vladimir Poutine n’est encore que directeur du FSB, Boris Berezovski n’est pas encore coupé du gouvernement russe dirigé par Sergueï Stepachine, puisque, selon l’oligarque :
« Après cette rencontre, j’ai tout de suite téléphoné au Premier ministre, Sergueï Stepachine. Nous nous sommes rencontrés et je lui ai tout raconté. Stepachine m’a dit : « Boris, ne t’inquiète pas, nous sommes au courant. Tout va bien, on contrôle la situation. » C’était au printemps 1999. » (Rachmanova, page 97)
Ici, Berezovski feint de croire – après-coup, puisque son entretien avec Tania Rachmanova est postérieur à l’arrivée de Vladimir Poutine à la présidence de la Fédération de Russie – qu’il n’y a aucune forme d’étanchéité entre Stepachine et Poutine… D’où l’impression qu’il laisse à la journaliste :
« Boris Berezovski en est convaincu : « J’ai compris plus tard que tout était sous le contrôle du FSB. C’est lui qui a provoqué la crise au Daguestan. » » (Rachmanova, page 100)
Feignant de donner crédit à la thèse avancée par l’ami des islamistes tchétchènes, Tania Rachmanova reconnaît tout de même qu’elle n’en a jamais reçu la moindre confirmation par ailleurs :
« Il restait impossible, en 2011, de confirmer l’hypothèse de Boris Berezovski. Mais cette attaque a incontestablement servi la montée de Vladimir Poutine. Dès le lendemain, l’armée riposte par une gigantesque opération. Le pays est sous le choc. Boris Eltsine est sous le feu des critiques, de nombreuses voix s’élèvent pour demander sa démission. Il doit trouver un bouc émissaire. Ce sera le Premier ministre Sergueï Stepachine. Dès son retour du Daguestan, celui-ci est convoqué par le président, qui lui demande sa démission. » (Rachmanova, pages 100-101)
Celle-ci sera effective dès la réunion du Conseil des ministres du 9 août 1999 à l’occasion de laquelle Stepachine déclarera :
« […] ce matin, j’ai vu le président à qui j’ai remis ma démission, il m’a remercié pour le bon travail effectué et a accepté ma démission. Il m’a remplacé par Vladimir Poutine, secrétaire du Conseil de sécurité et directeur du FSB. » (Rachmanova, page 101)
S’il n’y avait aucune étanchéité entre les deux, à quoi bon remplacer Stepachine par Poutine ?…
N’est-ce pas que le problème alors posé à la Russie par l’attaque tchétchène contre le Daguestan comportait une solution toute préparée, par le prince des oligarques, à la périlleuse succession de Boris Eltsine ?
Pouvait-elle consister en ceci : « 16 août 1999 : Vladimir Poutine est nommé Premier ministre » ?
Non, certainement. Mais alors ? D’où provient le surgissement du directeur du FSB dans ce concert qui ne pouvait que lui être tout à fait hostile ?
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Michel J. Cuny
A reblogué ceci sur josephhokayem.
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