La légalité bourgeoise

Quant à ce que peut être la loi dans un système politique entièrement aux mains de la bourgeoisie, cela ne faisait aucun doute pour un auteur comme Lamennais (1782-1854) qui écrivait dans son Livre du Peuple, publié en 1837 :
« Les prolétaires ainsi qu’on les nomme avec un superbe dédain, affranchis individuellement, ont été en masse la propriété de ceux qui règlent les relations entre les membres de la société, le mouvement de l’industrie, les conditions du travail, son prix et la répartition de ses fruits. Ce qu’il leur a plu d’ordonner, on l’a nommé loi et les lois n’ont été pour la plupart que des mesures d’intérêt privé, des moyens d’augmenter et de perpétuer la domination et les abus de la domination du petit nombre sur le grand. »

lamennais

Lamennais  (1782-1854)

Se posant tout comme Blanqui mais pour d’autres raisons la question du « patriotisme », il demandait – ce qui était déjà une réponse :
« Est-ce qu’il y a une patrie pour le pauvre ! »

La discussion du projet de loi sur le travail des enfants est un bon exemple du fonctionnement législatif en système libéral. Cette discussion débute dans les derniers mois de 1840, l’année marquée par une dégradation de la situation économique et par des grèves. Proudhon (1809-1865) fait cette description :
« En décembre 1939 il y a 30.000 tailleurs à Paris qui ne font rien ; autant à proportion des autres états ; on porte à 150.000 le nombre des ouvriers sans ouvrage. Comment vivent-ils ? C’est un mystère, ce ne sont pas toujours les mêmes qui chôment ; mais ils travaillent tour à tour, un jour, deux jours par semaine, sans que cette succession ait d’ailleurs rien de fixe. […]. Leur exaltation révolutionnaire me semble aujourd’hui voisine du désespoir. Ils savent que le plan de Paris est tiré par le gouvernement de manière à occuper subitement tous les points de Paris à la première émeute. Ils savent qu’ils ne peuvent se soulever aujourd’hui sans être par milliers massacrés. C’est cette impuissance même qui les rend plus terribles. […] ils parlent de massacrer le premier qui, n’ayant pas combattu, leur parlera de modération, d’ordre ou de respect des propriétés… »

C’est donc dans ce contexte social que les députés vont avoir à décider des limites à donner à la liberté du travail. Faut-il interdire l’entrée des manufactures aux enfants de moins de… huit ans ? Faut-il fixer un maximum au temps de travail de ceux qui ont moins de… douze ans ? Voici une première réponse qui émane sans doute d’un « ami de l’humanité », le juriste Taillandier :
« […] législateur, je me demande si ce sentiment de la pitié auquel mon âme est aussi en proie, je ne dois pas le faire taire devant l’idée du droit, et si je puis m’associer à ce qui pourrait bien n’être qu’une violation des limites dans lesquelles la puissance sociale doit être contenue. (…) Je me demande si la société a le droit de régler d’une manière quelconque le travail, soit des enfants, soit des adultes, soit des hommes d’âge mûr. »

Attendrissant personnage ! Et tout à fait respectueux du droit ! Mais qui en réalité se moque du monde.

Michel J. Cuny

(Ce texte est extrait de l’ouvrage de Michel J. Cuny – Françoise Petitdemange « Le feu sous la cendre – Enquête sur les silences obtenus par l’enseignement et la psychiatrie » – Editions Paroles Vives 1986, qui est accessible ici.)


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