Origine et niveau du profit

Sans m’engager trop loin, pour l’instant, dans l’analyse du mode capitaliste de production, je peux introduire ici la conception que l’économiste écossais Adam Smith (1723-1770) se faisait du profit :
« Dans toutes les industries, la plupart des ouvriers ont besoin d’un employeur qui leur avance matériaux, salaire et subsistance jusqu’à l’achèvement de leur travail. Cet employeur partage avec eux le produit de leur travail ou la valeur que celui-ci ajoute aux matières premières transformées, et c’est en cette part que consiste son profit. »

D’où il ressort que celui-ci est le résultat d’une soustraction. Il y a comme un gâteau à partager : c’est le produit du travail de l’ouvrier. Une part lui en revient. Elle lui permettra de subsister. Le reste, c’est le profit de l’entrepreneur. Plus le salaire est faible, plus le profit est élevé.

L’ordre bourgeois aide l’entrepreneur à maintenir le salaire au plus bas niveau. C’est bien pourquoi Casimir Perier (1777-1832) affirme :
« Il faut que [la bourgeoisie] soit [maîtresse] pour des raisons de principe. »

Rôle et sanction de l’analyse économique

Quant à être maîtresse du jeu, c’est ce à quoi la bourgeoisie s’efforce, aiguillonnée par ses idéologues, dont Saint-Marc Girardin (1801-1873) a été, sous la Monarchie de Juillet, un des plus appréciés. Ainsi, le 8 décembre 1831, juste après la révolte des canuts de Lyon, écrivait-il :
« Il faut que la classe moyenne [la bourgeoisie, par opposition à l’aristocratie et au prolétariat] sache bien quel est l’état des choses; il faut qu’elle connaisse bien sa position. Elle a au dessous d’elle une population de prolétaires qui s’agite et qui frémit, sans savoir ce qu’elle veut, sans savoir où elle ira ; que lui importe ? Elle est mal. Elle veut changer. C’est là où est le danger de la société moderne ; c’est de là que peuvent sortir les barbares qui la détruiront. […] il ne s’agit ici ni de république ni de monarchie ; il s’agit du salut de la société. On peut fort bien aimer mieux un président électif qu’un Roi, mais ne pas vouloir cependant que la société soit mise sans dessus dessous, et que la queue prenne la place de la tête. La démocratie prolétaire et la république sont deux choses fort différentes. »

On peut penser qu’une telle clairvoyance, qui aboutit à exposer une conception de la république qui dans la France de ce début de XXIème siècle reste tout à fait pertinente, a dû être grassement rétribuée par une bourgeoisie qui avait bien besoin de conseils. À l’inverse, on ne s’étonnera pas du sort qui devait être réservé à des intellectuels comme Auguste Blanqui, par exemple, qui écrivait en février 1832 :
« Il ne faut pas dissimuler qu’il y a guerre à mort entre les classes qui composent la nation. Cette vérité étant bien reconnue, le parti vraiment national, celui auquel les patriotes doivent se rallier, c’est le parti des masses. »

auguste-blanqui

Auguste Blanqui (1805-1881)

Cet homme, qui osait clamer sa révolte contre les « privilégiés qui vivent grassement de la sueur du prolétaire », passera trente ans de sa vie en prison.

Michel J. Cuny

(Ce texte est extrait de l’ouvrage de Michel J. Cuny – Françoise Petitdemange « Le feu sous la cendre – Enquête sur les silences obtenus par l’enseignement et la psychiatrie » – Editions Paroles Vives 1986, qui est accessible ici.)


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