Lorsque, au mois d’août 1991, le patron du KGB – Vladimir Krioutchkov – choisit de participer au putsch qui devait écarter momentanément Mikhaïl Gorbatchev du pouvoir, il ne fait que mettre en application une ligne politique dont il a annoncé, dès longtemps, la nécessité impérieuse, sauf à voir l’Union soviétique remettre son sort aux seules mains des Occidentaux. C’est ce que nous apprend cette information rapportée par Andreï Kozovoï à son propos :
« Le 17 juin [1991] lors d’une réunion du Parlement soviétique fermée au public, il va jusqu’à lire une note d’Andropov datant de 1977, dans laquelle le patron du KGB de l’époque décrit une conspiration ramifiée. » (Kozovoï, page 270)
Vladimir Krioutchkov (1924-2007)
Nous pouvons noter, dès cet instant – sans pouvoir nous y arrêter tout de suite – qu’il y a une sorte de fil rouge qui s’étend de Youri Andropov (patron du KGB de 1967 à1982) à Vladimir Poutine (patron du FSB de juillet 1998 à août 1999), en passant par Vladimir Krioutchkov (patron du KGB de 1988 à 1991).
Doublé, dès le lendemain de son retour aux affaires, par l’homme qui paraît l’avoir libéré – Boris Eltsine -, Mikhaïl Gorbatchev disparaît aussitôt de la scène politique. Le temps est venu, pour les pires adversaires du soviétisme – c’est-à-dire de l’État ouvrier et paysan – de triompher. Marie-Pierre Rey nous dit comment :
« En 1992, le programme radical de libéralisation des prix et de privatisation dans lequel le gouvernement russe se lance pour conduire à marche forcée le pays vers l’économie de marché suscite le développement d’une inflation galopante et un appauvrissement de larges catégories de la population. » (Marie-Pierre Rey, page 70)
Au-delà des quelques hommes, très haut placés dans la hiérarchie gouvernementale, qui avaient fomenté le putsch en 1991, nous découvrons que les représentants de la population de la Fédération de Russie s’inquiètent tout à coup du désastre en cours de réalisation, et se dressent là-contre, ainsi que nous le rapporte Marie-Pierre Rey :
« Dominé par des « conservateurs » proches du Parti communiste qui refusent de cautionner ces réformes drastiques, le Congrès des Députés du Peuple – au sein duquel est élu le Soviet Suprême – ne tarde pas à incarner la résistance au pouvoir et un bras de fer s’engage alors entre le Parlement et le Président. » (Marie-Pierre Rey, page 70)
Le sens profond de la résistance déclenchée contre Boris Eltsine par les élus éclate au grand jour lorsque, ainsi qu’Hélène Carrère d’Encausse s’en fait l’écho auprès de nous…
« Le 13 février 1993, le Parlement restaure le Parti communiste et applaudit les putchistes d’août 1991 qui viennent de sortir de prison. Le VIIIe Congrès des députés du peuple, réuni du 10 au 13 mars, consacre cette marche arrière. » (d’Encausse, page 306)
Désormais, entre l’entourage plus ou moins rapproché de Boris Eltsine et les responsables élus qui sont témoins des processus mis en œuvre et des conséquences redoutables qu’ils ne vont pas tarder à avoir, un large fossé s’est creusé, tandis que la population elle-même ne paraît pas se douter de ce qui l’attend, ce qui offre une extravagante marge de manœuvre au président élu de la Fédération de Russie.
Pour l’illustrer, reprenons la chronologie des actes de Boris Eltsine telle que Marie-Pierre Rey la développe pour nous :
« Pour asseoir la légitimité présidentielle, un référendum portant sur la politique de réforme est organisé en avril 1993 et le « oui » l’emportant avec près de 58 % des suffrages, Boris Eltsine est conforté dans ses choix politiques et économiques. Fort de ce succès, le Président présente le 29 avril un projet de constitution et, de plus en plus décidé à en finir avec l’opposition conservatrice, il dissout le 21 septembre 1993 Congrès et Soviet Suprême, convoquant pour décembre des élections législatives anticipées. » (Marie-Pierre Rey, page 70)
La riposte des élus est immédiate :
« Conduits par le vice-président de la Fédération de Russie, Alexandre Routskoï, et le président du Soviet Suprême, Rouslan Khasboulatov, les députés du Soviet Suprême répliquent en votant la destitution de Boris Eltsine et son remplacement par Alexandre Routskoï. » (Marie-Pierre Rey, page 70)
C’est alors que se produit ce que Marie-Pierre Rey décrit comme « la tragédie d’octobre 1993 » :
« […] face au Parlement en révolte retranché depuis le 24 septembre dans la Maison-Blanche, le pouvoir présidentiel, au nom d’une légitimité menacée, choisit de répondre par la force, impose l’état d’urgence et ordonne un assaut brutal qui le 4 octobre fera officiellement 145 morts et de nombreux blessés, tandis que Rouslan Khasboulatov et Alexandre Routskoï sont inculpés pour sédition. » (Marie-Pierre Rey, pages 70-71)
Suit une note qui nous apprend ceci :
« Ils seront en fin de compte amnistiés par la Douma d’État en février 1994, au grand dam du président Eltsine. » (Marie-Pierre Rey, page 71)
Ajoutons encore cette phrase de Xavier Moreau qui nous permet de bien comprendre qui étaient les principaux protagonistes de cette résistance à l’effondrement apparemment définitif du soviétisme en Russie :
« L’état de siège se prolonge du 24 septembre au 18 octobre, journées pendant lesquelles communistes et forces de l’ordre acquises à Eltsine s’affrontent violemment. » (Xavier Moreau, page 35)
Les avant-derniers mots seront pour Marie-Pierre Rey :
« La tentative de putsch en 1993 sert rapidement de prétexte à tout un ensemble de mesures dirigées contre les nostalgiques de l’URSS communiste : la radio-télévision de Saint-Pétersbourg est saisie, le 7 novembre 1993, la célébration de la révolution d’Octobre est interdite à Moscou et le musée Lénine, fermé. » (Marie-Pierre Rey, page 74)
Quant à la toute dernière question, celle qui concerne Vladimir Poutine lui-même, elle est posée par Tania Rachmanova :
« Comment expliquer que le chef des services secrets puisse devenir le successeur de Boris Eltsine, celui-là même qui avait tout fait pour affaiblir le rôle de l’ex-KGB ? » (Rachmanova, page 80)
C’est que nous allons voir…
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Michel J. Cuny