En ce qui concerne l’entreprise Sanofi, nous en étions restés au moment où elle appartenait à Elf-Aquitaine. Or, Total ayant absorbé celle-ci va pouvoir la réunir à Synthélabo que contrôle L’Oréal, pour former une filiale commune : Sanofi-Synthélabo. Nous nous trouvons alors disposer des éléments qui nous permettent de voir comment Total et L’Oréal – qu’on peut considérer, pour diverses raisons économiques et politiques, comme les deux principales colonnes du capitalisme français – s’appuient sur l’Assurance maladie, sur le système du brevet, et sur l’activité dont le taux de profit est le plus élevé de l’économie capitaliste, pour s’ouvrir, par le moyen de Sanofi-Synthélabo devenue plus tard Sanofi-Aventis, un empire à la dimension du monde…
En effet, comme nous le constatons maintenant, ce qui a pu nous surprendre et même nous choquer dans le fonctionnement très mystérieux du CEPS (Comité économique des produits de santé) placé sous la direction de Noël Renaudin, et chargé de définir les prix du médicament, participe d’une logique qui trouve son origine dans l’adoption en 1959 d’un système de brevet qui pousse les entreprises pharmaceutiques à développer la recherche afin de s’approprier un monopole d’autant plus profitable qu’elles parviendront à l’étendre dans la dimension internationale.
Michèle Ruffat écrit :
« Une négociation a lieu tous les ans avec chaque laboratoire pour définir un contrat global. L’industriel se voit accorder un certain niveau de marge en fonction du chiffre d’affaires qu’il prévoit et de ses dépenses de recherche-développement, moyennant le plafonnement des dépenses de promotion. »
Ce qui ne peut évidemment pas être du goût de tous les laboratoires pharmaceutiques au même moment… Ainsi, tandis que Synthélabo se dit « satisfait de voir se mettre en place, enfin, une politique industrielle, avec une prime à l’innovation », chez Delalande, qui ne l’a pas encore rejoint, on s’inquiète, comme le signale un analyste financier :
« Une fièvre spéculative a entouré le titre Delalande après l’annonce de ces nouvelles mesures réglementaires. Le marché a jugé que ce plan était tellement défavorable à ce laboratoire familial, vivant d’anciens produits, que celui-ci allait se voir acculé à la cession… À l’inverse, l’impact sur les volumes devrait être largement compensé, pour Synthélabo, par l’avantage donné à l’innovation et par l’effort positif de la politique de prix. »
Ayant atteint aujourd’hui son rythme de croisière, ce système produit assez régulièrement des résultats qui ne peuvent que troubler, non seulement les responsables de l’Assurance maladie, mais également ceux des Assurances complémentaires, et notamment André Wenker, le directeur général de la Mutuelle générale des cheminots qui a effectué une enquête détaillée dont il a livré les résultats en octobre 2010 :
« Pourquoi cette enquête ? Tout simplement, elle vient de mon étonnement lorsque j’ai vu les résultats de la société Sanofi-Aventis publiés l’année dernière, résultats 2009 qui faisaient état, pour un chiffre d’affaires de 28 milliards d’euros, d’un résultat opérationnel net de 9 milliards, ce qui représente plus de 30% de marge. »
André Wenker poursuit :
« D’où mes questionnements, en disant, d’un côté, nous avons des systèmes d’assurance-maladie obligatoire qui sont exsangues, qui sont en déficit : 11 ou 12 milliards l’année dernière, de l’autre, des entreprises qui font [à elles toutes] 30 milliards de résultat opérationnel net. »
Mais n’est-ce pas plus logique qu’il n’y paraît ? Pour répondre à cette question, ne faudrait-il pas regarder de plus près comment la notion générale de « sécurité sociale » a fini par s’acclimater en système capitaliste, c’est-à-dire à devenir l’un des moteurs les plus importants de l’accumulation et donc de l’exploitation ?
Michel J. Cuny
(NB. Ce texte est extrait de Michel J. Cuny – « Une santé aux mains du grand capital ? – L’alerte du Médiator », Editions Paroles Vives 2012, accessible ici.)