Un volontarisme privé-public pour le meilleur et pour le pire

Tous ces mouvements de concentration, d’une ampleur économique considérable, doivent être resitués dans le contexte des années 1960-1970 qui leur a donné naissance. En effet, il semble qu’il y ait eu une inflexion sensible de la politique des pouvoirs publics français dans les moments qui ont précédé la création de Synthélabo par fusion de Dausse avec Robert & Carrière en 1970.

Voici ce qu’en dit Michèle Ruffat :
« En demandant l’application de la loi du 12 juillet 1965 (art. 16) instaurant des mesures fiscales favorables aux apports partiels d’actifs, M. Génot [Laboratoires Dausse] soulignait que « les différentes structures envisagées ont pour but principal de préparer nos structures nationales à des possibilités de débouchés européens », et que « des aménagements, dans leur ensemble, permettront aux groupes constitués de se poser en fusionnaires pilotes et d’aboutir à la création d’un groupement européen à majorité française ». Quelques mois plus tard, M. Génot recevait une lettre de félicitations de François Dalle, ministre de la Santé publique et de la Sécurité sociale, pour cette décision « aussi conforme à l’intérêt de la santé publique qu’à notre intérêt national ». 


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Après la constitution de Synthélabo, survient la question de la révision du régime de fixation des prix du médicament, à l’occasion de laquelle le groupe d’études mis en place par Synthélabo rappelle que…
« les grands produits originaux sont rares, même dans l’histoire des plus grands laboratoires, mais la découverte de ces quelques grands produits originaux a été rendue possible par la commercialisation de produits actifs, mais parfois mineurs, qui ont permis à ces laboratoires de survivre et de poursuivre leurs recherches entre deux découvertes considérées comme majeures ».

Sans doute la nouvelle manière de fixer les prix, en y incluant de façon significative l’effort de recherche, n’est-elle pas défavorable à Synthélabo qui voit, dès 1972, son résultat brut d’exploitation (c’est-à-dire : avant règlement de l’impôt sur les sociétés) atteindre 27,6% du chiffre d’affaires…

C’est le moment (mai 1973) que choisit L’Oréal pour acquérir 45% de son capital, puis encore, à la fin de l’année, les 6% qui lui assureront la majorité des voix.

La nouvelle acquisition réalisée fait immédiatement croître de 15% le chiffre d’affaires du spécialiste des produits de beauté. François Dalle, son directeur général, explique la stratégie qui est en cours à partir de la recherche en cosmétologie, la spécialité de L’Oréal :
« L’évolution du progrès technique a conduit nos laboratoires à découvrir des substances plus actives… Ces découvertes nous mettent en possession de produits à action curative profonde protégés par des brevets et susceptibles d’être soumis au visa pharmaceutique dont l’utilisation ne nous a semblé possible que dans le cadre d’un laboratoire pharmaceutique… Il importait donc que nous disposions d’une structure nous permettant d’exploiter les travaux de nos laboratoires, à la fois dans le domaine extrapharmaceutique comme nous le faisons aujourd’hui, et dans le domaine pharmaceutique demain. »

Un nouvel allié potentiel se présente alors sous la forme du groupe Métabio-Joullié qui a su prendre une place majeure dans le SNIP (Syndicat national de l’industrie pharmaceutique). Son PDG, Jacques Baetz en est le vice-président, cependant que, comme le rappelle Michèle Ruffat :
« Le vice-président directeur général, Gabriel Maillard, des Laboratoires Joullié, est le président sortant du SNIP, où il a mené dans la décennie soixante-dix une vigoureuse campagne médiatique de défense de la profession face aux attaques dont elle était l’objet. »

Nous sommes en 1980. Michèle Ruffat décrit le contexte dans lequel, par le renforcement de Synthélabo intégrant Métabio-Joullié, L’Oréal, l’actionnaire principal, va devenir le troisième grand groupe pharmaceutique français derrière le numéro un, Rhône-Poulenc, et le numéro 2, Sanofi :
« Dans une industrie pharmaceutique totalement administrée comme l’est l’industrie pharmaceutique, la politique d’accompagnement pratiquée par les pouvoirs publics se manifeste dans les négociations sur les prix. Les autorités de tutelle sont de plus en plus sensibles aux arguments qui mettent en avant la nécessité de financer les investissements dans la recherche et les projets d’expansion internationale. »

Pour sa part, le journal Le Monde salue l’opération de fusion en affirmant :
« Elle va dans le sens des voeux formulés par l’administration, désireuse de voir l’industrie nationale de la pharmacie se doter de structures solides la rendant capable d’innover, d’étendre son rayonnement international et de lutter sur tous les fronts à armes égales avec ses grands concurrents étrangers. »

Michel J. Cuny

(NB. Ce texte est extrait de Michel J. Cuny – « Une santé aux mains du grand capital ? – L’alerte du Médiator », Editions Paroles Vives 2012, accessible ici.)


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