Ainsi que le constate Michèle Ruffat :
« Le professeur Justin-Besançon comprend immédiatement quel levier extraordinaire représente la protection du brevet pour l’expansion à l’étranger. »
Pour ce qui est alors la spécialité phare des Laboratoires Delagrange, le Primparan (métoclopramide), qu’ils déposent partout où ils le peuvent, les résultats sont parlants :
« En 1980, le produit est vendu dans le monde entier, et dix types d’associations médicamenteuses contenant du métoclopramide sont commercialisées dans 36 pays. »
De façon générale, les appétits des laboratoires pharmaceutiques, qui voient leurs chiffres d’affaires exploser, se développent à grande vitesse suscitant en retour quelques contrecoups déplaisants. Voici ce qu’expose en 1966 le conseil d’administration de Robert & Carrière :
« La découverte d’un principe original actif est de plus en plus longue, coûteuse et aléatoire. Dans la chimie de synthèse, qui constitue l’une de nos principales activités, les molécules les plus simples ayant été étudiées ou réalisées, nous devons nous orienter vers des structures de plus en plus compliquées dont l’élaboration exige de longues études. De plus, les laboratoires du monde entier disposant de chercheurs en nombre croissant et de plus en plus spécialisés, de techniques améliorées et de moyens matériels plus puissants, il en résulte que la recherche dans l’industrie pharmaceutique revêt un caractère de dure compétition internationale. Par ailleurs, le souci de protection de la santé publique a conduit à augmenter les diverses expérimentations et les études cliniques. De nombreuses années s’écoulent par conséquent entre la découverte d’un principe actif nouveau et sa mise à la disposition du corps médical sous forme de spécialité pharmaceutique. »
Ce qui est décrit là, c’est tout simplement l’essentiel du processus impérialiste, qui ne cesse d’appeler à orienter toujours plus de forces de pénétration vers l’extérieur : d’où un effet en retour qui le porte à entrer lui-même dans la voie de la concentration des capitaux, afin, par un effet de monopole, de ramasser l’essentiel de la mise. Il lui faut alors l’appui des pouvoirs publics pour prendre les mesures intérieures qui permettront aux sociétés les plus petites ou les plus vieillissantes de se rallier à celles qui sont dans une marche ascendante, et qui, sinon, les dévoreront ou les laisseront dépérir…
Ce que résume parfaitement bien Michèle Ruffat :
« Pour toutes ces raisons auxquelles s’ajoutent les mesures d’incitation au développement de la recherche et à la concentration, les laboratoires français sont mis devant la nécessité d’investir massivement dans la voie de la recherche scientifique et d’augmenter dans de très fortes proportions leurs capacités de production. Certains se résignent au rachat par des compagnies étrangères, d’autres choisissent la voie de la concentration en joignant leurs capacités d’investissement à celles d’autres laboratoires de taille comparable. »
En synthétisant les données figurant dans l’ouvrage que nous avons déjà abondamment cité, et d’autres provenant de sources différentes, nous saisissons la gestation de Synthélabo à travers de multiples opérations d’absorptions-fusions…
En 1965, Delalande achète Carrion ; en 1968, Théralgon ; en 1988, Vaillant-Defresne ; en 1989, Théophyllines Bruneau. Nous le retrouverons dans la fusion de 1992 avec Synthélabo.
En 1969, l’Équilibre biologique fusionne avec Métadier pour donner Métabio. Dans les années 70, Métabio reprend Lelong, Ronchèse, TLAM ; en 1977, Laroze ; en 1978, Métabio et Joullié fusionnent pour donner Métabio-Joullié.
À la fin des années 60, Dausse absorbe Chimidrog, Gabail et Sodelis ; puis c’est la fusion de Dausse avec Robert & Carrière pour former Synthélabo qui absorbe Porgès en 1979, Métabio-Joullié en 1980, Ela Medical en 1983, Delagrange et Delalande en 1992, enfin Goupil en 1993.
Dans une autre dimension…
En 1990, c’est le passage de Rhône-Poulenc et de Rorer à Rhône-Poulenc Rorer ; en 1995, l’absorption de Fisons.
Ailleurs encore…
En 1995, le laboratoire allemand Hoechst acquiert Marion Merrel Dow ; en 1997, c’est au tour de Roussel-Uclaf (français) ; ce qui nous met désormais en présence de Hoechst-Marion-Roussel (HMR).
Nous aboutissons ainsi, en 1999, à la fusion entre HMR et la branche pharmaceutique de Rhône-Poulenc Rorer pour donner Aventis.
Quant à Sanofi, créée en 1973 par la compagnie pétrolière Elf-Aquitaine, elle acquiert le groupe Parcor (1974), les laboratoires Lafarge (1977), la branche pharmaceutique du groupe CM Industries (1980), le laboratoire Choay (1983), des laboratoires au Portugal, au Maroc et en Allemagne (1989), Chinoin en Hongrie (1990), Sterling Winthrop aux États-Unis (1994). Enfin, en 1999, sa fusion avec Synthélabo la transforme d’abord en Sanofi-Synthélabo, puis l’acquisition d’Aventis (2004) en Sanofi-Aventis.
Concentration des moyens de production… En face : explosion du chômage… A part ça : pas de lutte de classes !…
Michel J. Cuny
(NB. Ce texte est extrait de Michel J. Cuny – « Une santé aux mains du grand capital ? – L’alerte du Médiator », Editions Paroles Vives 2012, accessible ici.)