11. Une vie d’esclaves

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Une vie d’esclaves

Dans les Amériques, s’est constituée une société divisée en propriétaires des moyens de production et d’échange (terres, fabriques, main-d’œuvre) et en travailleur(euse)s (tribus millénaires forcées au travail, esclaves importé(e)s d’Afrique), en maîtres et en esclaves.

Dès le début de leur importation d’Afrique vers les Amériques, les Noir(e)s ont résisté, se sont révolté(e)s, ont fui. Les déporté(e)s se sont révolté(e)s sur les navires ; devenu(e)s esclaves, ils se sont révolté(e)s sur leurs lieux de travail ; pour échapper aux punitions des maîtres, ces hommes et ces femmes ont fui… Contrairement à ce qu’une certaine histoire voudrait laisser accroire, les Africain(e)s n’étaient pas la main-d’œuvre docile espérée par les Blanc(he)s, les Européens, propriétaires de plantations, de fabriques et de mines, et de maisons à faire entretenir par des domestiques choisi(e)s parmi les esclaves.

Du XVIème au XXIème siècles, les Africain(e)s ont toujours résisté aux esclavagistes et aux colonisateurs, au péril de leur intégrité physique et morale, au péril de leur vie. Le travail salarié est une continuation de l’esclavage sous une autre forme : il y a toujours, d’un côté, les propriétaires de capitaux, des moyens de production et d’échange, et, de l’autre, des hommes, des femmes, des enfants aussi, dont la vie dépend de ces propriétaires qui se rendent maîtres de la force de travail et du meilleur du temps de vie de leurs salarié(e)s. À travers les siècles, l’exploitation de l’être humain par l’être humain s’appuie sur les structures les plus diverses qui lui permettent de perdurer.

Les conditions de vie et de travail étant inhumaines, les esclaves se sont rebellé(e)s : entre le XVIIème et la fin du XIXème siècles, il y aura plusieurs centaines de révoltes d’esclaves, plus ou moins importantes, bien que matées dans le sang par les propriétaires esclavagistes qui paieront, parfois, eux et leurs familles, le prix de leur exploitation d’autres êtres humains. Au fil du temps, les esclaves allaient utiliser l’arme de leurs bourreaux : le mensonge, le vol ; ils utiliseraient la leur aussi : la fatigue aidant, ils-elles ralentissaient le rythme de leur travail, manquaient les tâches à accomplir, sabotaient l’outil de travail. Porté(e)s au comble du désespoir, ils-elles incendiaient la fabrique ou la maison du maître, et, lorsqu’ils-elles étaient poussé(e)s à bout, ils-elles en venaient au meurtre… Sinon, ils-elles tentaient leur chance en prenant la fuite.

Dès la constatation que certain(e)s esclaves manquaient, les propriétaires envoyaient leurs milices (petits Blancs, mulâtres, Indiens), dirigées par des « capitaines de brousse » comme au Brésil, sur les traces des fugitif(ve)s : il n’était pas rare – comble de l’horreur pour les maîtres – que des Indiens rejoignissent les Noir(e)s dans des communautés de fugitif(ve)s. Rattrapé(e)s, les esclaves étaient puni(e)s de coups de fouet, de mutilations (marques au fer rouge, oreille(s) coupée(s), poignet(s) coupé(s), pied(s) coupé(s), jambe(s) coupée(s), etc.), en fonction des récidives, et puis de la mort aussi. Beaucoup d’esclaves ont utilisé la seule liberté dont ils disposaient : le suicide plutôt que le retour à l’esclavage. Ce ne sont pas les hommes de la révolution américaine ni de la révolution française de 1789 qui ont donné leur liberté aux esclaves ; ce sont les esclaves qui, bravant la mort qui n’était pas pire que la vie qui leur était faite, ont arraché leur liberté contre les maîtres de maison qui pratiquaient le viol, contre les propriétaires de plantations et de fabriques, et qui ont obligé les hommes politiques à légiférer en faveur de l’abolition de l’esclavage.

Puisque la possibilité de se réunir leur était interdite, les esclaves se retrouvaient en cachette, la nuit, dans des lieux difficiles d’accès… D’ailleurs, ceux-celles, qui ne seront pas repris(es), très vite après leur fuite, par les milices parties à leur recherche, s’organiseront en communautés dans ces lieux secrets (bois, marais, montagnes). Malgré quelques déclarations en faveur de l’abolition de l’esclavage, après les révolutions américaine et française de la fin du XVIIIème siècle, les volontés affichées passaient difficilement dans la réalité : aux États-Unis, querelle inextinguible entre le Nord et le Sud ; en France, remise en vigueur de la traite des Noir(e)s et de l’esclavage par Napoléon Ier

À la fin du XVIIème siècle, un « chemin de fer clandestin » avait permis aux esclaves de fuir vers la Floride (territoire contrôlé par l’Espagne). Au début du XIXème siècle, un autre « chemin de fer clandestin », « l’Underground Railroad », permettra aux esclaves de fuir du Sud des États-Unis vers le Nord, au Canada notamment : ce réseau de sentiers et de cachettes, créé par un groupe d’esclaves devenu(e)s libres, d’esclaves « marrons » qui n’avaient pas été rattrapé(e)s, de Blanc(he)s partisan(e)s de l’abolition de l’esclavage, portera assistance aux esclaves en fuite et sera très actif entre les années 1850 et 1860 ; Harriet Tubman, esclave qui s’était enfuie, participera, avec un groupe de Quakers, à l’évasion d’un grand nombre de ses frères et de ses sœurs d’infortune : elle sera le symbole de l’organisation de ce réseau d’hommes et de femmes en lutte pour la liberté.

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« L’Underground Railroad »,
très actif dans les années 1850-1860

Après le travail forcé qui avait tué la main-d’œuvre et contribué à l’extinction de certaines tribus millénaires, après l’esclavage des Noir(e)s qui avait asséché la source de la main-d’œuvre en Afrique et qui, en étant de moins en moins productif au regard de nouvelles méthodes de travail, tarissait la source de profit, les propriétaires de capitaux se tournaient vers le travail salarié qui les dispensait d’entretenir directement la vie des esclaves et de leurs familles jusqu’à la fin de leur vie… Contre salaires, les plus bas possible, les nouveaux travailleurs devaient entretenir eux-mêmes leur force de travail et nourrir leur famille.

Françoise Petitdemange
13 novembre 2016

Suite : 12. Une Afrique exsangue


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