Pour aider à sortir de l’ornière qu’on s’efforce de nous imposer…
Une souveraineté guerrière…
L’arrestation de Jean Moulin (21 juin 1943) a très rapidement succédé à la première réunion du Conseil National de la Résistance (27 mai 1943) : moins d’un mois les sépare. Ce qui est parfaitement logique… compte tenu du sens extrêmement restreint que De Gaulle avait décidé de donner à cet organisme.
Ici, partant de la chute de Jean Moulin, nous pouvons nous en tenir à ce fait, essentiel pour la suite de l’Histoire de France, que Charles de Gaulle est dès lors libéré du poids, qui aura pesé sur lui pendant 25 jours, d’avoir à reconnaître, dans le Conseil National de la Résistance, un organe souverain sous les décisions duquel il aurait dû plier son propre rôle.
Par la rupture criminelle du pacte qui le liait à la Résistance et par l’élimination du promoteur de la brève souveraineté du C.N.R., De Gaulle aura réussi à se placer très vite à la tête de l’ensemble des affaires.
Nous ne retiendrons ici que ses deux décisions, l’une du 8 mai 1945 et l’autre du 15 septembre 1945, qui vont mettre le feu aux poudres en Algérie (pour le long terme) et en Indochine (immédiatement).
Ces décisions ont été prises par De Gaulle tout seul, mais dans le cadre de l’exercice de la souveraineté : c’est-à-dire qu’elles engageaient la France immédiatement et pour le long terme.
Ainsi, par la seule volonté d’un individu intervenant dans un pays à peine sorti d’une guerre mondiale et d’une occupation étrangère ignoble, d’un individu qui n’hésiterait pas à quitter le pouvoir dès le 20 janvier 1946 – tout en continuant à entretenir, depuis Colombey-les-Deux-Églises, le développement de la guerre d’Indochine à travers l’amiral Thierry d’Argenlieu -, notre pays serait responsable, directement et indirectement, de la mort d’un peu plus de 2 millions d’êtres humains…, perdrait tous ses contacts avec le monde asiatique, et devrait concéder l’indépendance à trois de ses départements qui allaient, tout juste au moment où il les perdait, se révéler détenteurs de ressources pétrolières considérables (auxquelles il faudrait, plus tard, ajouter les ressources en gaz). Belle rente qui nous sera passée sous le nez, Algériens-Français, Français-Algériens !
La victoire de la France sur le nazisme – victoire qui ne doit rien à De Gaulle qui n’aura jamais fait que se mettre, autant qu’il l’aura pu, en travers de l’effort de guerre des Alliés, mais surtout de la volonté de combattre des résistantes et résistants – n’aura même pas eu le temps d’être fêtée que, déjà, nous sombrions nous-mêmes dans le pire de la guerre coloniale, et bientôt jusqu’à cette torture qui n’en est que la petite sœur… mais dont les nazis nous avaient déjà fourni un fort beau modèle duquel Jean Moulin a été l’une des victimes les plus retentissantes, grâce à Pierre Bénouville, dont De Gaulle n’aura jamais renié l’exceptionnel service qu’il lui aura rendu par là même.
La guerre décidée par un seul homme… Voilà qui nous rappelle, par ailleurs, quelque chose…
Comme un cauchemar qui pointe le bout du nez : deux décisions, et si rapprochées, prises par deux présidents de la république, de cette Cinquième République qui nous vient, paraît-il, d’un certain De Gaulle… Sarkozy-Hollande, Libye-Syrie…
Ainsi donc De Gaulle nous tient-il toujours, et, avec lui, c’est la guerre qui nous tient… puisque la Cinquième République a justement été mise en place pour cela. Guerre intérieure, par l’article 16, et guerre extérieure qui peut nous sauter au visage à tout moment et sur un caprice tout ce qu’il y a de plus individualisé comme nous avons commencé à le vérifier en 2011 grâce à l’intervention du quidam Bernard-Henri Lévy dans l’affaire de Libye : ce qui est tout de même un comble !
Osons le mot pour la première fois : que nous le voulions ou non, nous sommes dans une monarchie quinquennale qui peut, à tout moment, nous entraîner dans une guerre, d’abord et avant tout fondée sur la seule décision du président qui peut rencontrer ici ou là le favori ou la favorite qui l’aideront à passer à l’acte. C’est désormais un fait d’expérience.
Nous savons, de plus, que même le ministre des Affaires étrangères – en l’occurrence l’inénarrable Alain Juppé – peut être, comme le citoyen le plus modeste et le plus éloigné de tout pouvoir, complètement laissé de côté au moment de la prise de décision.
La Constitution de 1958, ce terrible coup de massue – redoublé par le référendum anticonstitutionnel qui a permis en 1962 de placer l’élection du président de la République sous la responsabilité apparente du suffrage universel – qui a offert à De Gaulle des retrouvailles désormais légitimées avec l’absence de contrôle qui avait caractérisé son action catastrophique en 1945, n’a pas cessé de développer son potentiel d’arme de guerre à usage immédiat.
Nous n’en sommes plus à aller « Vers l’armée de métier« , selon le titre du livre que le lieutenant-colonel De Gaulle a publié en 1934, et dont Adolf Hitler a pu largement s’inspirer dès 1935. L’armée de métier est là. Oubliée par De Gaulle à l’époque, l’aviation est aujourd’hui elle aussi bien là, pratiquement mobilisable à la minute… Et pour quoi faire ? Laissons le De Gaulle nous en dire plus dès 1934 :
« Il est de fait, dorénavant, que sur mer, sur terre et dans les airs, un personnel de choix, tirant le maximum d’un matériel extrêmement puissant et varié, possède sur des masses plus ou moins confuses une supériorité terrible. « On verra », suivant Paul Valéry, « se développer les entreprises de peu d’hommes choisis, agissant par équipes, produisant en quelques instants, à une heure, dans un lieu imprévus, des événements écrasants ». » (« Vers l’armée de métier« , Club des bibliophiles, p. 48)
Et les populations, s’inquiétera-t-on, quel rôle leur sera-t-il laissé ? Mais aussi, par quoi a pu être retenu le regard d’Adolf Hitler lisant en 1935 la traduction spécialement réalisée pour lui des meilleurs passages de ce brûlot qui apporterait sa fort belle contribution à l’effort de guerre nazi ? Ceci :
« Sans doute, cet avantage pourrait-il être momentané. Pour peu que la foule consente à s’organiser, à s’instruire avec toute la rigueur qu’exige désormais l’outillage, bref qu’elle cesse d’être la foule, les éléments spécialisés perdraient progressivement leur puissance relative. Mais, pour un délai de plus en plus long, dans un espace de plus en plus large, à mesure que s’accroissent la complication et le rayon d’action des moyens, les professionnels, dans leurs navires, leurs avions, leurs chars, sont assurés de dominer. » (Idem, page 48)
Ceci enfin, dont il ne sera pas dit que nous l’ignorions, et qu’il faut donc inscrire en lettres de sang :
« Du jour où sera créée une force faite d’hommes de chez nous, mais professionnelle et, par-là, disposée aux campagnes lointaines, soustraite au marché électoral et faisant voir, de temps en temps, dans des régions bien choisies, quelques-unes de ses belles troupes, nous serons assez bien parés contre des événements fâcheux pour les rendre, du coup, moins probables. » (Idem, page 58)
Pour les résultats, on se reportera à l’Indochine et à l’Algérie… en attendant de boire la tasse du pétrole !
Michel J. Cuny