Lorsque, au sortir d’un baccalauréat C (été 1969), j’ai dû m’inscrire à l’Université de Nancy, j’ai choisi – sans du tout choisir – la faculté de sciences et de mathématiques. Nommé, dès septembre, maître d’internat dans un collège d’enseignement technique de ma ville natale (Saint-Dié, Vosges), je me trouvais, quatre jours par semaine, à 80 kilomètres de distance des amphithéâtres. Il paraît que, dans l’étude des sciences exactes, cela ne peut pardonner.
Dès le temps de ma seconde venue dans le seul cours de mathématiques que j’avais pu fréquenter lors de ma première visite à Nancy, j’ai découvert que je ne comprenais pas même la moitié des termes utilisés…
C’est dans ce contexte qu’un événement allait bouleverser ma vie intellectuelle. Parmi mes collègues surveillants au CET Saint-Roch, il y avait Jean-Louis Durand – il vit aujourd’hui en Australie où il a fait toute sa carrière de professeur d’université – qui avait décidé, lui, d’entamer des études de droit. Un jour, très exalté, il m’invita à l’accompagner à Nancy dans l’amphithéâtre où l’éminent professeur de droit constitutionnel, François Borella – cofondateur, avec Michel Rocard, du PSU (Parti socialiste unifié, qui avait connu son heure de gloire dans les années immédiatement précédentes) – donnait un cours qui était alors très fréquenté.
Il était question, ce jour-là, du contenu de la Constitution de la Cinquième République. De Gaulle avait démissionné en avril 1969. Nous étions en octobre ou en novembre : il était toujours en vie (il allait disparaître un an plus tard). Au détour d’une phrase, j’ai soudainement entendu ceci de la bouche de cette grande autorité universitaire et intellectuelle qu’était alors François Borella : « En 1962, en mettant en œuvre le référendum qui devait déboucher sur l’adoption de l’élection du président de la République au suffrage universel, le général de Gaulle a violé la Constitution qu’il avait lui-même fait adopter par le peuple français en 1958. »
Dans l’immédiat, je n’y ai pas vraiment cru. Mais le droit, qu’il soit constitutionnel, pénal, civil, etc., ne fait pas que frapper dans la masse : il s’explique, et jusqu’au dernier point de détail. C’est du moins ainsi que j’ai été formé par lui à l’analyse de texte.
Le soir même, pour reprendre mon service dès le lendemain matin à l’internat du CET, je prenais le train omnibus Nancy-Saint-Dié, et ceci dans un horaire qui me faisait côtoyer une masse considérable d’ouvriers à peine sortis de leurs ateliers ou de leurs usines. J’étais là, au milieu d’eux, et j’aurais voulu leur crier ce que je venais d’apprendre et ceci, qui me paraissait proprement stupéfiant, dans le cadre d’un cours universitaire…
Plus de quarante-cinq ans après cette journée mémorable, je sais, pour l’avoir étudié d’année en année – et aujourd’hui encore -, que tout, chez De Gaulle, a été dissimulé sous une légende devenue maintenant parfaitement inoxydable.
De fait, elle est le point d’ancrage central de l’idéologie dominante telle qu’elle s’exerce en France dans la dimension politique.
Avant d’aller plus loin, il faut se poser une première question : que peut bien signifier la formule « violer la Constitution » ? Qu’est-ce donc qu’une Constitution ? Une formule rapide pourrait consister à dire qu’il s’agit d’un texte qui précise où sont les vrais détenteurs de l’exercice de la souveraineté… La souveraineté… le point le plus élevé du pouvoir.
C’est en réfléchissant à cela, et en accumulant les travaux de caractère historique à propos plus particulièrement de Charles de Gaulle, que je suis véritablement né au questionnement politique.
Mais à la fin de cette année 1969, je n’aurais pas imaginé une seconde à quelles découvertes allait me conduire ma petite visite dans l’amphithéâtre de la faculté de droit de Nancy.
Je vais les dire peu à peu à Mes Amis de Facebook et de Linkedin… C’est qu’avec cette petite cisaille, il nous sera bien plus facile de pénétrer dans l’arrière-boutique des pouvoirs d’aujourd’hui…
Michel J. Cuny