Retour dans les Balkans…
Dans ce qu’il restait de la Yougoslavie, le 1er mars 1942, la deuxième brigade prolétarienne avait été créée par le commandement suprême de Tito. D’autres créations suivraient.
Les Partizani (Partisans) yougoslaves continuaient à mener la guérilla principalement contre l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et l’État-fantoche de Croatie. De janvier à juin 1943, les forces de l’Axe multipliaient les attaques, notamment aériennes, dans le but de détruire le haut commandement et les membres particulièrement actifs du mouvement de résistance et, il faut bien le dire, dans le but d’avoir, avant tout, la peau de Tito.
Comme dans tous les pays où la Résistance luttait contre l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, il n’était pas question pour les combattant(e)s, en cas de victoire, de retrouver le pays tel qu’il avait été avant la guerre. Ceux-celles qui avaient trahi le pays ne devaient plus avoir, à la libération, leur mot à dire et leur place dans le champ politique.
En France, dans la lutte des Résistants et Résistantes contre le nazisme, le fascisme et le vichysme, il y aura des guerilleros espagnols. Malgré le mauvais accueil qui leur avait été réservé, sur le sol français, ils ont combattu avec la Résistance.
50 ans après la Libération de la France à laquelle il avait contribué, Serge Asher, dit Serge Ravanel, s’exprimait en ces termes : “Nous étions jeunes. Nous avions vu des camarades tomber entre les mains de la Gestapo et ne pas revenir. Nous nous disions que, lorsque la guerre serait finie, nous reconstruirions quelque chose de beau, quelque chose de propre, avec des journaux sans capitaux privés, sans magouilles, sans idéologie, sans mensonges.” [Conversation privée.] Dans son livre, il écrivait : « L’histoire des républiques en France nous avait enseigné que les préfets, agents de l’administration centrale, avaient pour rôle essentiel d’exécuter les instructions du gouvernement. On ne les avait pas accoutumés à avoir un dialogue avec la population. L’esprit de la Résistance nous poussait à innover. Nous pensions que les commissaires de la République (de même que les préfets départementaux) devraient travailler la main dans la main avec les CDL [Comités Départementaux de Libération]. » [Serge Ravanel, L’Esprit de Résistance, Éditions du Seuil 1995, page 327. Note FP : L’indication entre crochets est de moi.]
Au fil de son combat, la Résistance s’était organisée et avait créé les structures dont elle avait besoin. Des comités populaires avaient été constitués pour assumer l’autorité et la fonction d’un gouvernement civil à la libération. Dans le camp de la contre-Résistance, des gens s’organisaient aussi… Sans cesse au cœur de l’action de Résistance, Serge Ravanel devait toutefois regretter plus tard de n’avoir pas eu le temps de réfléchir à certains crocs-en-jambe : « Je ne m’étais pas suffisamment interrogé sur les raisons de nos différends avec le tout-puissant BCRA [Bureau Central de Renseignements et d’Actions clandestines de la France libre] que de Gaulle avait chargé d’assumer toutes les relations avec la Résistance [Le BCRA s’était transformé à Alger, devenant la DGSS (Direction générale des services secrets), dirigée par Jacques Soustelle.]. » [Idem, page 341. Note FP : L’indication entre crochets est de moi. La note entre crochets est de Serge Ravanel.]
À l’approche de la libération du pays, tout allait être détruit par ceux qui n’avaient pas intérêt à voir établie une réelle démocratie, c’est-à-dire une démocratie populaire : Charles de Gaulle serait le premier à saper la Résistance intérieure. Jacques Soustelle, qui était dans son entourage à Londres puis à Alger, l’aiderait dans ce travail de sape. Partisan de garder l’Algérie sous la coupe de la France, Jacques Soustelle était proche de l’extrême-droite. (Cela ne l’empêchera pas de terminer à l’Académie française… ce qui est très révélateur de cette institution.) À propos du gouffre qui existait entre de Gaulle et la Résistance en France, Serge Ravanel écrivait : « Il est certain que l’influence des organismes de la Résistance intérieure se faisait grandissante. Un sentiment d’affection se développait dans la population à son égard. De Gaulle en était parfaitement conscient. Tout naturellement, il a dû en concevoir une inquiétude et une méfiance : ne craignait-il pas qu’elle n’échappe à son autorité ou qu’elle constitue un contre-pouvoir ? La Résistance était devenue une grande force sociale. » [Idem, page 345.] Ce contre-pouvoir, n’est-ce pas ce qui aurait dû exister à la Libération et ce qui devrait exister dans toute démocratie digne de ce nom ?
Le chef de la Résistance, Jean Moulin, était resté sur le sol français de 1940 à 1943, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il fût dénoncé à la Gestapo, en juin 1943 : arrêté et torturé à mort, aucune souffrance infligée n’avait eu raison de son silence protecteur pour ses camarades. Force a été de comprendre qu’il aurait gêné et même beaucoup gêné certaines personnes s’il avait été vivant à la libération.
Charles de Gaulle profitera de la chaise vide et s’imposera, à son retour en France, comme le chef de la Résistance, en faisant fi des hommes et des femmes qui avaient risqué leur vie en résistant sur le sol français : il brisera les structures dont les CDL (Comités Départementaux de Libération) qui avaient été mises en place dans le courant de l’année 1943 avant même qu’il ne revienne en France ; il chassera les hommes et les femmes de la politique qui n’était pas la sienne et les renverra dans leurs foyers.
Occupant la fonction de Président du CFLN (Comité Français de Libération Nationale), du 3 juin 1943 au 3 juin 1944, il sera Président du gouvernement provisoire de la République française du 3 juin 1944 au 23 janvier 1946.
Puis, après un passage à vide, il sera à la fois ministre de la Défense nationale et Président du Conseil des ministres, du 1er juin 1958 au 8 janvier 1959. Il sera élu et réélu président de la République française du 8 janvier 1959 au 28 avril 1969. Avec de Gaulle, tout est reparti comme en l’an 40 ou presque : il a rappelé à lui certains traîtres…
Au lieu de faire confiance aux jeunes qui avaient risqué leur vie, en France, il a réhabilité des anciens de Vichy dont certains collaborateurs notoires compromis avec les occupants, et s’est entouré de personnages louches d’extrême-droite. Ce faisant, il a ainsi bloqué toute perspective politique réellement nouvelle.
Après lui, toute personne qui veut “se placer” en politique doit, avant tout, faire allégeance à de Gaulle qui était né le 22 novembre 1890 (soit au XIXème siècle) et qui est mort depuis le 9 novembre 1970 (soit au XXème siècle)… C’est faire remarquer à quelle vitesse la France avance ! si elle ne recule pas… En politique, comme dans tout domaine, il y a les Assis(es) qui utilisent les diverses fonctions comme autant de rentes personnelles et familiales, et il y a les créateurs(rices), sources d’un tout autre monde que celui médiatisé, mais vers lesquel(le)s ne se tendront jamais les micros.
En Yougoslavie, les Partizani et Tito furent plus vigilants quant aux imposteurs. Tito, ayant risqué sa vie sur le sol de son pays et n’étant pas mort, il pouvait incarner, sans tricher, la Résistance yougoslave et laisser aux Partizani ce qui était aux Partizani.
Au fur et à mesure de la libération des territoires yougoslaves, les Partizani avaient pris le pouvoir : des comités populaires avaient été créés pour assumer l’autorité et la fonction d’un gouvernement civil.
L’AVNOJ (Conseil antifasciste de Libération Nationale de la Yougoslavie) s’était réuni par deux fois : d’abord à Bihać, du 26 au 27 novembre 1942, puis à Jajce, le 29 novembre 1943, afin de discuter de la suite politique à donner aux victoires militaires. Les représentants de la résistance yougoslave décidaient, lors de ces deux réunions, de la réunification de la Yougoslavie morcelée par les nazis et les fascistes et de la création d’une Fédération des nations yougoslaves qui trouverait sa réalisation concrète dans l’immédiat après-guerre. Lors de la deuxième réunion, en 1943, le vent commençait à tourner en faveur des Partizani : une présidence, constituée de 67 membres, était élue et créait un Comité national de libération ; celui-ci était formé de 9 membres dont 5 communistes parmi lesquels Tito était désigné président. Ce Comité était d’ores et déjà un gouvernement provisoire.
Pendant cette guerre, le camp des Alliés avait préparé le retour en Yougoslavie du roi exilé à Londres. Il en va ainsi dans les monarchies, les empires et les “démocraties” bourgeoises : il s’agit, pour les plus riches, de laisser les peuples sous les bombes, et de revenir, après la tuerie, s’installer au pouvoir afin de récolter les fruits de la victoire. Mais, entre-temps, beaucoup d’événements étaient passés sur le sol de la Yougoslavie et d’ailleurs…
Une conférence eut lieu à l’Ambassade de l’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques) à Téhéran (capitale de l’Iran), du 28 novembre au 1er décembre 1943. Elle rassemblait Iosseb Djougachvili dit Staline, Secrétaire général du Comité central du Parti communiste de la RSFSR (République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie) puis de l’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques), Président du Conseil des Commissaires du Peuple de l’URSS, Président du Conseil des ministres de l’URSS, le président des États-Unis, Franklin Delano Roosevelt, le Premier ministre britannique, Winston Spencer Churchill.

Conférence de Téhéran (Iran)
Staline, Roosevelt, Churchill
Du 28 novembre au 1er décembre 1943
Un « Accord général » était rédigé suite aux discussions établies entre les trois chefs d’États réunis : « 1° Ont convenu qu’en Yougoslavie, les partisans doivent recevoir du matériel et de l’équipement autant qu’il est possible, et doivent être aussi aidés par des opérations de commandos. 2° Ont convenu que, du point de vue militaire, il est éminemment souhaitable que la Turquie entre en guerre aux côtés des Alliés avant la fin de l’année. 3° Ont pris note de la déclaration du maréchal Staline comme quoi si la Turquie entre en guerre contre l’Allemagne, et qu’en conséquence la Bulgarie déclare la guerre à la Turquie, ou l’attaque, l’URSS sera immédiatement en état de guerre avec la Bulgarie. » Etc. [Digithèque MJP, Conférence de Téhéran (du 28 novembre au 1er décembre 1943), Les accords de Téhéran, Jean-Pierre Maury, https://mjp.univ-perp.fr/traites/1943teheran.htm%5D Le texte fut signé, à Téhéran, le 1er décembre 1943, par Winston S. Churchill, Joseph Staline, Franklin D. Roosevelt.
Il ressort de cette décision que les trois participants à la réunion reconnaissaient la lutte des Partizani de Yougoslavie sous la direction de Tito et décidaient de les soutenir en leur faisant parvenir « du matériel » et « de l’équipement », et en effectuant des « opérations de commandos ».

La Dame de Cœur
17 mai 2022