Tchécoslovaquie 1938, Yougoslavie 1991 : des réussites magistrales pour l’Allemagne…

En songeant au sort de la Yougoslavie tel qu’il se sera dessiné au début des années 1990, nous allons suivre celui qu’Hitler a réservé à la Tchécoslovaquie immédiatement après la signature des Accords de Munich (29-30 septembre 1938) qui avaient permis à l’Allemagne de récupérer les territoires des Sudètes… En faisant comme si nous ne le savions pas par avance, et tout en regardant le Führer dépecer et dévorer sa proie tchécoslovaque, nous aurons le loisir d’imaginer quel pays serait sa prochaine victime…

La « mise au courant » de la France commence par un message que le chargé d’affaires à Berlin, Hugues de Montbas, adresse au ministre français des Affaires étrangères, Georges Bonnet, le 11 mars 1939 :
« Le conflit qui s’est élevé entre les Tchèques et les Slovaques a pris subitement une tournure inquiétante non seulement à la suite de la proclamation à Bratislava de l’état de siège et de la dissolution des formations d’auto-protection slovaques (cette mesure est commentée depuis hier soir par la presse allemande sur un ton menaçant), mais aussi du fait que Mgr.
Tiso aurait adressé, ce qui est confirmé ce matin par le D.N.B., un appel à l’aide du Gouvernement du Reich. » (Idem, page 60)

Le D.N.B. (Deutsches Nachrichtenbüro), agence de presse allemande créée en 1934 par les nazis, et parlant effectivement le langage du maître…
« Dans ces conditions, on doit s’attendre à ce que ce dernier intervienne très prochainement dans le conflit en sommant le Gouvernement de Prague de revenir sur les mesures prises et de respecter l’autonomie slovaque. » (Idem, page 60)

C’est, ensuite, l’ambassadeur Robert Coulondre qui y ajoute une petite couche (13 mars 1939) :
« Selon toute apparence, à la politique d’une Tchécoslovaquie vassalisée se substitue celle d’une dissociation des nationalités qui en font partie. Il semble bien d’ailleurs que le Reich, en favorisant l’indépendance de la Slovaquie, prenne position en faveur des revendications polono-hongroises sur la Ruthénie, qui doit inévitablement en se détachant de la Tchécoslovaquie tomber dans les mains de ses voisins. L’avenir dira quel marché une pareille politique impliquera avec Budapest et Varsovie. » (Idem, page 62)

Le lendemain, l’ambassadeur pense pouvoir aller un peu plus loin :
« Je suis porté à penser que le Gouvernement national-socialiste a, d’ores et déjà, opté pour une sécession des nationalités qui constituent la Tchécoslovaquie, cette sécession n’étant vraisemblablement que la première étape en vue d’un partage du pays. » (Idem, page 66)

Ce même 14 mars, mais un peu plus tard, les informations qu’il a fini par recevoir confirment ses premières impressions :
« La Diète de Bratislava a proclamé ce matin l’indépendance de la Slovaquie, les troupes hongroises ont franchi la frontière de la Russie subcarpathique et, riposte aux incidents plus ou moins provoqués d’Iglau, de Brünn et d’ailleurs, la menace d’une intervention « foudroyante » de la Reichswehr plane sur la Bohême et la Moravie. » (Idem, page 67)

L’armée allemande n’est là que pour montrer… qu’elle est vraiment là. Mais – ainsi que la Yougoslavie en ferait les frais un peu plus de cinquante ans plus tard… le principe d’action est ailleurs… Le voici tel qu’il se présentait à la veille de la Seconde Guerre mondiale :
« C’est un dogme de la politique nationale-socialiste de miner à l’intérieur les États qu’elle cherche à anéantir. En l’occurrence les Slovaques paraissent avoir joué cette fois le rôle qu’ont joué les Sudètes l’an dernier. En encourageant en sous-main les éléments slovaques intransigeants, notamment les partisans du mouvement radical « Rodebrana », en excitant contre Prague certains Ministres slovaques tels que M.
Mach et M. Durcansky, les agents hitlériens ont habilement fait dégénérer le différend en crise aiguë. » (Idem, page 69)

Deux jours plus tard, Robert Coulondre tient à revenir sur cette méthode allemande qui pourrait tenter de jouer le même jeu ailleurs…
« Il n’est pas douteux que le séparatisme slovaque n’ait été avant tout l’œuvre d’agents allemands ou de Slovaques manœuvrés directement par Berlin. M.
Mach, chef de la propagande du Gouvernement de Bratislava, l’un des extrémistes les plus ardents, était signalé depuis longtemps comme entièrement à la dévotion du Reich. » (Idem, page 79)

Plus précisément encore…
« En réalité, si l’on excepte la ville de Bratislava, où des troubles étaient fomentés par le service d’auto-protection des Allemands et par les gardes Hlinka qui avaient reçu des armes d’Allemagne, l’ordre n’était aucunement troublé ni en Slovaquie, ni en Bohême et en Moravie. » (Idem, page 80)

Mais ce message est aussi et surtout une occasion, pour l’ambassadeur de France à Berlin, de faire plus généralement le bilan de ce qui se sera passé, en si peu de temps, à l’intérieur de la Tchécoslovaquie, l’allié principal de la France en Europe centrale…
« Moins de six mois après la conclusion de l’accord de Munich et quatre mois à peine après la sentence arbitrale de Vienne, l’Allemagne, traitant comme une quantité négligeable sa propre signature et celle de ses partenaires, a provoqué la dislocation de la Tchécoslovaquie, occupé militairement la Bohême et la Moravie et annexé ces deux provinces au Reich. » (Idem, page 77)

L’affichage politique et militaire est bien présent :
« La Croix Gammée flotte depuis hier, 15 mars, sur le Hradschin, où le Führer a fait son entrée sous la protection des tanks et des autos blindées, parmi une population frappée de stupeur et consternée. » (Idem, page 77)

Ni la Grande-Bretagne, ni la France n’auront trouvé à y redire quoi que ce fût… Mais la prochaine victime ne pourrait-elle pas être pressentie dès maintenant ? Regardons cela de plus près…
« La Slovaquie s’est constituée en un État soi-disant indépendant, mais qui s’est placé sous la protection du Reich. Quant à la Russie subcarpathique, elle est abandonnée à la Hongrie dont les troupes ont déjà franchi la frontière. La Tchécoslovaquie, qui avait à Munich consenti de si cruels sacrifices pour le maintien de la paix, n’existe plus. » (Idem, pages 77-78)

N’y a-t-il pas là quelque chose qui se trouverait confirmé ?…
« Dès l’après-midi du 14, la presse du Reich est en mesure d’annoncer que la Tchécoslovaquie vient de se disloquer, qu’elle est en pleine décomposition, que les communistes ont fait leur réapparition et que, se joignant aux chauvins tchèques, ils pourchassent les Allemands, notamment à Brünn et à Iglau, les accablant de mauvais traitements. Le sang allemand coulerait à flot. L’Allemagne ne saurait plus longtemps tolérer un pareil état de choses. » (Idem, page 80)

Nach Moscou ?… Dès ce même 16 mars 1939, c’est l’ambassadeur de France en Pologne, Léon Noël qui pose, devant la conscience éclairée du ministre français des Affaires étrangères, la troublante question du sens des vents à venir :
« L’opération que l’Allemagne vient d’effectuer en Europe centrale est-elle le prélude d’une action à l’ouest ou d’une action à l’est ? À Varsovie, la deuxième hypothèse apparaît comme assez plausible. » (Idem, page 83)

Décidément, tout va très bien !… La stratégie française n’était-elle pas sur le point de triompher ? Il semble que Léon Noël s’en trouve désormais plus ou moins convaincu…
« Il me revient, par ailleurs, qu’un député ukrainien à la Diète polonaise, revenant de Berlin, annonce qu’il a reçu l’assurance d’une prochaine reprise de la campagne allemande en faveur de l’Ukraine. » (page 83)

Ce n’est toutefois pas du tout l’impression qui peut être ressentie en Pologne, où se trouve pourtant Léon Noël, mais où nous allons pouvoir nous rendre de façon totalement indépendante de lui…

En effet, le Bulletin du 16 mars 1938 nous tient un tout autre langage, et voici ce que son correspondant y a vu :
« Dans l’opinion publique, la disparition de l’État tchéco-slovaque a provoqué une profonde consternation. La réaction de la majorité des gens devant cette annexion brutale de la part de l’Allemagne est empreinte d’une très vivre indignation mêlée d’inquiétude sérieuse. Cette inquiétude trouve son expression dans certains journaux d’opposition, qui soulignent l’extrême gravité de la situation, étant donné le danger que présente pour tous les pays de l’Europe orientale la nouvelle poussée allemande vers l’est. » (Idem, page 4, colonne 1)

Et de citer le Warszawski Dziennik Narodowy, organe national polonais, qui écrit :
« La frontière allemande et celle des pays sous influence allemande enserrent la Pologne du Niemen jusqu’au Prut. La disparition de la Tchéco-Slovaquie touche de près les intérêts vitaux de la Pologne. »  (Idem, page 4, colonne 1)

Qu’allaient donc décider de faire la Grande-Bretagne et la France ?…

Michel J. Cuny

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