Jusqu’où la France aura-t-elle été capable de s’abaisser – au lendemain des Accords de Munich – pour finir par obtenir d’être carrément attaquée par l’Allemagne hitlérienne en mai 1940 et à moitié rayée de la carte immédiatement après ?…
Nous en avons la marque dans le message adressé, depuis Prague, le 18 février 1939, par Léopold Victor de Lacroix, Ministre de France à Prague, à M. Georges Bonnet, Ministre des Affaires Étrangères.
Certes, la Tchécoslovaquie avait dû se séparer des territoires des Sudètes, mais elle n’en restait pas moins un État, tout en sentant bien que la Slovaquie ne tenait plus à elle que par un fil que l’Allemagne ne tarderait guère à couper… La France s’était engagée, par devers elle-même pourrait-on dire, à ne pas l’abandonner complètement…
Jouant le même jeu, mais à sa façon, Hitler en était très vite venu, après la signature des Accords, à formuler les dix conditions qu’il mettait, lui, au fait de garantir les frontières de ce qui subsistait d’un pays qu’il voulait, par ailleurs, réduire à néant. Ce sont ces conditions que l’ambassadeur de France en Tchécoslovaquie a réussi à se procurer, et dont il envoie la liste à Paris… Nous allons surtout considérer les principes généraux sur lesquels elles se fondent…
Puisque la France n’aura dit mot, et ce, jusqu’au moment, inclus, où la Tchécoslovaquie serait définitivement pulvérisée, nous devons admettre qu’elle ne s’interdisait pas à elle-même, le moment venu, de s’y plier elle aussi…
Nous avons alors la surprise de constater que c’est bien ce qui se sera passé après la signature de l’armistice du 17 juin 1940, sous l’autorité du maréchal Pétain qui ne dérogeait donc en rien à la politique générale – intérieure et étrangère – déjà pratiquée par la France d’avant la défaite militaire… Celle-ci n’y aura donc rien ajouté…
Reprenons les éléments essentiels – c’est-à-dire non uniquement liés à la situation spécifique de la Tchécoslovaquie d’alors – de la liste envoyée le 18 février 1939, de Prague, par Léopold Victor de Lacroix au ministre français des Affaires étrangères, Georges Bonnet…
« 1° Neutralité complète de la Tchécoslovaquie ; 2° La politique étrangère de la Tchécoslovaquie doit être mise en accord avec celle du Reich ; l’adhésion au pacte antikomintern est considérée comme souhaitable ; […] 4° Diminution importante des effectifs de l’armée tchécoslovaque ; […] 8° Publication de lois antisémites dans l’esprit de celles de Nuremberg ; » (Documents diplomatiques, page 55)
Dès février 1939, rien d’intolérable dans tout cela pour la France de Daladier et de tous ceux qui organisaient l’alignement de notre pays sur la politique allemande aussi nationale-socialiste qu’elle ait pu être…
Pour sa part, le Bulletin quotidien de presse étrangère ne paraît pas très malheureux de pouvoir reprendre cet extrait d’un article paru, à Londres, dans le Daily Mail du 15 mars 1939 :
« De nouveaux États naissent d’un jour à l’autre, la Slovaquie proclame son indépendance. L’Ukraine carpathique aspire aussi à la souveraineté, la Bohême au nom romantique, ressuscitée du passé, sort de l’obscurité de simple province… Quelles perspectives ont ces petits États de pouvoir vivre d’une vie nationale indépendante et prospère ? Bien peu en vérité. La Ruthénie est stérile et pauvre, la Slovaquie a perdu, par l’accord de Munich, sa zone la plus riche. La Bohême et la Moravie dépendent entièrement de l’Allemagne pour leur existence. C’est une situation inévitable depuis les événements qui, en mars et en septembre dernier, ont assuré à l’Allemagne l’hégémonie dans ce secteur de l’Europe. » (Bulletin du 16 mars 1939, page 3, colonne 2)
On pourrait se croire en 2021, avec ce que menaceraient de devenir les Pays de l’Europe centrale et orientale (PECO), s’ils venaient à lâcher la main (ou la laisse ?) de l’Allemagne…
Le même numéro du Bulletin se penche sur un autre article publié à Londres :
« Le Daily Express (15 mars) prêche, comme d’habitude, la politique d’isolement en dénonçant le caractère artificiel de l’État tchéco-slovaque créé par Versailles, la folie des emprunts consentis à Londres en faveur de Prague et l’absurdité des engagement pris pour la garantie des frontières d’un État lointain :
« La destruction de la Tchéco-Slovaquie ne peut en aucune manière intéresser assez la Grande-Bretagne pour nous engager dans une intervention sur le continent. Ces régions lointaines du Danube sont complètement en dehors de la zone qui nous intéresse. Nous ne devons en aucune manière influencer le cours des événements qui s’y déroulent.» (Idem, page 3, colonne 3)
À nouveau, nous pouvons cependant constater qu’un même journal londonien, le News Chronicle, persiste dans son opposition à la politique d’apaisement menée par Neville Chamberlain, et dénonce, le 15 mars encore,…
« …l’erreur de ceux qui proclamaient que la Tchéco-Slovaquie allait devenir un État plus homogène et plus solide par la cession des Sudètes. » (Idem, page 3, colonne 3)
En effet, écrit-il :
« Les démocraties occidentales sont impuissantes par suite de leur capitulation de septembre… Les nazis ont maintenant perfectionné leur technique de l’agression… Ils ont trouvé moyen de démembrer un pays du dedans sans tirer un coup de fusil par-dessus ses frontières. » (Idem, page 3, colonne 3)
Et encore ceci :
« La Slovaquie est maintenant un État vassal de l’Allemagne. L’État tchèque est assiégé de toutes parts. La Pologne et la Hongrie vont bientôt avoir une frontière commune. L’Allemagne est maintenant beaucoup plus rapprochée de la Mer Noire. La question se pose plus aiguë que jamais ; quand arrêtera-t-on enfin cette marche triomphante de l’agression ? » (Idem, page 3, colonne 3)
Reprenons, pour l’observer de plus près, la politique française des jours précédents telle qu’elle se trouve reflétée à nu dans les Documents diplomatiques…
L’Allemagne avait d’abord frappé très fort sur la table… C’est ce que signalait, dès le 2 mars 1939, l’ambassadeur de France à Berlin, Robert Coulondre, à Georges Bonnet, le ministre français des Affaires étrangères, tout en lui envoyant la note qu’il venait de recevoir de l’Office allemand des Affaires étrangères au sujet de la garantie à accorder à la Tchécoslovaquie. Elle disait ceci en particulier :
« Le Gouvernement allemand, ajoute la note, se rend parfaitement compte qu’en dernière analyse, l’évolution générale dans cette partie de l’Europe appartient en premier lieu à la sphère des intérêts les plus essentiels du Reich et cela non seulement du point de vue historique, mais encore du point de vue géographique et surtout économique. » (Documents diplomatiques, page 57)
Robert Coulondre ajoutait ce commentaire qui soulignait le triomphe de l’Allemagne hitlérienne dès ce début d’année 1939 :
« Traduite en langage clair, cette phrase signifie que les Puissances occidentales n’ont plus aucun droit de regard en Europe centrale. » (Idem, page 57)
Livré à lui-même du fait de la trahison franco-britannique, l’État tchécoslovaque ne pouvait plus que se laisser travailler de l’intérieur par ce qu’aujourd’hui, on appellerait les services spéciaux allemands… à la façon de ce qui se passerait en Yougoslavie au début des années 1990, et tout spécialement en Croatie…
Dès le 10 du mois de mars 1939, nous en trouvons des échos dans un nouveau message que l’ambassadeur en Tchécoslovaquie, Léopold Victor de Lacroix, envoie à son ministre de tutelle à Paris :
« Les négociations qui ont été reprises hier à Prague par les délégués du Cabinet slovaque ont abouti cette nuit à une nouvelle crise qui a amené le Gouvernement de Prague à relever de leurs fonctions le président Tiso, ainsi que les Ministres Durcansky, Cabusinsky et Vanco. » (Idem, page 59)
Cela tenait au fait que…
« Les Tchèques auraient repoussé la proposition slovaque qui tendait à l’organisation non pas d’un État fédéral mais d’une fédération d’États. » (Idem, page 59)
Même lâchés par la France et par la Grande-Bretagne…
« Au sein du Cabinet de Bratislava avec qui les négociateurs slovaques étaient en relations téléphoniques constantes, les éléments intransigeants se seraient déclarés en faveur de la résistance. Dans ces conditions, le Gouvernement de Prague s’est résolu à révoquer les Ministres qui subissent l’influence des extrémistes, ainsi que le Président du Conseil incapable de leur tenir tête. » (Idem, page 59)
Il n’était alors plus très difficile pour Hitler de s’introduire dans la brèche tchéco-slovaque…
Michel J. Cuny
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