Fin 1938 : Un basculement stratégique total de l’Europe au profit de l’Allemagne hitlérienne « missionnée » pour aller détruire l’Union soviétique

Plus au courant que quiconque, à ce qu’il paraît, des intentions allemandes relativement à l’extension de puissance, autant économique que militaire, que l’Allemagne nazie vise en Europe centrale et orientale – mais surtout plus disposé à s’en inquiéter -, Robert Coulondre, le tout nouvel ambassadeur de France à Berlin, poursuit de la façon suivante son rapport daté du 15 décembre 1938 :
« Se rendre maître de l’Europe centrale en vassalisant la Tchécoslovaquie et la Hongrie, puis créer la Grande-Ukraine sous l’hégémonie allemande : telle paraît être essentiellement la conception maintenant adoptée par les dirigeants nazis, et sans doute par M.
Hitler lui-même. » (Idem, page 39)

Voilà qui vise très directement l’une des républiques de l’U.R.S.S… tout en offrant à l’ambassadeur une bonne occasion d’entrer dans quelques détails qui ne peuvent laisser place à aucun doute du côté du ministre français des Affaires étrangères, Georges Bonnet, qui comprend très bien à quel jeu il joue en flirtant si délicieusement avec l’ambassadeur Ribbentrop :
« Quant à l’Ukraine, depuis une dizaine de jours, tout le personnel national-socialiste en parle. Le centre d’études Rosenberg, les services du Dr
Goebbels, l’organisme Ost-Europa dirigé par l’ancien Ministre Curtius, le deuxième bureau sont sur la question. Les voies et moyens ne sont, semble-t-il, pas encore arrêtés, mais le but paraît bien fixé : créer une Grande-Ukraine, qui deviendrait la terre nourricière de l’Allemagne. Pour cela, il faudra courber la Roumanie, convaincre la Pologne, dessaisir l’U.R.S.S. : le dynamisme allemand ne s’arrête devant aucune de ces difficultés et dans les milieux militaires, on parle déjà de la chevauchée jusqu’au Caucase et à Bakou. » (Idem, page 39)

Pourquoi ne pas laisser tout cela se faire ? Pourquoi ne surtout pas manifester le moindre intérêt pour l’éventuel allié de revers… au cas où, tout de même, ce qui est inscrit dans Mein Kampf de la haine de Hitler pour la France viendrait à revenir dans l’actualité ?… Au contraire… Mieux vaut baisser définitivement la garde, pour manifester une vraie bonne volonté à l’égard de l’Allemagne nazie et s’en faire une amie qui ne pourra plus qu’oublier tous ses anciens griefs…

Les renseignements que fournit Robert Coulondre permettent de voir que le plan de marche du Führer était déjà bien avancé à la fin de 1938 :
« Dans son entourage, on songe à une opération qui reproduirait, à une plus grande échelle, celle des Sudètes ; propagande en Pologne, en Roumanie et en U.R.S.S. en faveur de l’indépendance ukrainienne ; le moment venu, appui par la voie diplomatique et par l’action de corps francs : la Ruthénie serait le foyer du mouvement. Ainsi par un curieux renversement du destin, la Tchécoslovaquie, établie comme un bastion pour contenir la poussée allemande, sert aujourd’hui de bélier au Reich pour enfoncer les portes de l’Orient. » (Idem, pages 39-40)

Puisque l’Allemagne a un si bon plan, pourquoi ne le réaliserait-elle pas sous les applaudissements d’une France bourgeoise qui n’aurait plus qu’à souhaiter qu’on l’aide à faire un peu le ménage chez elle, à la façon de ce qui était en voie d’achèvement, en Espagne, au bénéfice de Franco, et par la grâce dédoublée d’Hitler et de Mussolini ?…

Si, maintenant, nous reprenons notre lecture favorite, celle de ce Bulletin quotidien si précieux pour ce que nous pourrions appeler les élites de la collaboration franco-allemande contre le bolchevisme pour les opposer au Front populaire antifasciste, nous pouvons voir réapparaître, dans le numéro du 16 décembre 1938, Friedrich Sieburg, ce journaliste allemand correspondant à Paris de la Frankfurter Zeitung qui place son article du 11 décembre sous le titre « Tour d’horizon ». Il nous semble parfaitement aligné sur ce que nous venons de voir du contenu des manœuvres qui s’opèrent à demi-mots, contre l’Union soviétique, entre la France et l’Allemagne :
« Lorsqu’on promène ses regards autour de cet horizon, on comprend que les hommes d’État allemands et français auront pleinement de quoi s’occuper au cours des prochaines années. » (Bulletin du 16 décembre 1938, page 1, colonne 2)

Très précisément, selon lui…
« Il y a la question de l’Europe orientale, la garantie de sécurité des frontières tchécoslovaques, l’attitude de la Pologne, de l’Union Soviétique mais là aussi il faut d’emblée se demander jusqu’à quel point ces différentes choses s’insèrent encore dans le cadre des rapports franco-allemands. » (Idem, page 1, colonne 2)

Autrement dit : la France n’aurait-elle déjà plus du tout son mot à dire dans les affaires européennes en tant que telles… y compris en ce qui concerne son alliée, la Pologne ? Qu’elle se satisfasse déjà du cadeau que l’Allemagne lui fait de reconnaître cette frontière qui a en face d’elle la ligne Siegfried… C’est ce que précise tout d’abord Friedrich Sieburg :
« Il est, en tout cas, une chose certaine, à savoir que ce que nous avons appelé autrefois l’harmonisation de l’Europe est vraiment en bonne voie, et que la France a admis que l’ambition européenne de la France s’arrête à la frontière franco-allemande qui vient d’être à nouveau reconnue comme définitive. » (Idem, page 1, colonne 2)

Mais, pour la France, la porte européenne vient déjà de se refermer brutalement :
« De l’Europe orientale cette volonté se déplace vers le Sud, vers l’Afrique en passant par la Méditerranée. » (Idem, page 1, colonne 2)

Grâce au Bulletin, tournons-nous maintenant vers le mentor de la France de 1938 : la Grande-Bretagne de Neville Chamberlain… Le numéro du 19 décembre introduit de la façon suivante un article paru la veille dans le Daily Telegraph :
« Les journaux anglais qui montrent la défiance la plus constante envers la politique allemande continuent d’écrire que l’Ukraine constitue maintenant la prochaine étape et que sur ce point, comme sur les autres, le programme de Mein Kampf reste à l’ordre du jour. » (Bulletin du 19 décembre 1938, page 3, colonne 1) 

Mais pas en ce qui concerne la France ?… Il allait donc falloir continuer à bien graisser la patte au nazisme…

On nous dit ensuite que, dans son éditorial, le Daily Telegraph se tourne vers la Tchécoslovaquie dépouillée des Sudètes depuis deux mois et demi environ… pour évoquer la sécession désormais probable de la Slovaquie où viennent d’avoir lieu des élections…
« Le journal constate que le scrutin a donné au parti du peuple une situation de fait comparable à celle du parti nazi en Allemagne. » (Idem, page 3, colonne 1)

L’analyse du journal britannique ne paraît laisser place à aucun doute :
« Par sa position géographique, la Slovaquie est enfoncée comme un coin entre la Pologne et la Hongrie et peut servir d’étape dans la marche vers l’Est. Au surplus, elle est attenante à la Province autonome de Carpatho-Ukraine, région à laquelle l’Allemagne porte depuis Munich un intérêt tout particulier. » » (Idem, page 3, colonne 1)

Nous le voyons… En quelques mois – et grâce à la complicité de la Grande-Bretagne et de la France – un basculement stratégique se réalise à grande vitesse au profit de l’Allemagne hitlérienne. Tout en résumant les positions britanniques, la feuille diffusée par le ministère français des Affaires étrangères – c’est-à-dire, répétons-le, le Bulletin quotidien de politique étrangère – paraît en authentifier les attendus et les conclusions :
« Le plan du Reich vise manifestement à exploiter ces tendances autonomistes des Ukrainiens qui perçaient déjà au moment où les traités de paix ont été signés. Son exécution entraînerait le démembrement de la Pologne et de la Russie. Pour la seconde elle entraînerait la perte de 1/5 de sa population, d’importantes régions industrielles, et du débouché sur la Mer Noire à l’exception du Caucase lointain. Une Ukraine autonome liée au Reich par la gratitude et l’intérêt apporterait des avantages économiques et stratégiques considérables à l’Allemagne. C’est là un plan conforme aux rêves hitlériens de pénétration en Russie tels qu’ils ont été exposés dans Mein Kampf. Depuis Munich, la Pologne s’est rendu compte du danger. » (Idem, page 3, colonne 1)

Pour cette dernière, il était déjà trop tard…

Quant à la France, on verrait quel sort Hitler lui réservait…

Michel J. Cuny

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