1938… Une Allemagne à la « recherche de zones d’influence dans l’est et le sud-est » aussi bien que d’une « pénétration essentiellement économique dans le sud-est »

Le 14 décembre 1938, une grosse semaine après avoir signé avec le ministre allemand des Affaires étrangères, Ribbentrop, la Déclaration du 6 décembre qui faisait de la France le féal de l’ancien ennemi héréditaire, le ministre français des Affaires étrangères, Georges Bonnet, adresse une manière de compte-rendu aux différentes ambassades françaises de l’Europe de ce temps-là… britannique, allemande, belge, italienne, espagnole et à ce qu’il en reste en… Tchécoslovaquie…

La première phrase est un gros mensonge, que la seconde ne cherche surtout pas à masquer :
« La visite à Paris de M.
de Ribbentrop avait pour objet propre et suffisant la signature de la déclaration commune franco-allemande. Elle n’en a pas moins fourni l’occasion d’un large échange de vues entre les Ministres des Affaires Étrangères des deux pays. » (Documents diplomatiques, op. cit., page 36)

Aucun diplomate n’aura pu s’y tromper… Il lui suffirait de bien distinguer ceci et cela… et de savoir tenir sa langue, tout en gardant les bonnes longueurs d’oreille…

Le fond de l’affaire est ici…
« Se référant à la solidarité qui unit l’Allemagne et l’Italie, symétrique, a-t-il dit, à celle qui unit la France et l’Angleterre, M.
de Ribbentrop a tenu à m’affirmer que rien dans l’existence de ces deux groupements ne lui paraissait s’opposer à une harmonisation des rapports des quatre Puissances, pouvant aller en fait jusqu’à l’aménagement d’une collaboration des deux axes. C’est la lutte contre le bolchevisme qui serait essentiellement à la base de la communauté de conception politique germano-italienne et, sans le dire formellement, M. de Ribbentrop eût voulu peut-être nous donner à entendre qu’il n’y a pas d’autre objectif à lui attribuer. » (Idem, page 37)

Par conséquent, il ne reste plus à l’autre axe que de proposer d’agir en parallèle avec celui que mène le couple Hitler-Mussolini. Peut-être même pourrait-il le faire en douce… au cas où certaines populations, imprégnées de communisme ou, plus modestement, d’une certaine sympathie pour les fronts populaires de lutte contre le fascisme et le nazisme, ne verraient pas d’un bon œil qu’on pût basculer aussi manifestement dans le camp jusqu’alors présenté comme pas spécialement recommandable….

Mais, même en douce… quoi faire ?… Prêter la main à la destruction de l’Union soviétique et à l’anéantissement définitif du bolchevisme ?…

Est-ce ce qui se sera passé tout à fait en douceur – selon ce qu’il semble – du fait de l’implosion de l’Union soviétique en 1991 ?…

Nous remarquons, avec un certain étonnement, la discrétion prêtée à Ribbentrop par le ministre français des Affaires étrangères :
« Ces considérations ont amené incidemment le Ministre des Affaires Étrangères du Reich à évoquer, sans d’ailleurs y insister et pour assurer seulement son information, la politique suivie par la France à l’égard de l’U.R.S.S. » (Idem, page 37)

C’est un petit reproche, comme de dire à une jeune fille qu’elle s’est sans doute mis un peu trop de rouge aux lèvres la veille, et qu’il vaudrait mieux – pour son bien – qu’elle ne recommence pas… Mais, en fait, cela va un peu plus loin…
« Cette politique lui apparaissait encore comme une survivance de la politique d’encerclement de Versailles. » (page 37)

L’affaire n’était donc pas seulement « politique », elle devenait « militaire »… Parler seulement d’un rouge à lèvres un peu appuyé ne suffirait pas… Il s’était sans doute passé quelque chose de plus grave… Mais, là non plus, l’Allemagne n’en veut pas trop à la France… qui ne se sent pas, en conséquence, dans la situation de devoir être trop méfiante… devant ce beau parti qu’elle ne fait qu’ apprendre à connaître…

Voilà donc pour les principales questions politiques évoquées – tout en finesse à ce qu’il paraît – dans les entretiens qui ont suivi la signature de l’acte de fiançailles… Bonhomme, Georges Bonnet le souligne dans la lettre à ses ambassadeurs :
« Sans aboutir à des conditions précises ni comporter de procès-verbal, elles ont permis d’apporter sur certains points essentiels des éclaircissements intéressants. Ces éclaircissements s’imposaient au moment de la signature d’une déclaration franco-allemande qui tend non seulement à engager dans une voie de collaboration pacifique les relations entre les deux pays, mais doit contribuer également à l’apaisement général des rapports entre les principales Puissances européennes. » (Idem, page 38)

Nous allons voir qu’en retour, le nouvel Ambassadeur de France à Berlin, Robert Coulondre, ne fait pas spécialement dans le ton mielleux de son ministre de tutelle… Dès le 15 décembre, parlant du NSDAP (parti national-socialiste des travailleurs allemands), il assène ceci qui devrait tout de même secouer un peu Paris :
« Quant au « Parti », il est clair qu’il a essentiellement voulu l’accord avec la France pour se couvrir à l’ouest en prévision d’entreprises dans d’autres directions. » (Idem, page 39)

Or, manifestement, ce n’est pas encore la question de l’U.R.S.S. qui se pose. Autrement dit : la France va devoir une nouvelle fois avaler son chapeau, puisque l’Allemagne se prépare à faire quelque chose de plus pour desserrer l’étreinte d’une partie de l’alliance de revers organisée, par les Français, en Europe centrale pour tenir l’Allemagne par le licol, avant même de pouvoir songer à s’allier à elle pour aller éventuellement tenter l’aventure de Napoléon à Moscou…
…dont la dernière tentative de répétition remontait à 1920 et à l’appui apporté par la France à la Pologne du maréchal
Piłsudski

Mais laissons Robert Colondre préciser sa façon de voir les choses et poser ainsi, pour nous, des jalons qui nous permettront de bien mesurer la dérive, dans la France de ces lendemains immédiats du Front Populaire, des autorités centrales dans un moment qui préfigure la cagade de 1940…
« La volonté d’expansion à l’est me paraît en effet aussi certaine de la part du Troisième Reich que sa renonciation, au moins actuelle, à toute conquête à l’ouest ; ceci est le corollaire de cela. La première partie du programme de M.
Hitler – intégration du Deutschtum dans le Reich – est exécutée dans son ensemble ; c’est maintenant l’heure du « Lebensraum » qui sonne. » (Idem, page 39)

Ce Deutschtum rassemble tout ce qui est allemand, et c’est ce qui a servi de critère dans le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne et dans l’intégration des Allemands des Sudètes à la population nationale. Désormais, à travers la doctrine du Lebensraum, il s’agit d’ouvrir l’espace à une Allemagne plus nombreuse et manifestement emportée par le souffle de cette parole hitlérienne qui lui paraît réaliser des miracles à la vitesse de l’éclair, et toujours sans aucun coût directement mesurable…

Pour sa part, Robert Coulondre n’hésite pas à citer ses sources :
« […] tous mes interlocuteurs, à l’exception de M.
Hitler, m’ont parlé, sous des formes diverses et en se tenant d’ailleurs toujours dans une imprécision voulue, des nécessités d’expansion de l’Allemagne en Europe orientale. Pour M. de Ribbentrop, c’était « la recherche de zones d’influence dans l’est et le sud-est », pour le Maréchal Goering, « une pénétration essentiellement économique dans le sud-est. » (Idem, page 39)

L’Europe d’aujourd’hui… Ou bien, je me trompe ?…

Michel J. Cuny

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