Nous en étions arrivé(e)s au moment où la France, sitôt les Accords de Munich (29-30 septembre 1938) signés, se jetait au pied d’Adolf Hitler tout en tentant de lire dans ses yeux ce qui pourrait lui faire plaisir, et lui être utile, pour qu’il continue à sortir de sa boite à rêves – qui avait déjà tellement offert de miracles à l’Allemagne d’abord humiliée d’après 1918 – de quoi préparer l’ultime règlement de comptes avec… l’Union soviétique d’abord, et tous les communistes de la terre ensuite…
Pour sa part, le Premier ministre britannique, Neville Chamberlain, était carrément aux anges !… Un seul regard lui permettait d’embrasser tout ce qu’il avait déjà déposé dans la corbeille de la mariée allemande… Certain de toucher les élites du monde entier à travers son intervention à la Chambre des Communes du 1er novembre 1938 – intégralement reprise trois jours plus tard dans le Bulletin quotidien de presse étrangère du ministère français des Affaires étrangères -, il déclare :
« Quelle est, du point de vue économique, la situation de l’Allemagne par rapport aux États de l’Europe centrale et sud-orientale ? Géographiquement, elle doit nécessairement occuper dans ces régions une situation prédominante. Elle le fait dès à présent. Dans la mesure où ces États ont un caractère agricole, la nature du commerce entre eux et l’Allemagne est complémentaire. Ils sont à même de fournir à l’Allemagne des matières premières et des denrées alimentaires, en échange des articles manufacturés pour la fourniture desquels l’Allemagne est si bien outillée. » (Bulletin du 4 novembre 1938, page 3, colonne 3)
De ce côté-là, la Grande-Bretagne n’a absolument rien à dire, ni aucune inquiétude à entretenir… Comme nous le verrons, cependant, les « sacrifices » qu’elle a demandés à la France de consentir n’ont pas eu lieu par hasard. Mieux que quiconque, Chamberlain le sait…
« Mais je ne vois pas de raison pour que nous nous attendions, comme à une chose probable, à voir se produire un changement radical dans ces régions. » (Idem, page 3, colonne 3).
Vraiment ?… Il ne devrait désormais plus rien se produire de ce côté-là ?… Et même les anciens intérêts français peuvent passer par pertes et profits sans que l’Allemagne n’en fasse rien de plus… C’est pourtant ce que Neville Chamberlain semble dire :
« En ce qui concerne la Tchécoslovaquie, les industries des régions cédées avaient surtout un caractère d’exportation et souffraient beaucoup de la concurrence allemande. Il est bien vrai qu’elle a également cédé des stocks précieux de matières premières, telles que charbon, lignite et bois ; mais tant qu’elle sera en état d’importer ces matières premières, je ne vois pas de raison, quant à moi, pour que sa situation industrielle en soit diminuée. Les échanges de marchandises par la frontière germano-tchécoslovaque seront vraisemblablement à l’avantage réciproque des parties. Je ne vois pas qu’il puisse y avoir de difficulté à l’importation de matières premières par la Tchécoslovaquie. » (Idem, page 4, colonne 1)
En conclusion, il n’y a aucune raison, pour la Grande-Bretagne, d’en démordre…
« Pour ce qui est de nous-mêmes, nous n’avons aucun désir d’écarter l’Allemagne de ces pays, ni de l’encercler économiquement. » (Idem, page 4, colonne 1)
Le 22 novembre 1938, un petit événement se passait du côté de l’ambassade de France en Allemagne. Robert Coulondre se rendait à Berchtesgaden pour y remettre ses lettres de créance au Chancelier du Reich, cependant qu’André François-Poncet rejoignait l’ambassade française à Rome… Peut-être, grâce à ce changement de titulaire à Berlin, allons-nous réussir à y voir plus clair…
Mais tournons-nous tout d’abord vers le Bulletin du 5 décembre 1938. À cette date-là se produit à Paris un événement très significatif dont il avait eu connaissance deux jours plus tôt :
« Toute la presse berlinoise du matin commente le prochain voyage de M. von Ribbentrop à Paris et salue avec satisfaction la conclusion de l’accord annoncé entre Berlin et Paris. » (Bulletin du 5 décembre 1938, page 1, colonne 1)
Qu’allait donc faire le ministre allemand des Affaires étrangères auprès de cette France qui souhaitait tellement pouvoir être partie prenante dans les vastes projets du Führer ?…
La relativement célèbre « Déclaration franco-allemande du 6 décembre 1938 » nous propose trois affirmations qui paraissent d’abord n’enfoncer que des portes ouvertes… Reprenons-les dans l’ordre d’apparition et pratiquement dans leur entier :
« 1. Le Gouvernement français et le Gouvernement allemand partagent pleinement la conviction que des relations pacifiques et de bon voisinage entre la France et l’Allemagne constituent l’un des éléments essentiels de la consolidation de la situation en Europe et du maintien de la paix générale […].
2. Les deux Gouvernements constatent qu’entre leurs pays aucune question d’ordre territorial ne reste en suspens et ils reconnaissent solennellement comme définitive la frontière entre leurs pays telle qu’elle est actuellement tracée.
3. Les deux Gouvernements sont résolus, sous réserve de leurs relations particulières avec des Puissances tierces, à demeurer en contact sur toutes les questions intéressant leurs deux pays et à se consulter mutuellement au cas où l’évolution ultérieure de ces questions risquerait de conduire à des difficultés internationales. » (Documents diplomatiques, op. cit., page 33)
C’est la constatation d’un certain statu quo… avec ce sous-entendu de la possibilité d’une « évolution ultérieure »… De quel ordre ? Pour atteindre quoi ?… Rien ne nous le dit. Les protagonistes, Ribbentrop et Bonnet, auront-ils été aussi timides que la Déclaration paraît le laisser croire… Rien qu’un flirt sans vrai lendemain ?… Ne nous cache-t-on pas l’enfant qu’ils seraient pourtant occupés déjà à faire naître dans le dos de la population française, et dont la réalisation consistera dans la débâcle de 1940 et dans tout ce qui l’aura antérieurement rendue possible ?
Ne médisons pas davantage, et tournons-nous le Bulletin du 8 décembre 1938… qui nous rapporte ce qui se passe à Berlin…
« La presse d’hier soir a publié de longs comptes rendus de l’arrivée et de la réception de M. von Ribbentrop. Les journaux déclarent que Paris a fait un accueil très correct au ministre des Affaires Étrangères du Reich. Dans leurs commentaires, ils soulignent l’importance de la déclaration signée l’après-midi et qui, disent-ils, ouvre de larges possibilités pour l’avenir. » (Bulletin du 8 décembre 1938, page 1, colonne 1)
« Larges possibilités pour l’avenir »… C’est bien ce que nous pensions : tout est là… Mais quoi donc ? Nous avons la curieuse impression de nous trouver devant une France dont on a bandé les yeux, et qu’on s’amuse à faire s’avancer comme ceci puis comme cela pour en faire une pauvre bourrique qui ne sait plus du tout ni où elle va, ni même où elle est…
Selon le Bulletin, il paraît que le journal allemand Voelkischer Beobachter en saurait un peu plus :
« L’espace de la France, c’est l’Ouest de l’Europe et l’empire d’outre-mer conditionné par la question de la France sur deux mers. L’espace vital allemand, c’est l’Europe centrale et le proche-Orient, commandé par le destin des migrations des peuples germaniques.» (Idem, page 3, colonne 3)
Mais c’est de Paris que va nous venir le principal écho. Il émane d’un journaliste allemand, Friedrich Sieburg, qui envoie, dès le 8 décembre à la Frankfurter Zeitung un article qu’il aura intitulé : Les conversations de Paris. Le Bulletin le juge suffisamment intéressant pour le reprendre… Nous apprenons, tout d’abord, que la Déclaration n’était qu’un hors-d’œuvre ou même rien qu’une mise en bouche :
« L’entretien qui eut lieu entre M. Ribbentrop, ministre des Affaires Étrangères du Reich, et son collègue français aussitôt après la signature solennelle de la déclaration franco-allemande et qui a duré trois heures a mis en relief la réalité acquise d’une plus grande chaleur de sentiments. » (Bulletin du 13 décembre 1938, page 1, colonne 1)
Or, il paraît que c’était là l’important, les préliminaires n’étant rien que pour la galerie :
« Il est possible que les pourparlers d’hier, qui constituent le vrai fond politique de la visite à Paris, se poursuivent aujourd’hui sous une forme moins protocolaire. » (Idem, page 1, colonne 2)
Mais oui… Pourquoi n’irait-on pas en remettre une couche ?…
« En tout cas on n’a engagé ni eu l’intention d’engager des négociations au sens strict du terme. Il s’agit tout simplement, pour les chefs de la politique extérieure allemande et française, de faire réciproquement connaissance en ce qui concerne leurs ressorts et d’échanger leurs idées. À cet égard, ces entretiens peuvent être considérés comme le premier acte en application de l’alinéa III de la déclaration franco-allemande qui dit que les deux puissances, sous réserve de leurs relations particulières avec des puissances tierces, se consulteront lorsque l’évolution de la situation internationale l’exigera. » (Idem, page 1, colonne 2)
Voilà… Ce serait tout…
Et les Documents diplomatiques français… Qu’en disent-ils, eux, de tous ces petits sous-entendus ?
Michel J. Cuny
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