Après avoir constaté, avec une surprise certaine, l’extraordinaire décollage qu’avaient déjà connu, depuis 1988, les échanges commerciaux entre l’Allemagne et les dix PECO qui allaient faire leur entrée, en 2004, dans l’Union européenne, nous allons essayer de déterminer le contenu de ces échanges en nous appuyant, encore et toujours, sur le mémoire de maîtrise présenté en 2007 par Julie Lécuyer (lien)
Il nous indique immédiatement ceci :
« Afin de poursuivre leur processus de transition et d’atteindre les exigences de l’acquis communautaire de I’UE, les PECO, malgré leurs différences, ont eu un grand besoin d’équipement industriel et l’Allemagne a su mettre à profit ses exportations à fort contenu industriel en direction de cette région. » (Idem, pages 102-103)
Nous n’avons certes pas oublié qu’à l’inverse, et en enfonçant le clou du Livre blanc sur la réforme du financement de l’économie (1986),réalisé par une équipe dirigée par Jean-Charles Naouri, et préfacé par Pierre Bérégovoy, ministre de l’Économie, des Finances et du Budget, la France s’engageait alors sur la voie d’une rigoureuse inclusion dans la finance internationale qui exigeait d’elle la mise en œuvre d’un franc fort, destructeur à terme, de toute une partie du tissu industriel né de l’immense effort de production engagé, par notre pays, dès les lendemains immédiats de la Seconde Guerre mondiale…
Rien que pour nous « amuser » un peu, reprenons ce que disait cet homme dont on connaît maintenant la triste fin qu’il aura choisi de se donner sept ans plus tard (1er mai 1993)…
« Il faut que l’argent soit mobile pour apporter aux prêteurs et aux emprunteurs une liberté de choix et d’arbitrage essentielle à une économie moderne. Si l’argent est plus mobile, son coût devient aussi plus faible, du fait de l’élimination des rentes dont le poids est supporté par les entreprises, les particuliers et l’État. Dès lors, il devient possible de clarifier le rôle de l’État en recentrant ses concours sur les vraies priorités, en premier lieu la recherche et le développement des PME, et en limitant ses interventions réglementaires à l’organisation générale et à la surveillance du marché des capitaux. » (Livre blanc sur la réforme du financement de l’économie, Documentation française, 1986, alinéa 2)
L’argent devenant plus coûteux… tout ce qui ne présente pas un taux de rentabilité suffisant pouvait s’apprêter, en France, à mourir très vite de sa belle mort… Ainsi, Pierre Bérégovoy n’y va-t-il pas par quatre chemins :
« L’économie française est désormais soumise à la vérité des taux d’intérêt. Les investisseurs vont devoir y adapter leurs comportements, et faire preuve dans leurs choix d’une grande rigueur. L’État, lui-même, se doit de montrer l’exemple dans la conduite de la politique économique afin que l’évolution des prix et les déficits publics ne créent pas de tensions sur les taux d’intérêt. » (Idem, alinéa 3)
Quant à la mise, qui donc la ramassera… Le cher socialiste nous le dit également sans tortiller :
« Le nouveau système financier sera alors un atout pour ceux qui sauront maintenir le cap de la désinflation et de la modernisation économique et sociale. » (Idem, alinéa 3)
Il s’agissait donc désormais d’aller puiser très profondément dans les capacités psychiques de tout un chacun de s’adapter à la lutte pour la vie, si chère aux émules de Darwin :
« Réduire le coût de l’argent par une plus grande mobilité du marché financier et une concurrence plus vive, c’est favoriser l’investissement et encourager la création d’emplois. » (Idem, alinéa 4)
Avec cette épée qui vient gentiment faire sentir sa pointe dans le dos de celles et de ceux qui n’ont pas encore bien compris de quoi une direction socialiste peut se montrer capable sitôt qu’elle se sent libérée de la pression… communiste des premières années du règne d’un François Mitterrand :
« Mais l’argent, même s’il devient plus mobile, n’est pas pour autant mieux réparti. Il est donc essentiel que l’État protège ceux qui en sont privés, au premier rang desquels, les chômeurs, ou pourraient en être privés par la remise en cause de la législation sociale. » (Idem, alinéa 5)
Revenons vers l’Allemagne de ces années-là, pour bien comprendre ce qui la sépare de la France de la grande décadence… économique, intellectuelle et morale. Julie Lécuyer n’est pas dans la nécessité de nous en dire beaucoup pour nous faire basculer à la renverse en évoquant la situation allemande en face des PECO pour les années qui ont couru de 1988 à 2004 :
« La part de l’ensemble des secteurs traditionnels de l’industrie, comme l’automobile, machines et outils, équipements électriques et chimie, sont demeurés très importants et représentent à eux seuls près des deux tiers des exportations allemandes. » (Idem, page 103)
Produits de qualité, vendus pour prix d’une des monnaies les plus fortes dans le monde de la période qui court de 1988 à 1999 (le deutschemark)…
« Cette spécialisation allemande dans les secteurs traditionnels de l’industrie est donc à haute valeur ajoutée et répond de ce fait aux besoins d’investissement et de consommation des économies en transition. » (Idem, page 103)
Voilà donc pour des exportations qui ne font que développer le contenu économique de cette terrible diagonale que nous avons vu précédemment déchirer le tableau des exportations de l’Union européenne vers les PECO pour la période 1988-2004… Qu’en sera-t-il du contenu de l’autre diagonale qui était plus effrayante encore, si possible ? Voici ce que nous en dit Julie Lécuyer :
« Pour ce qui est des importations, l’Allemagne, étant déterminée sur le plan économique par un manque de matières premières et ayant un grand besoin en énergie, importe en provenance des PECO, essentiellement des combustibles et minéraux. » (Idem, page 103)
Voilà qui est typique de l’impérialisme… du temps de la Première Guerre mondiale…, mais aussi d’une France attardée qui aura cru pouvoir encore se contenter de ce jeu-là en Afrique sous la haute autorité délirante d’un De Gaulle… et de ses suiveurs qu’on retrouve, aujourd’hui même, embarqués dans un aventurisme guerrier qui pourrait finir par leur jouer un très vilain tour.
En tout cas, l’Allemagne n’aura surtout pas emprunté cette voie-là. Julie Lécuyer va nous aider à comprendre pourquoi elle s’est orientée vers un tout autre schéma qui implique une montée en puissance constante dans l’intelligence des phénomènes de création et de production d’objets tout autant sophistiqués que fiables… La première étape aura été franchie grâce à l’appui pris directement dans le système de production des PECO :
« L’apparition de nouveaux pôles de spécialisation tels que l’automobile, démontre que la nature des échanges entre l’Allemagne et les PECO correspond de plus en plus à l’émergence d’une division verticale du travail qui s’explique par les avantages comparatifs des PECO. » (Idem, page 103)
Cela implique un grand respect – que les Français ont toujours estimé ne surtout pas devoir aux Africaines et aux Africains – pour la qualité des structures de production installées par les pays d’accueil au fur et à mesure de leur histoire antérieure. S’agissant des PECO, la marque des pratiques allemandes n’aura pas manqué de se faire sentir :
« De façon générale, l’intégration commerciale de ces pays dans l’UE tend à se caractériser par le dynamisme grandissant des échanges intra-branches aussi bien verticaux qu’horizontaux et ce, même si les PECO n’ont nullement renoncé aux secteurs traditionnels comme le textile, l’agriculture, l’agroalimentaire, etc. » (Idem, pages 103-104)
Il y a là quelque chose que nous allons pouvoir approfondir…
Michel J. Cuny
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