
Certains exemplaires se cassaient dans nos mains, pourtant délicates à manipuler les livres.
Or, pour respecter l’engagement pris lors des souscriptions, il fallait servir, d’abord et avant tout, ces lecteurs et lectrices qui avaient payé à l’avance leur lecture. Certains exemplaires paraissant plus solides que d’autres, nous décidâmes de faire le tri et de distribuer les mieux reliés.
Cependant, il nous fallait tout de même avertir l’imprimeur que sa reliure maison « collage à chaud + singalette » ne résistait pas au moindre feuilletage des pages et qu’il lui faudrait revoir la question pour ces exemplaires défectueux et effectuer une reliure par couture pour la fin du tirage, c’est-à-dire les 1500 exemplaires à venir.
D’ailleurs, la couche de colle était tellement fine que nous avions toutes les peines du monde à la trouver. Et puis, la question qui revenait, lancinante, à nos deux esprits réunis dans une immense détresse, était celle-ci : « Mais où est donc la singalette ? » Elle avait été indiquée, avec le « collage à chaud » dans le devis et, donc, incluse dans la facture que nous étions occupé(e) à honorer !
Ce 23 juin, Michel téléphonait à monsieur Bui pour lui dire dans quel état se trouvaient bon nombre d’exemplaires sur les 500 livrés.
Les problèmes de reliure de notre ouvrage étaient d’autant plus difficilement ressentis par nous que de nouveaux lecteurs et de nouvelles lectrices souhaitaient lire ce que nous avions pu écrire, notamment sur l’enseignement et la psychiatrie, et d’autant moins acceptables que nous n’avions cessé d’insister, par téléphone ou par lettre, sur la reliure.
Malgré tout et en prévision des 1500 autres exemplaires à venir, le 7 juillet, Michel s’efforçait de rassurer monsieur Bui…
« Nous avons reçu les 500 exemplaires du “Feu sous la cendre” et nous les écoulons de jour en jour sans trop de difficultés malgré l’arrivée des vacances d’été. »
[Michel J. Cuny – Françoise Petitdemange, Correspondance, Lyon (1983-1987), Lettre de MJC à monsieur Bui Dinh Long, Lyon, 7 juillet 1986.]
La parution du “Feu sous la cendre” ne nous faisait pas pour autant oublier nos romans :
« Pourriez-vous nous dire combien il vous reste de “Femme très ordinaire”, “Samedis de mai” et éventuellement “Dernier chemin”. La sortie du gros livre pousse manifestement la vente des romans et nous souhaiterions rassembler à Lyon tout ce qui sera disponible dès les prochains jours.
Nous comptons beaucoup sur vous pour une réponse rapide. »
[Idem.]
Un mois plus tard, le 4 août, nous pouvions lui envoyer un bref bilan de la situation financière :
« Les bons résultats enregistrés dès la sortie du “Feu sous la cendre” nous ont permis de régler, sans aucun problème et à son échéance du 31 juillet 86, la lettre de change de 17.000 francs représentant le solde des sommes dues pour la réalisation des 500 premiers exemplaires.
Les deux chèques – l’un de 10.000 francs et l’autre de 7.500 francs – qui couvraient cet engagement peuvent donc nous être rendus. »
[Michel J. Cuny – Françoise Petitdemange, Correspondance, Lyon (1983-1987), Lettre de MJC à monsieur Bui Dinh Long, Lyon, 4 août 1986.]
Comme nous n’avions pas reçu de réponse sur ce qu’il en était des autres livres, nous posions de nouveau la question :
« Pourriez-vous, comme nous vous le demandions précédemment, nous dire ce qu’il vous reste de “Femme très ordinaire” et de “Samedis de mai”. »
[Idem.]
Ce que, dans la suite des événements, nous devions comprendre, c’est que monsieur Bui Dinh Long de Raon-L’Étape rencontrait quelques problèmes… d’ordre fiscal ?
Certains documents n’étant plus en notre possession (Cf. la suite des événements), nous ne savons plus à quel moment précis nous avons appris qu’il avait confié la réalisation des travaux à une autre imprimerie des Vosges…
Suivant et non précédant la livraison des cartons des premiers 500 exemplaires du livre “Le feu sous la cendre”, la Poste nous apporta, un jour, une lettre, fort épaisse et compacte, provenant de l’imprimerie Aymard – 28, quai de Dogneville – 88006 ÉPINAL Cédex et envoyé le 26 août 1986, avec la mention “URGENT”, à l’adresse de la boîte postale 1544, 69204 LYON CEDEX (dont le 204 avait été barré !), et avec, au-dessus de cette mention, une indication illisible parce que barrée elle aussi. Le contenu était… un exemplaire, censé être le premier, de notre ouvrage “Le feu sous la cendre”… Mais nous l’avons reçu à la fin du mois d’août, c’est-à-dire plus de deux mois après les 499 autres.
Cela nous permit de comprendre que monsieur Bui Dinh Long n’avait pu faire, pour une raison qui nous échappait, tout ou partie de notre livre et que sa petite imprimerie de sous-sol, Raon-Repro, avait dû transmettre la réalisation des travaux à l’imprimerie Aymard d’Épinal : tous les travaux d’impression et de reliure ? ou seulement ceux de reliure ? En tout cas, monsieur Bui avait utilisé une sorte de sous-traitant.
Et donc, dans une lettre datée du 28 août, nous nous adressions à qui de droit… à l’imprimeur Aymard en usant de beaucoup de diplomatie :
« Comme nous avons eu l’occasion de le dire par téléphone, le colis porteur de l’exemplaire que vous nous adressiez pour vérification de la reliure nous est parvenu trop tard pour que nous puissions vous répondre, dans les délais impartis.
Certes, si chaque volume avait été réalisé comme celui-là, il n’y aurait rien eu à redire. Malheureusement, jamais – depuis tout au moins que nous avons l’occasion d’établir la comparaison – nous n’aurons vu d’exemplaires portant autant de colle, quant à la toile si, sauf erreur de notre part, elle se trouve effectivement dans celui qui était votre référence, nous sommes persuadés qu’elle n’est nulle part ailleurs.
310 livres avaient été acquis en souscription. Il faut y ajouter la centaine de livres vendus entretemps. Bien sûr, nous avons l’adresse et le numéro de chacun des acheteurs mais ce serait un travail infernal et quelque peu humiliant que de reprendre contact avec chacun pour savoir si la reliure a tenu. En désespoir de cause, nous nous contenterons donc d’attendre les éventuelles plaintes.
Pour les derniers exemplaires, nous avons fait un tri, et nous avons utilisé pour la vente ceux qui paraissaient être les plus solides. La cinquième centaine n’est pas vendable en l’état. Conformément aux dispositions qui figurent dans votre dernière lettre, pourriez-vous nous dire comment rapatrier les livres défectueux, et ce que seront les délais de réparation.
En ce qui concerne la seconde tranche de 500, le tarif que vous nous indiquez nous permet de choisir la reliure par couture. L’époque de la réalisation pourrait être la première quinzaine d’octobre, avec, si cela vous convient, un règlement – avant travaux – d’un tiers ou de la moitié fin septembre-début octobre, puis un règlement du reliquat par lettre de change en date du 30 novembre ; la livraison ayant lieu en deux étapes de 250 livres chacune (la première avant le 15 octobre, la seconde quelques semaines plus tard).
Nous avons besoin d’une réponse très rapide sur la question du retour des exemplaires problématiques : actuellement, nous vendons dans l’angoisse constante de voir le livre se rompre dans les mains des personnes à qui nous venons le présenter.
Tout à fait disposés à croire que la déconvenue rencontrée est indépendante de votre bonne volonté, nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur, l’expression de notre considération distinguée.
PS : Selon notre relevé bancaire, le montant de la lettre de change du 31/7/86 n’avait pas encore été débité au 15 du mois d’août, malgré l’accord transmis par nous à la Société Générale le 30 juillet. Pouvez-vous nous donner des informations à ce sujet ? Merci. »
[Michel J. Cuny – Françoise Petitdemange, Correspondance, Lyon (1983-1987), Lettre de MJC à monsieur Aymard de l’imprimerie Aymard, Lyon, 28 août 1986.]
Cela faisait plus de dix ans que Michel et moi livrions bataille contre ce qui se présentait sous les traits de la Mort. À chaque fois, nous l’avions repoussée en développant une énergie considérable : nous trouvions la force de lire et de lire encore, d’écrire et d’écrire encore, de rencontrer de nouveaux lecteurs et de nouvelles lectrices dans les milieux socio-professionnels les plus divers. Confronté(e) à cette nouvelle mésaventure qui se signalait par des livres tellement mal reliés – voire sabotés ? – que certains étaient cassés dans les cartons !, aurions-nous encore la force de vivre ?… tout simplement.
Françoise Petitdemange – Michel J. Cuny
30 mai 2021