Comme si l’Allemagne ne connaissait pas la supériorité quantitative et qualitative de la production publique sur la production privée…

Le premier article de ce que nous appellerons ici le Décalogue de l’ « économie sociale de marché » était donc formulé de la façon suivante :
« 1. la propriété privée des moyens de production, la liberté d’exercer une activité industrielle ou commerciale, la liberté de choisir sa profession et la responsabilité liée à la propriété privée. » (Idem, page 16)

Nous le voyons, il s’agit du jouet des « forts »… Il faut qu’ils puissent le conserver par-devers eux, tout en se soumettant, de façon constante, à la concurrence telle qu’elle est régulée par un État suffisamment « fort », lui aussi, pour faire valoir les règles qu’il édicte : elles seront appliquées, sinon la sanction correspondante tombera sur les fautifs… où qu’ils se situent.

Alors que nous abordons la partie plus directement « racoleuse » du document de la Fondation Konrad Adenauer – le peu de sérieux semblant s’être réfugié dans la Préface -, le premier article s’offre ici sous une forme réduite mais avec une illustration qui mérite qu’on s’y arrête tout de même un peu.

Nous en restons donc à ceci : « L’ÉCONOMIE SOCIALE DE MARCHÉ, C’EST… LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE DES MOYENS DE PRODUCTION »

Voici en quoi cela consiste visuellement… À gauche, un homme « fort ». À droite, une femme « forte ». L’égalité homme-femme est presque parfaite… Peut-être les arbres de droite sont-ils un peu plus rabougris. Peut-être les bâtiments industriels y sont-ils un peu plus tassés. Mais le produit (deux voitures et demi de chacun des deux côtés) est correctement réparti.

Dans les cieux, la pollution va dans le sens du vent, avec quelques effets fâcheux sur le soleil noir, mais les arbres, en dessous, indiquent que les enjeux écologiques sont sans doute à peu près pris en compte.

Résumons maintenant l’ensemble de la problématique de l’opposition entre le privé et le public :
« Les biens et les services qui ne sont pas publics et qui ne sont pas affectés à un usage collectif, autrement dit les biens de consommation et d’investissement et les services privés doivent être fournis par des privés. Les moyens de production nécessaires à leur fabrication doivent rester entre les mains des privés.» (Idem, page 19)

Nous pressentons que le secteur privé va défendre, bec et ongles, sa surface d’activité tout en nourrissant l’ambition de prendre au public tout ce qui n’entrera pas dans la définition stricte de la surface que celui-ci doit occuper…

La suite du texte nous montre que, au cas où nous aurions à élever le moindre doute à propos de l’appropriation privée des moyens de production au profit des « forts », et donc au détriment des « faibles », il paraît que l’histoire de la philosophie pourrait immédiatement nous tomber dessus :
« Aristote le savait, l’aspiration à la propriété privée est fortement ancrée dans la nature humaine. » (Idem, page 19)

Prenons garde de ne pas tout confondre. Chez le philosophe, selon ce qui nous en est dit ici, il est question d’une aspiration… Certainement, la femme du voisin pouvait très bien entrer dans le champ de désir de tel Grec ou tel Grec des environs… Faudrait-il, parce que cela est somme toute parfaitement naturel, demander à la loi d’aider celui-ci à parvenir à ses fins sous l’autorité de l’État ?

Une fois cela constaté, il ne faudra pas non plus compter sur Aristote (384-322 avant notre ère) pour aller jusqu’à cautionner l’appropriation privée de ces éléments très particuliers en quoi consistent les moyens de production… des temps modernes… Chez lui, quoi qu’il en fût des richesses accumulées ici ou là, le cadre d’ensemble restait très notablement familial, tandis que lui-même condamnait tout ce qui pouvait tendre à porter la richesse possédée au-delà de ce qui était nécessaire à une vie matérielle plutôt mesurée.

Le pas suivant réalisé par les auteurs du Décalogue reste encore dans ce premier domaine d’une propriété indifférenciée :
« L’histoire nous apprend également que l’accès à la propriété privée donne à l’homme l’occasion de s’exercer à l’utilisation responsable et respectueuse de la propriété. » (Idem, page 19)

Nous sentons comment cela peut en effet s’appliquer à la petite vie de famille, par exemple… et pour chacun(e) de celles et de ceux qui en sont partie prenante, y compris les très jeunes enfants…

Rien à voir avec un fabricant d’avions, de pétroliers ou de médicaments… Mais c’est pourtant ici qu’il faut bientôt en venir, sans plus pouvoir amuser le tapis avec le respect dû aux cuillères, aux fourchettes, aux fauteuils du salon, aux brosses à dents, etc. Nous y voici donc :
« Les moyens de production laissés entre les mains des privés contribuent à une plus grande offre de biens, sans négliger pour autant les investissements et les réinvestissements nécessaires. » (Idem, page 19)

C’est prudent et, par ailleurs, cela reste sans démonstration précise… Mais, rien que pour nous remettre dans un contexte qu’ont bien connu des gens comme les anciens nazis plus ou moins transférés parmi les futurs promoteurs de l’ordolibéralisme ou de sa petite sœur, l’économie sociale de marché, qu’étaient Alfred Müller-Armack, Karl Schiller, Hans Großmann-Doerth, Heinrich Stackelberg, nous allons mettre à l’épreuve cette doctrine de la supériorité absolue de la production privée sur la production publique telle qu’un certain Joseph Goebbels l’aura expérimentée en direct…

Le 16 juin 1941, six jours avant le déclenchement de l’opération Barbarossa qui va viser l’Union soviétique, le chef de la propagande note ceci dans son Journal :
« Sur la valeur des hommes et du matériel, il n’y a aucune comparaison possible entre eux et nous. La percée se fera en différents points. Ils vont se faire écrabouiller. Le Führer estime que l’opération prendra quatre mois, je pense que ce sera beaucoup moins. Le bolchevisme va s’effondrer comme un château de cartes. Nous sommes à la veille d’un triomphe sans précédent. » (
Joseph Goebbels, op. cit., tome 3, pages 308-309) 

Trente-trois jours après l’attaque, le 24 juillet 1941, voilà où nous en sommes…
« L’ambiance dans le Reich est devenue un peu plus grave. On commence à prendre peu à peu conscience que la campagne de l’Est n’est pas une promenade vers Moscou. »  (Idem, page 343)

Nous voici maintenant le 12 août 1941 auprès d’un Joseph Goebbels qui en est plus ou moins à se liquéfier…
« Notre connaissance des armes soviétiques était imparfaite avant la campagne ; en particulier, nous ne savions pratiquement rien de l’existence des blindés géants, et surtout pas qu’ils seraient capables d’en fabriquer un nombre pareil. » (Idem, page 355)

Et encore…
« Concernant le perfectionnement technique des armes, l’adversaire nous est supérieur sur bien des points. Par exemple, chaque blindé a son propre périscope. Chaque chef de section en possède un. Chez nous, il ne peut en être question. » (Idem, page 355)

Est-ce assez ?…

Michel J. Cuny

L’article suivant est ici.

Pour revenir au début de cette série d’articles, c’est ici.


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.