Reprenons le fil… Dans son discours du 16 septembre 2020, alors qu’elle s’exprimait pour la première fois devant le Parlement européen, la toute nouvelle présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, avait souligné la présence, dans l’héritage des pays de l’Union européenne, de l’ « économie sociale de marché »… De quoi pouvait-il s’agir ?
Nos pas nous ont alors conduit(e)s vers un gros travail d’analyse des origines historiques de ce qui avait assuré le miracle allemand des lendemains de la Seconde Guerre mondiale : il émanait de la Fondation Konrad Adenauer. Non sans une certaine surprise, nous y avons fait la connaissance d’un très curieux personnage : Alfred Müller-Armack, devenu conseiller économique de la République fédérale allemande après avoir appartenu, de 1933 à 1945, au parti national-socialiste d’un certain Adolf Hitler…
Le même document nous conduisait à devoir intégrer à notre étude les origines historiques lointaines de l’économie sociale de marché, et tout particulièrement le développement de la colonisation de l’Amérique du Nord à partir de la mise au travail, en particulier, des populations noires importées d’Afrique grâce au commerce triangulaire. Et soudain, voilà qu’apparaissait, parmi les grands propriétaires blancs… d’esclaves, la famille Ladson, qui figure parmi les ancêtres de la présidente Ursula von der Leyen… Une première boucle venait donc de se refermer.
Et nous revenons maintenant vers le document de la Fondation Konrad Adenauer, publié en 2013, et dont le titre est : Économie sociale de marché – Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? (lien)
Dès le premier paragraphe, nous avions appris que ce schéma économico-politique se plaçait dans la continuité d’un processus qui…
« a débuté à l’époque de l’absolutisme (du XVIe au XVIIIe siècle) lorsque, suite à la découverte de nouveaux continents et l’élargissement du commerce, l’économie a vu son importance s’agrandir ». (Siegfried F. Franke – David Gregosz, op. cit., page 8)
…d’où notre large crochet par la Caroline du sud… Il paraît que la première étape aura été le « mercantilisme » immédiatement subséquent. Le voici tel que les auteurs nous le donnent :
« Sous le terme de mercantilisme, on résume aujourd’hui différentes mesures de politique économique toutes destinées à renforcer le pouvoir absolu du souverain, qui reposaient déjà sur quelques réflexions économiques théoriques, certes encore modestes. » (Idem, page 8)
Nous allons voir que si « le pouvoir absolu du souverain » ne reçoit ici aucune critique, le reste du contenu peut se discuter sur deux points particuliers :
« Si cette politique économique a contribué à la promotion des exportations, elle s’opposa, et ce fut une de ses erreurs, à l’importation. Elle encouragea aussi les manufactures d’État, ce qui lui valut d’être considérée comme un précurseur de la politique industrielle. En France, cette politique mena finalement à la ruine de l’agriculture. » (Idem, page 8)
Nous passons maintenant à la seconde étape :
« À l’opposé, le libéralisme classique, que nous devons notamment à Adam Smith, David Ricardo, Jean Baptiste Say et Robert Malthus, souligne l’effet créateur de prospérité de la division du travail, ce qui amena ses protagonistes à réclamer la liberté des échanges extérieurs et la suppression des entraves commerciales. » (Idem, page 8)
Ainsi la concurrence – ou l’émulation ? -, en appuyant sur la division du travail, peut ne plus être perçue comme une menace. Elle serait, au contraire, un facteur de progrès… pour les vainqueurs… Que devient le « pouvoir absolu du souverain » ? Ne fallait-il plus lui laisser qu’un rôle subsidiaire ? Ne fallait-il pas parier sur l’impact économique favorable de la liberté maximale ? Manifestement, nos historiens de l’ « économie sociale de marché » jugent qu’il se sera agi, là, d’une grossière erreur…
« Toutefois, si Smith souligna déjà la fonction ordonnatrice de l’Etat, notamment par rapport à la politique de la concurrence et la nécessité d’une infrastructure publique suffisante, les milieux politiques n’ont guère retenu cet aspect. » (Idem, page 8)
Par la suite, le mouvement de défiance à l’égard de l’État – du « pouvoir absolu du souverain » ? – s’amplifia…
« Reprenant les valeurs centrales des Lumières, le libéralisme revendiqua les droits à la liberté qui cependant profitèrent plus au capital qu’aux travailleurs. Parallèlement, la constitution d’un capital privé allait de pair avec la dissolution des grandes familles de paysans et d’artisans, l’urbanisation et les conditions de travail (industriel) difficiles et pénibles. » (Idem, page 8)
Autrement dit : l’équilibre social général n’étant plus suffisamment stable et l’État ayant perdu les clefs de la stabilisation, le système politique paraissait lui-même frappé…
« Ainsi il n’était pas étonnant de voir apparaître des mouvements qui s’opposèrent au libéralisme et se basèrent sur la solidarité et qui ont trouvé dans le socialisme classique d’un Karl Marx leur expression conceptuelle. En pratique, ce concept mena cependant – notamment en Russie et plus tard en Union soviétique – à un régime politique dictatorial qui essaya d’imposer par la force l’économie planifiée et le développement d’un « homme nouveau ». » (Idem, page 8)
Tout cela, ramassé en quelques mots, ne permet pas de bien voir passer la… Révolution prolétarienne… c’est-à-dire la mise en place de l’État de la dictature du prolétariat…, l’ « homme nouveau » n’étant qu’une façon un peu courte de dire : l’homme arraché à l’exploitation, et puis le bourgeois soumis à la règle qui lui interdit, désormais, de se ranger derrière l’appropriation privée des moyens de production pour faire ses petites affaires…
Or, cette Révolution prolétarienne (si terrible !) ne faisait qu’intervenir après trois ans d’une Guerre mondiale qui avait déjà coûté quelques millions de morts… au titre des affrontements entre des pays impérialistes rudement conduits par des États bourgeois armés d’une dictature impitoyable pour l’humain en général à travers les crimes qu’ils perpétraient sur le camp d’en face au prix de la vie de leurs propres citoyens…
Mais nos amis de l’ « économie sociale de marché » poussent la calomnie un peu plus loin encore à propos d’une URSS tellement peu prospère en valeurs réelles qu’elle a fait bientôt plier les armées d’assassins de… l’Allemagne de Hitler… que rien n’est venu empêcher – du côté des démocraties bourgeoises – de faire vingt-sept millions de morts au titre d’une dictature nazie qui n’a sans doute jamais existé, elle… C’est bien en Union soviétique qu’ils veulent voir…
« Ce système – qui, après la Seconde Guerre mondiale, devait s’étendre à l’ensemble de l’Europe de l’Est – a non seulement menacé l’intégrité physique et la vie de populations entières mais a également freiné considérablement et pendant des décennies le développement de la prospérité. » (Idem, page 8)
De la prospérité des capitaux occidentaux… Mais, oui, bien sûr !…
Quant au Troisième Reich, « en revanche », le voici tout à coup doté d’une « dictature de droit » dont on peut se demander d’où il la tire… tandis qu’il n’aurait fait que… « bafouer » ceci ou cela, tellement il était gentil, lui !…
« En Allemagne, en revanche, des conditions et causes particulières menèrent le pays vers le national-socialisme qui combina une dictature de droit avec une économie oscillant entre le marché et la planification mais toujours au service des efforts de guerre. Ce système bafoua les libertés fondamentales et les droits humains. » (Idem, page 8)
Décidément, il va falloir la regarder de près, cette « économie sociale de marché » qui sait tellement bien appuyer les grands crimes commis depuis les vrais débuts de l’économie capitaliste, colonialiste et impérialiste…
Michel J. Cuny
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