En réalité, au lieu de remonter vers le nord-est, nous sommes descendu(e) vers le sud.
C’est donc par étapes, plus ou moins longues, que de la Lorraine, nous sommes parvenu(e) jusqu’à la région Rhône-Alpes.
Vers le 20 juillet 1983, nous sommes arrivé(e) en voiture brinquebalante, sous une chaleur torride de 41°, sur les pentes de la Croix-Rousse à Lyon. Cette voiture était une R5 blanche, achetée d’occasion dans un garage des Vosges, à Nomexy près de Châtel-sur-Moselle, dont le remplacement du moteur s’était imposé très rapidement : un mécanicien du dimanche avait transformé notre voiture en prototype qui nécessitait une purge du circuit d’eau tous les 20-30-40 kilomètres, sous peine de voir une fumée sortir du capot, de constater l’éclatement du bocal de liquide de refroidissement que nous approvisionnions en eau souvent prise au goulot des fontaines de rencontre, et de devoir courir après un bocal de rechange… jusqu’à ce que nous comprenions que le moteur et ses éléments avaient été montés à l’envers ! C’est en pareil équipage de luxe que nous sommes entré(e) dans la capitale des Gaules, par la rue Burdeau. Inutile d’aller plus loin… Nous posâmes notre maigre bagage dans une chambre d’un hôtel meublé, l’hôtel Burdeau de la rue Burdeau, où le gérant de l’établissement nous apprit, en guise de bienvenue, que, avant nous, dans cette chambre…

Hôtel Burdeau – 32, rue Burdeau – 69001 Lyon
@AP MJC-FP
Quelques temps plus tard, le voisin, qui occupait celle en face de la nôtre, s’exercera à se tirer une balle de revolver sans l’avoir chargé : nous n’entendrons que le bruit sec du détonateur. Tout de même… Il nous aura fallu tendre l’oreille pour savoir si nous devions intervenir et de quelle façon. Vingt-deux heures… Quelqu’un frappe à notre porte. « C’est lui, en pyjama, qui, tremblant de fièvre et muni d’un billet de cinquante francs (!) pour prix de la communication, vient tout gentiment nous demander d’appeler S.O.S. médecins de nuit… Déjà, l’ambulance arrive ; on l’emmène, eh oui, sur une civière… » [Michel J. Cuny-Françoise Petitdemange, La clef des champs – récit autobiographique », Éditions Cuny-Petitdemange, 1990, page 101.] Devant nos yeux ébahis par la misère – nous n’avions plus vu ce genre de billet depuis un certain temps -, il avait promis de nous rembourser, dès que possible, la communication qu’il nous avait été plus facile d’obtenir avec notre menue monnaie qu’avec un billet de banque.
L’absence de ce voisin un peu turbulent, qui interpellait Dieu à tout moment de la journée ou de la nuit, dura le temps d’un séjour en milieu psychiatrique. Il revint sous la forme d’un zombie. Nous eûmes de la peine à reconnaître l’homme vif et alerte qu’il avait été. Les tournants de la vie sont parfois difficiles à négocier : son compagnon de malheur de Mâcon était en instance de divorce avec deux enfants, lui était en instance de divorce avec trois enfants.
C’est dans cette ambiance placée sous le signe du désespoir que nous avons travaillé de toutes les forces que le retour de la sous-alimentation nous laissait.
3. Deux pilotes de ligne pour un premier essai
Françoise Petitdemange – Michel J. Cuny
7 mai 2021