Chine : Un socialisme qui doit grimper sur les épaules des multinationales pour leur passer le licou du marxisme-léninisme

« L’Allemagne victorieuse de la Seconde Guerre mondiale ? » (document n° 140)
[Pour revenir au document n° 1, cliquer ici]

S’il faut en croire ce qu’Alexandre Mirlicourtois nous a indiqué à la date du 21 février 2018 : deux ans plus tôt, il était devenu manifeste que les Chinois (le parti communiste chinois ?) faisaient une entrée plus ou moins fracassante dans l’univers des plus grandes entreprises existant au monde, et tout spécialement en ce qui concerne le domaine d’Internet… Et il citait Alibaba…

D’où cette double interrogation : 1. la grande entreprise, en tant que telle, peut-elle s’inscrire dans le déploiement du socialisme ? 2. quelle est la nature plus particulière d’Alibaba, s’il s’agit, là encore, d’un instrument du socialisme ?

Pour trouver une réponse détaillée sur ces deux points, il suffira de repartir un siècle en arrière, et très précisément au 29 avril 1918, c’est-à-dire un peu moins de 200 jours après le surgissement de la Révolution d’Octobre 1917.

Lors de cette séance historique du Comité exécutif central de Russie, Vladimir Ilitch Lénine présente son Rapport sur les tâches immédiates du pouvoir des Soviets. Il y aborde la question des « trusts ». C’est tout juste ce dont nous avons besoin.

À ce moment précis, si la Révolution bolchevique est déjà un fait accompli en Russie, la Première Guerre mondiale suit, par ailleurs, son cours et, comme chacun sait, ne s’arrêtera que le 11 novembre 1918.

Pour l’instant, sur le terrain révolutionnaire, il n’y a qu’une sorte de statu quo dont Lénine souligne aussitôt qu’il doit s’inscrire dans la stratégie bolchevique :
« Notre tâche, puisque nous sommes seuls, est de maintenir la révolution, de lui conserver au moins quelque forteresse du socialisme, si faible et modeste qu’elle puisse être, jusqu’au moment où la révolution aura mûri dans d’autres pays et où arriveront d’autres détachements. » (Lénine, O. C., tome 27, pages 300-301)

En ce qui concerne plus particulièrement le pouvoir soviétique, une étape a été atteinte qui ne semble pas devoir être dépassée dans un avenir immédiat, mais qui pourrait même être menacée sans qu’il fût facile de la défendre autrement que par la ruse :
« Dès que nous nous sommes rendu compte et que nous avons démontré que nous détenons une position solide en Russie et que nous ne sommes pas en mesure d’affronter l’impérialisme international, il n’y a plus pour nous qu’un seul objectif : notre tactique se définit comme une tactique de louvoiement, d’expectative et de retraite. » (Idem, page 301)

De façon plus générale, Lénine ne souhaite entretenir aucune illusion quant à ce qui a été accompli par le pouvoir soviétique dans la dimension militaire :
« Nous n’avons obtenu une trêve que parce que la tuerie impérialiste continue en Occident, tandis qu’en Extrême-Orient la rivalité impérialiste s’embrase de plus en plus ; c’est par là seulement que s’explique l’existence de la République des Soviets, par cette très mince petite ficelle à laquelle nous nous tenons dans la conjoncture politique actuelle. » (Idem, page 301)

Or, pour obtenir une compréhension réellement objective des enjeux du présent et de l’avenir, et ceci à l’échelle planétaire qui est celle qu’envisage l’analyse marxiste, le regard des responsables bolcheviques doit s’ouvrir à la dialectique des grands nombres :
« Il faut tenir compte des forces qui se comptent par dizaines de millions d’hommes, les forces inférieures à celles-là ne comptent pas en politique, la politique les écarte comme quantités négligeables. » (Idem, page 302)

Ceci, s’il s’agit d’obtenir un maximum de compréhension des grands déterminismes… et de se donner ensuite les moyens d’intervenir à la bonne échelle, sans se laisser tromper par le dépaysement dont peut parfois être victime le parfait néophyte, ou celui qui confond les matérialismes dialectique et historique avec son propre bon vouloir.

Or, ici, il existe une opposition politique qui n’avoue pas tout ce qu’elle pense, mais qui veut absolument s’apparaître à elle-même, et apparaître aux autres, comme étant à la pointe du combat révolutionnaire…
« L’argument fondamental utilisé contre nous par le groupe des communistes de gauche, c’est qu’on observe une déviation bolchevique de droite, qui fait courir à la révolution le risque de s’orienter dans la voie du capitalisme d’État. » (Idem, page 304)

Ce qui nous fait retomber tout à coup dans ce que manifesterait la Chine d’aujourd’hui aux yeux de certains esprits chagrins qui voudraient pouvoir lui infliger les leçons d’un maoïsme de gazettes… Nous allons voir que Lénine lui-même se dresse de toute la force de sa capacité d’analyse contre ce genre de pente qui glisse toujours assez rapidement vers ce qu’il est convenu d’appeler : le trotskisme…
« La réalité dit que le capitalisme d’État serait pour nous un pas en avant. Si nous pouvions en Russie réaliser sous peu un capitalisme d’État, ce serait une victoire. » (Idem, page 304)

C’est que ce « gros » capitalisme ne doit surtout pas faire plus peur que le « petit ». Voilà ce que Lénine se permet de rappeler à propos de tous les « gauchistes » impénitents :
« Comment peuvent-ils ne pas voir que le petit propriétaire, le petit capital, est notre ennemi ? » (Idem, page 304)

C’est qu’il est susceptible de miner idéologiquement cette partie de la société qui est plus ou moins rétive à la problématique de l’exploitation de l’être humain par l’être humain puisqu’il lui paraît qu’elle peut elle-même en tirer bénéfice… à condition que les « gros » ne lui en mangent pas l’essentiel. Ainsi Lénine peut-il le rappeler à tous les « gauchistes » qui conserveraient un minimum de sincérité politique :
« Dans le passage du capitalisme au socialisme, ils ne doivent pas oublier que notre ennemi principal, c’est la petite bourgeoisie avec ses habitudes, ses coutumes, sa situation économique. Le petit propriétaire craint par-dessus tout le capitalisme d’État parce qu’il n’a qu’un désir : arracher une grosse part, l’arrondir le plus possible, ruiner les grands propriétaires fonciers, les gros exploiteurs, et leur donner le coup de grâce. En cela, il nous soutient volontiers. » (Idem, page 304)

Mais c’est qu’il y voit la meilleure façon de maintenir cette exploitation qui alimente sa petite vie, sans qu’il puisse comprendre que, sans les « gros », il n’est plus rien.

Tandis que le socialisme a, lui, bien besoin des instruments que peut lui fournir l’aboutissement du capitalisme en quoi consiste… les trusts, et le contrôle direct ou indirect que peut y exercer l’Etat bourgeois, tout spécialement dans les situations de guerre totale…

Ainsi Lénine pose-t-il, aux bolcheviks et à leurs alliés, cette question cruciale :
« Qu’est-ce que le capitalisme d’Etat sous le pouvoir des Soviets ? » (Idem, page 305)

Voici sa réponse :
« J’ai dit que le capitalisme d’État serait pour nous le salut ; si nous l’avions en Russie, la transition au socialisme intégral serait aisée, elle serait entre nos mains, parce que le capitalisme d’État est quelque chose de centralisé, de calculé, de contrôlé et de socialisé, et c’est précisément ce dont nous manquons. » (Idem, page 305)

Reprenant le fil de son analyse des grands enjeux de l’évolution des sociétés humaines sur le long terme, il ne peut qu’en convenir :
« Nous connaissons le socialisme, mais nous ne possédons pas la science de l’organisation à l’échelle de millions d’hommes, la science de l’organisation, de la répartition des produits, etc. ; cela, nous ne l’avons pas. » (Idem, page 308)

Or, il n’a jamais été dit que le socialisme devait tout reprendre à zéro. Bien au contraire… Il peut même lui arriver de vouloir prendre à son service le pire ennemi de la classe ouvrière du temps du capitalisme finissant… Et c’est bien Lénine, promoteur principal de la première dictature prolétarienne jamais installée où que ce soit dans le monde, qui se charge de le dire devant les principaux responsables du tout jeune Etat soviétique à propos d’un éventuel ex-grand patron qui consentirait à se rallier au nouveau régime :
« Cet homme peut bien être un archi-coquin, mais du moment qu’il a organisé un trust, du moment que c’est un négociant qui a eu affaire à l’organisation de la production et de la répartition pour des millions et des dizaines de millions d’hommes, du moment qu’il possède cette expérience, nous devons nous instruire à son école. » (Idem, page 308)

En effet, il n’aura servi à rien de prendre le pouvoir, s’il ne s’agit pas de porter plus loin la charge jusqu’alors placée sous la responsabilité des grands promoteurs de l’économie d’exploitation pour, à travers le socialisme, en faire, à plus long terme, l’acquis historique incontournable de toute société communiste digne de ce nom. Quant à la première étape à franchir, en lui appliquant tous les soins possibles, Lénine n’aura pas hésité une seule seconde :
« Ce n’est que par le développement du capitalisme d’État, par l’établissement d’un recensement et d’un contrôle minutieux, par une très stricte organisation et par la discipline du travail que nous arriverons au socialisme. Sans cela, pas de socialisme. » (page 308)

C’est donc sur ce terrain que s’avance la Chine d’aujourd’hui… et en tenant d’une main très ferme… Alibaba…

Michel J. Cuny

Document n° 141…
Une rock-star pour les jeunes générations d’Occident : le parti communiste chinois


2 réflexions sur “Chine : Un socialisme qui doit grimper sur les épaules des multinationales pour leur passer le licou du marxisme-léninisme

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.