Guerre de 1914-1918 : de l’histoire ancienne, sans aucun rapport avec nos vies présentes, et à venir ?…

Dans le cadre du premier conflit mondial, mais sans perdre de vue des événements internationaux contemporains qui risquent, à plus ou moins long terme, d’impacter le destin du peuple de France, nous allons voir comment les droits les plus élémentaires des peuples sont bafoués au profit des grands intérêts économiques et financiers qui, du fait de leur prépondérance, en viennent à s’immiscer dans les affaires intérieures des Etats.

Lorsqu’il rédige « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme », Lénine note que « le capital financier est un facteur si puissant, si décisif, pourrait-on dire, dans toutes les relations économiques et internationales, qu’il est capable de se subordonner et se subordonne effectivement même des États jouissant d’une complète indépendance politique. »

Bien que cette remarque date de 1916, nous ne pouvons que constater à quel point elle reste pertinente à notre époque qui, pour notre plus grand malheur, n’en n’a toujours pas fini avec les guerres.  Ainsi, chaque jour, sommes-nous témoins de la terrible guerre civile qui dévore la Syrie avec, à sa tête, un « dictateur » qu’il suffirait, paraît-il, de déboulonner pour que tout s’arrange …comme en Irak et en Libye : le peuple irakien et le peuple libyen ne s’en portent-ils pas mieux depuis que Saddam Hussein et Muammar Gaddhafi ont été éliminés ?…

Soyons sérieux. La question toute simple qu’il convient de se poser est celle-ci : que s’est-il donc passé pour qu’on en soit arrivé à un tel chaos qui mobilise, au niveau international, tant d’énergies et de moyens militaires et humanitaires pour y mettre fin ? Pour en savoir plus, il nous faudra faire un bond d’une centaine d’années en arrière. Allons-y bravement.

En 1914, le Moyen Orient, qui était alors sous la domination de l’Empire ottoman, constituait déjà un pôle stratégique pour les puissances occidentales. Dans un article publié en avril 2003 dans Le Monde Diplomatique, Henry Laurens rappelle qu’à cette époque, « les provinces arabes de l’Empire ottoman se trouvaient sous l’influence collective et multiforme des puissances européennes, auxquelles s’ajoutaient les Etats-Unis », et il ajoute, « les Jeunes-Turcs, au pouvoir depuis 1908, cherchaient à se débarrasser de ces ingérences permanentes, mais au prix d’un centralisme autoritaire qui suscitait l’émergence d’un mouvement autonomiste arabe prêt à chercher des appuis chez les Européens. »

Comme nous le voyons ici, il existait déjà dans cette région, entre certaines communautés et le pouvoir en place, des conflits que les interventions incessantes des puissances impérialistes occidentales, motivées par la sauvegarde des intérêts vitaux qu’elles avaient dans cette zone, aggravaient encore. Précisons qu’à cette époque, la France occupait, en Syrie justement, la place de puissance dominante, grâce à ses investissements économiques, et à son rayonnement scolaire et culturel. A tel point qu’il était question d’une « France du Levant ».

Outre les aspects économiques, il y avait des enjeux stratégiques qui poussaient les puissances occidentales à contrôler ce secteur. Comme le souligne Jean-Jacques Becker, dans un dossier intitulé « La Grande Guerre en Méditerranée », publié en 2010 dans les « Cahiers de la Méditerranée », l’Empire ottoman, malgré la perte de nombreux territoires au XIXème siècle, puis à la suite des guerres des Balkans, « était encore (…, cc) une puissance méditerranéenne par le contrôle des détroits entre mer Egée et mer Noire, par les côtes de l’Anatolie et par celles de ses possessions arabes, la Syrie et la Palestine

En réalité, l’essentiel du combat mené en 1914-1918 par la France impérialiste, soutenue par ses alliés du moment, se situait ailleurs que dans la simple sauvegarde d’un lopin de terre national. Car au-delà de sa justification de défense de la patrie par le discours dominant auprès du bon peuple, la guerre constitue bien plutôt le moyen de rétablir, entre les puissances capitalistes concurrentes elles-mêmes, des « déséquilibres » économiques momentanés, tout en préparant les prochains conflits où les cartes seront redistribuées, et le butin partagé par les vainqueurs.

Hélas, nous ne cessons de constater, aujourd’hui encore, les conséquences désastreuses de l’impérialisme – « stade suprême du capitalisme », selon les termes de Lénine : en organisant le monde par l’annexion de pays, – souvent dissimulée par un travestissement institutionnel, et la délimitation arbitraire et unilatérale des limites de leurs territoires, le grand Capital, appuyé sur la force armée, décide, en un tour de main, de la destinée de millions d’êtres humains. Ces guerres fratricides qui durent depuis des années, voire des dizaines d’années, et ces flots de réfugié(e)s qui ne savent plus où aller, n’en seraient-ils pas une conséquence logique ?

Dans un article paru en 2002, et intitulé  « La France et sa politique de mandat en Syrie et au Liban (1920-1939) », Jean-David Mizrahi évoque la façon dont se sont comporté les Français et les Britanniques à l’égard des populations à l’occasion du partage de l’Orient arabe :
« (…, cc) Loin de procéder de la « mission sacrée de la civilisation » mise en exergue, le partage de l’Orient arabe entre mandats britanniques (Palestine et Irak) et français (Liban et Syrie) s’enracinait au contraire au cœur des ententes inter-impérialistes du temps de guerre (accords Sykes-Picot de 1916), se confirmait en dehors de toute participation arabe (…, cc). »

A cet égard, Lisa Roméo précisera, dans un article paru en 2011 sur le site « Les Clefs du Moyen-Orient », qu’en 1920, la Conférence de San Rémo scellait « le destin des provinces arabes sans prendre en considération les revendications des populations sur place et en oubliant définitivement les promesses d’indépendance faites pendant la guerre»

Face à cet acte perfide, les réactions du monde arabe ne s’étaient pas fait attendre puisque, si l’on en croit Lisa Roméo, toujours, « une insurrection populaire réunissant chiite et sunnite [avait éclaté] en Irak. En Syrie, les nationalistes [s’étaient radicalisés] alors que des violences [s’étaient succédées] en Palestine. (…). »

Une grave insoumission que les troupes françaises du général Gouraud devaient punir quelques mois plus tard en mettant fin au royaume arabe de Damas, et en imposant le mandat français, état de fait que la Société des Nations entérinerait deux ans plus tard, en 1922.

Vous avez dit « mission sacrée de civilisation » ? …

Christine Cuny

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