A peine avais-je terminé la rédaction de la note précédente que le hasard de mes lectures nombreuses et variées m’offrait un témoignage tout ce qu’il y a de plus inattendu. J’en étais à commencer les « Mémoires » de l’évêque d’Autun, lorsqu’il me vint de devoir lire ces quelques extraits que je rapporte ici.
Ils concernent un temps où Talleyrand n’était encore qu’un petit garçon que ses parents avaient confié à sa grand-mère de haute noblesse. Lisons-le aux pages 125 et 126 :
« Au retour de la messe, on se rendait dans une vaste pièce du château qu’on nommait l’apothicairerie. […] Dans la pièce qui précédait l’apothicairerie, étaient réunis tous les malades qui venaient demander des secours. »
Nous sommes au château de Chalais, près de Barbezieux en Charente, aux environs de l’année 1762 :
« Deux soeurs de la charité interrogeaient chaque malade sur son infirmité ou sur sa blessure. Elles indiquaient l’espèce d’onguent qui pouvait les guérir ou les soulager. Ma grand-mère désignait la place où était le remède ; un des gentilhommes qui l’avaient suivie à la messe allait le chercher ; un autre apportait le tiroir renfermant le linge : j’en prenais un morceau, et ma grand-mère coupait elle-même les bandes et les compresses dont elle avait besoin. »
Comme on le voit, l’efficacité éventuelle du remède en lui-même et la qualification professionnelle plus ou moins poussée des soeurs de charité dont il paraît qu’une seule n’aurait pas suffi, ne semblent pouvoir obtenir à elles seules le résultat attendu. Il faut un cérémonial qui va déployer, autour de l’équipe thérapeutique de base, une intervention hiérarchisée qui mobilise quatre personnes… Mais, dans l’ordre matériel et spirituel également, il aura fallu diversifier les moyens d’intervention :
« Le malade emportait quelques herbes pour sa tisane, du vin, des drogues pour une médecine, toujours quelques autres adoucissements, dont celui qui le touchait le plus était quelque bon et obligeant propos de la dame secourable qui s’était occupée de ses souffrances. »
Au regard des techniques thérapeutiques d’aujourd’hui, on aura le souci de savoir quel résultat pouvait donner un semblable équipage. Mais pour le prince de Talleyrand, il n’y a aucun doute quant à sa réalité :
« Des pharmacies plus complètes et plus savantes employées même aussi gratuitement par des docteurs de grande réputation, auraient été loin de rassembler autant de pauvres gens, et surtout de leur faire autant de bien. Il leur aurait manqué les grands moyens de guérison pour le peuple : la prévention, le respect, la foi et la reconnaissance. »
Pour le peuple!…
Mais, ce qui peut encore ajouter à notre trouble, c’est la conclusion générale qui nous est fournie à plus de deux cents années de distance :
« L’homme est composé d’une âme et d’un corps, et c’est la première qui gouverne l’autre. Les blessés sur les plaies desquels on a versé des consolations, les malades à qui ont a montré de l’espérance sont tout disposés à la guérison ; leur sang circule mieux, leurs humeurs se purifient, leurs nerfs se raniment, le sommeil revient et le corps reprend de la force. Rien n’est aussi efficace que la confiance ; et elle est dans toute sa plénitude, quand elle émane des soins d’une grande dame autour de laquelle se rallient toutes les idées de puissance et de protection.«
Une grande dame… Sanofi peut-être ?
Michel J. Cuny